Puis elle s’empare de quelque chose. Dans la pénombre, Benoît devine une barre de fer.
La furie entreprend de tout démolir autour d’elle. Elle frappe, hurle, dans un accès de démence incontrôlé. Benoît se réfugie dans l’angle de la cage, observant avec angoisse le dragon enragé qui crache des flammes. Bientôt, ce sera son tour, il le sait.
Il pense à Gaëlle, à Jérémy ; sauvés, sans doute. Lydia ramasse le flingue tombé au sol pendant la tempête.
— Approche, murmure-t-elle.
— Je t’ai tout dit ! rappelle Benoît.
— Viens ici, espèce d’enculé ! Ou je t’explose la cervelle !
Il louche sur le canon du revolver, pointé sur son front. Puis il obéit.
— Tourne-toi !
— Lydia…
Elle a le doigt sur la gâchette. Commence à presser.
— Tourne-toi…
Il s’exécute. Elle lui menotte les poignets. Putain, je vais morfler…
Lydia monte à l’étage. Inutile d’espérer ; elle est seulement partie chercher les clefs. Benoît se prépare au déluge de violence qui va immanquablement s’abattre sur sa tête.
D’ailleurs, elle se ramène une minute plus tard, pénètre en zone ennemie. Sa barre de fer à la main.
Eh bien, non, ce ne sera pas le calibre, le couteau ou les électrochocs, cette fois. Il avait manqué d’imagination…
— Lydia, si tu me tapes dessus avec ça, je vais crever, tu sais… Je suis plus vraiment en état de supporter…
— Et alors ? Crève !
— Tu ne retrouveras jamais Aurélia, dans ce cas… Il n’y a que moi qui puisse te conduire jusqu’à elle ! Que moi qui puisse t’indiquer l’endroit…
Il aura vraiment tout essayé. Lydia baisse son arme. Lorand est surpris. La reddition du camp adverse est un peu trop facile pour être crédible.
— Tu penses pouvoir te sauver, n’est-ce pas ?
— Me sauver ? Tu n’auras qu’à me laisser les pinces…
— Les menottes n’empêchent pas de courir !
— Peut-être… Mais deux semaines de torture, si… Je suis fatigué, j’en peux plus… Alors si tu veux m’achever maintenant, vas-y !… Qu’on en finisse !
Il a parlé d’une voix dure. Aussi dure que le barreau d’acier qu’elle tient entre ses mains. Le tout pour le tout.
— D’accord, on va aller là-bas tous les deux.
— Je ferai tout ce que je peux pour m’en souvenir…
— Ça vaudrait mieux pour toi, en effet ! On ira cette nuit, pour ne pas risquer de mauvaises rencontres…
Elle fait demi-tour, il pousse un soupir de soulagement. Pourtant, il n’a réussi qu’à reculer l’échéance.
Il fond contre la grille, touche le sol au ralenti. L’espoir renaît doucement. Si elle accepte de l’emmener en pleine forêt, il trouvera peut-être le moyen de lui fausser compagnie. Mais Lydia est tout sauf stupide. Et Benoît est tout sauf au sommet de sa forme. Mauvaise équation, donc.
La faim le reprend soudain avec force, sans préavis. Il essaie de penser à autre chose, fait fonctionner son cerveau, encore en état de marche malgré les circonstances.
Une date lui revient constamment à l’esprit, celle du meurtre. Le 6 janvier 1990.
Il y pense, sans relâche, depuis que Lydia lui en a parlé. Tout simplement parce que ce jour n’est pas anonyme. Mais est-ce l’épuisement, le manque de combustible ou la peur, il ne parvient pas à se souvenir pourquoi cette série de chiffres le harcèle.
Il l’a vue encore il n’y a pas longtemps. Mais où ?
Benoît se met à trembler ; la température chute rapidement dans ce trou immonde et repoussant.
Son esprit revient sur Lydia, dans une boucle infernale. Comment pourrait-il l’oublier, ne serait-ce qu’une minute ?
Inutile de le nier, il est terrorisé.
Sa dernière chance, cette nuit. Ou sa dernière nuit.
Pourtant, il est innocent. Alors qui a bien pu le jeter en pâture à ce monstre ?
