Un téléphone ! Dans la poche intérieure de son pardessus. Non, ce n’est pas le sien.
Cette salope a collé un portable dans son manteau !
Il tente de se débarrasser du mouchard. Mais comment y parvenir sans l’usage de ses mains ?
Elle a vraiment pensé à tout ! Son intelligence n’a donc pas de limites ?
Il aperçoit le faisceau lumineux qui serpente dans sa direction.
— Et merde !
Il reprend son marathon effréné, le cœur en zone rouge. Le froid lui écorche la poitrine, la peur lui consume la tête.
La lueur de la Maglite rampe dans ses pas, désormais. La vipère est à ses trousses, elle n’abandonnera pas.
Le téléphone sonne à nouveau. Ce n’est pas une douce mélopée, plutôt un clairon qui hurle à tue-tête. Il télescope un tronc d’arbre pour tenter de clouer le bec à la saloperie de portable. Donne des coups désespérés. En vain.
Il se remet à courir, tente de s’éloigner le plus possible.
Et soudain, la lumière le percute pleine face.
Le bruit assourdissant de la détonation, la douleur qui le fauche dans le feu de l’action, un hurlement qui éventre la nuit aveugle.
Lydia s’approche, éclaire la scène du crime. Benoît se contorsionne sur le sol en gémissant de douleur. La balle a pénétré dans son épaule droite, il a l’impression qu’on lui a arraché le bras.
— Debout !… Allez, lève-toi fumier ! Sinon je t’en colle une autre dans la jambe !
Le saisissant par le col de son manteau, elle l’oblige à se remettre debout avant de le crucifier contre un arbre et de lui planter le canon sous la mâchoire.
— Tu croyais pouvoir me fausser compagnie, connard ? Ça a l’air de faire très mal… Mais pas assez, à mon goût… Où est Aurélia ?
— J’en sais rien !
Elle appuie sur la plaie béante avec la paume de sa main, lui arrache un nouveau hurlement.
— Où est-elle ?!
— Je sais pas… C’est pas moi qui l’ai tuée !
Lydia file un coup de poing dans sa blessure, il se plie en deux.
— J’ai menti ! Pour pas que tu ne touches à ma femme et à mon fils ! gémit-il. Mais c’est pas moi ! C’est pas moi… Je sais pas où elle est…
Elle devine qu’il ne va pas tarder à perdre connaissance.
— On réglera ça à la maison… On retourne à la bagnole… Avance ! Avance !
Ils se remettent en marche. Benoît sent le flingue contre ses vertèbres, chute à plusieurs reprises.
Il appelle au secours. Là, en plein cœur du désert végétal.
La sanction est immédiate. Un coup de crosse en haut du dos l’envoie une nouvelle fois au tapis. Lydia le contraint à se relever, encore et encore.
Ses forces s’amenuisent, pas après pas. Respiration après respiration. Mais ce n’est pas ça le pire. Le pire, c’est cette effrayante certitude.
Cette fois, il le sait, il va crever. Comme un chien.
Lydia le pousse violemment dans la cage. Benoît perd l’équilibre et s’effondre sur les genoux. L’ange tortionnaire est toujours là. Le visage tuméfié, fielleux. Une barre de fer entre les mains.
— Je vais te faire regretter cette pitoyable tentative, enfoiré !
Il a toujours les poignets menottes, bien sûr.
— Je suis innocent ! C’est pas moi qui ai assassiné ta sœur ! Quand est-ce que tu vas comprendre ?!
— Il y a quelques heures, tu avouais le contraire…
— Je voulais juste sauver ma femme et mon fils !
— Pourquoi tu t’acharnes comme ça ? Je sais que c’est toi… Et tu aurais dû me montrer où est Aurélia… Tu n’aurais jamais dû me frapper ou essayer de t’enfuir ! Parce que je vais t’en passer l’envie, crois-moi ! Un choc dans le dos le projette face contre terre. Ensuite, c’est le déluge de coups et d’insultes. Lydia vomit quinze ans de haine refoulée.
Benoît fait le mort ; si elle continue, il n’aura bientôt plus besoin de feindre.
À des kilomètres de là, en plein cœur de la ville, le commissaire Moretti laisse libre cours à son vice.