Il attend patiemment l’heure du départ. Son ultime chance de sortir vivant de ce bourbier.
Il a froid, espère que Lydia lui filera au moins son manteau. Pourtant, il n’est pas resté inactif. Depuis qu’elle est remontée, il s’entraîne à bouger : flexion extension des jambes. À défaut d’avoir la liberté de marcher, il échauffe ses muscles engourdis par l’oisiveté comme il peut.
S’il échoue ce soir, ce sera la fin. Le terminus de sa brève existence. L’évanouissement de ces souvenirs soudain si précieux.
Lydia débarque enfin, au beau milieu de la nuit, chaudement vêtue.
— On y va ! annonce-t-elle d’une voix peu engageante.
Lorand s’est tassé contre les barreaux, comme s’il n’avait plus aucune force.
Alors qu’il possède celle de l’espoir — ou du désespoir.
— J’ai la tête qui tourne…
— Ah oui ? Si tu savais comme je m’en fous ! Lève-toi !
— J’y arrive pas…
— Tu veux que je t’aide ?! propose-t-elle en brandissant le revolver.
— Tu… tu pourrais me donner quelque chose à boire ou à manger, s’il te plaît ?
— Tu rêves ! Debout !
— Écoute, Lydia, j’arriverai jamais à marcher… Et toi, tu n’arriveras pas à me porter ! Donne-moi quelque chose. Sinon, je vais m’évanouir, je crois…
Elle hésite. Normal qu’il essaie de tirer partie de la situation, finalement.
— OK, je vais te chercher un truc à bouffer. Ensuite, on s’en va…
— Merci.
Elle disparaît dans l’ombre, redescend cinq minutes plus tard avec un thé et quelques biscuits. Le rêve !
Elle le détache, il considère la tasse avec suspicion. Mauvais souvenirs…
— J’ai pas mis de strychnine dedans ! précise-t-elle avec un sourire empoisonné. Tu peux y aller !
Il goûte, du bout des lèvres. Pas d’amertume ; il descend le reste d’un trait. Puis s’attaque à sa maigre pitance.
— Magne-toi ! ordonne Lydia.
Il avale la troisième et dernière bouchée, elle lui jette son manteau, ses chaussures. Il s’habille, s’approche sagement des grilles pour se faire menotter les poignets. Drôle d’impression que de sortir de cette cage…
Il gravit les marches devant elle, franchit la porte qu’il entend grincer depuis des jours. Il s’avance dans un étroit couloir, aussi sombre que le sous-sol. Le calibre braqué entre ses omoplates.
— Comment tu as réussi à me porter jusqu’en bas ? s’étonne-t-il soudain.
— Je ne t’ai pas porté !… Tu marchais tout seul !
— Tout seul ?!
— Oui ! C’est magique, le GHB, non ? Tu as gentiment fait tout ce que je t’ai demandé… Y a que dans l’escalier que tu t’es cassé la gueule ! Tu t’es laissé enfermer sans protester !
Encore quelques marches puis ils débouchent dans une sorte de cellier. Ils traversent la cuisine, arrivent dans le salon. Là, Benoît reconnaît les lieux. L’endroit où il s’est fait piéger comme un con.
Subitement, il s’immobilise. Son regard vient de buter sur une photo, posée sur un vieux bahut branlant. Juste en face du canapé.
— Qu’est-ce qui se passe, Benoît ? Ça te fait mal de revoir Aurélia ?
Il aurait dû y penser plus tôt. C’était tellement évident, pourtant.
— T’avais pas compris qu’on était jumelles ? Tu me déçois, Ben… Allez, avance.
Sur le perron, il est happé par le froid et par un vertige soudain.
La voiture de la jeune femme les attend, juste devant. Lydia ouvre la porte côté passager. Benoît grimpe, toujours sous la menace de son propre revolver. Elle monte derrière lui, à son grand étonnement. Qu’est-ce qu’elle manigance, encore ?
Elle passe un lacet autour de son cou, lui plaque la nuque contre l’appuie-tête.
— Tu m’étrangles, putain !
— Du moment que t’arrives à respirer… Comme ça, je suis sûre que tu resteras tranquille !
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