Il étanche sa soif insatiable de gagner, en compagnie de trois autres flambeurs invétérés, tout aussi concentrés que lui.
Mais la chance ne lui sourit pas, ce soir encore. Il y a déjà plusieurs heures qu’il vit à crédit. Que l’addition augmente, irrémédiablement. Entre ses mains, des cartes sans valeur. Mauvaise pioche, une fois de plus. Il a beau être un fin stratège, il ne peut accomplir de miracles avec un assemblage de couleurs aussi indigent.
Finalement, il abandonne, vers trois heures du matin. Demain encore, il sera irascible, épuisé. Comme souvent.
Passera sa mauvaise humeur sur ses subordonnés.
Comme toujours. Un des avantages d’être le boss !
Avant qu’il ne quitte les lieux du naufrage, le patron du cercle privé lui rafraîchit la mémoire. La note est salée, Moretti assure qu’il paiera avant la fin de la semaine.
Il remonte le col de son blouson, se fond dans la nuit protectrice pour rejoindre sa berline. Il va falloir se procurer l’argent, à nouveau. Mais il sait déjà où le prendre. Il a trouvé une manne, un filon. Oui, elle paiera. Tout ce qu’il voudra, jusqu’à ce qu’elle n’ait plus un sou en poche.
Moretti est rassuré : il est riche, finalement.
Parce que son silence vaut de l’or…
Mardi 28 décembre, 4 heures
Le jour n’a pas encore dissous l’obscurité de la cage.
Aucune lumière pour le rassurer.
Inerte contre le mur glacé, Benoît hésite entre résistance et évanouissement. Lydia s’est bien défoulée. Il n’aurait jamais pensé servir un jour de punching-ball à une tarée.
Elle a pris la peine de le détacher avant de l’abandonner ; alors, il s’est traîné jusqu’au lavabo, a pris la serviette de bain pour comprimer sa plaie.
Chaque inspiration lui arrache une plainte ; chaque fraction de seconde est un supplice. Soudain, il se demande.
A quoi bon stopper l’hémorragie ? À quoi bon vouloir survivre à tout prix ? Pourquoi n’a-t-il pas laissé la vie couler à flots de sa blessure ?
Parce qu’il existe cette immémoriale peur, ancrée dans ses gènes, comme dans celles de chaque individu, de chaque animal. De chaque être vivant.
— Venez me chercher les gars, murmure-t-il. J’veux pas crever ici, putain ! Ne m’abandonnez pas.
Il pleure encore, pour évacuer le trop-plein de souffrance. Il aurait finalement préféré qu’elle lui loge une bastos en pleine tête. Ce serait fini, maintenant. Il n’aurait plus mal, plus froid, plus faim. Plus peur.
Il ferme les yeux et, pour se soulager, imagine Gaëlle en train de dormir. Sur le ventre, sans doute, comme souvent. Vision enchanteresse, perdue à jamais.
Il se remémore les nuits où il est rentré tard ; toutes celles où il s’est glissé dans les draps chauds sans la réveiller. Tout juste sorti des bras d’une autre.
Mais il ne regrette aucune de ses infidélités, aucun de ses mensonges éhontés. Aucune des souffrances qu’il a infligées.
Parce qu’il ne peut regretter le plaisir.
Celui de séduire, avant tout. D’être un objet de désir.
Celui d’être un chasseur souvent victorieux. Et celui de posséder.
Comment Gaëlle a-t-elle pu ne se rendre compte de rien ?
Mais était-elle si naïve que ça ? Ou a-t-elle feint l’ignorance pour sauver leur couple ?…
Soudain, le doute s’infiltre en lui, empoisonne son sang ; son corps déjà moribond. Son esprit dérive, dérape, glisse sur une pente savonneuse. Aucune certitude à laquelle se rattraper…
Il n’a plus rien, a tout perdu.
Parce que quelqu’un a souhaité sa mort. En manipulant une arme redoutable. Pas un flingue, un couteau ou un poison. Simplement une jeune femme détruite par quinze ans de colère, d’absence, de douleur. Qui attendait juste le déclic pour basculer dans la folie meurtrière.
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