Karine Giébel - Les morsures de l'ombre

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Les morsures de l'ombre: краткое содержание, описание и аннотация

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Une femme rousse, plutôt charmante. Oui, il se souvient. Un peu… Il l’a suivie chez elle… Ils ont partagé un verre, il l’a prise dans ses bras… Ensuite, c’est le trou noir. Quand il se réveille dans cette cave, derrière ces barreaux, il comprend que sa vie vient de basculer dans l’horreur. Une femme le retient prisonnier. L’observe, le provoque, lui fait mal.
Rituel barbare, vengeance, dessein meurtrier, pure folie ?
Une seule certitude : un compte à rebours terrifiant s’est déclenché.
Combien de temps résistera-t-il aux morsures de l’ombre ?
Ça ressemble a un jeu. Le premier qui bouge a perdu. Dans ce roman noir magistral et tendu à l’extrême, Karine Giébel nous entraîne dans un huis clos glaçant au cœur de la folie. Un livre dont on ne ressort pas indemne.

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Oui, il se rappelle. Si elle est près de lui, c’est que la cage est ouverte. Qu’il a une chance de sortir, de rejoindre Gaëlle et Jérémy.

Il lève le bras droit au ralenti, dans un effort surhumain, saisit sa gorge fine. Essaie de serrer. Plus de force. Son bras retombe sur sa poitrine.

— C’est inutile, Benoît… Tu ne peux plus bouger. C’est à cause de l’antidote… Je vais te laisser te reposer, maintenant. Je reviendrai dans la journée.

Elle remonte la couverture sur son corps insensible.

— Je reviendrai pour écouter ce que tu as à me dire. Quand tu auras retrouvé la parole…

Elle claque la porte, le cœur de Lorand saigne de douleur.

— Au fait… Joyeux Noël, Ben !

Entre conscience et inconscience, Benoît ne s’est pas rendu compte que les heures passaient, l’une après l’autre.

Ce n’est que lorsque le crépuscule tape au carreau du soupirail qu’il s’éveille.

Complètement.

Il lui faut un bon quart d’heure pour parvenir à s’asseoir contre la grille. Un de plus pour se mettre debout. Un autre pour atteindre le lavabo. Et boire un demi-litre d’eau avant de retourner sur sa fidèle couverture.

Son corps n’est rien d’autre qu’un morceau de bois courbaturé, malgré les décontracturants à haute dose. Il a les tripes en feu, l’équilibre aléatoire.

Il se souvient de tout. De cette souffrance extrême, des mots de l’empoisonneuse. Il sait qu’il n’a pas avoué, aussi.

Si j’avoue, je suis mort.

La lumière s’allume, Lydia irradie le cachot de sa présence éblouissante. Rien à faire, il ne peut la trouver laide ; son enveloppe charnelle masquant à la perfection sa cruauté intrinsèque. Comme ces plantes vénéneuses aux parfums enivrants…

— Ça va mieux, Ben ?

Bien sûr, elle reste de l’autre côté. Pourtant, il n’aurait pas la force d’aplatir une mouche. Elle se colle aux barreaux, tout contre lui.

— Je pense que maintenant, tu es disposé à avouer, n’est-ce pas ?

— Je suis innocent…

Ce nouveau mensonge la laisse sans voix quelques instants. Elle s’y attendait si peu… Puis la colère germe aussitôt dans ses entrailles.

— Tu veux que je recommence ? Que je te force à avaler encore un peu de strychnine ?

— Non… Je veux que ça s’arrête… Je veux rentrer chez moi !

Elle lui répond par un odieux sourire.

— Tu ne rentreras plus jamais chez toi, pourriture !…

Mets-toi bien ça dans le crâne ! T’es qu’un assassin ! Un violeur et un meurtrier !

— Non !

Il se met soudain à pleurer. En silence, d’abord. Avant d’éclater carrément en sanglots. Elle se tait pour écouter, savourer pleinement chaque seconde de ce moment tant attendu.

— Vas-y, Ben, pleure… C’est tout ce qu’il te reste ! Oubliés les remords ou les hésitations de cette nuit.

Elle est à nouveau armée jusqu’aux dents. Dopée par la faiblesse ennemie.

— T’es pas un homme ! hurle-t-elle. T’es une merde ! Un lâche, un faible ! Rien qu’une merde !

Il s’effondre littéralement, sous l’œil impudique et réjoui de son ange tortionnaire.

— Il est où le super flic ? ricane Lydia. Hein ? Il est où le commandant Lorand qui se prenait pour un héros ?

Disparu. Enterré vivant.

Dimanche 26 décembre, 3 heures du matin

— Nous habitions ici lorsque Aurélia a été enlevée… Recroquevillé dans un angle de son enclos, Benoît n’a pas d’autre choix que d’écouter. Ecouter sa geôlière qui souffre d’un irrépressible besoin de confession, au beau milieu de la nuit.

— C’est la maison familiale… Celle où j’ai grandi. Mes parents l’avaient abandonnée, quelques mois après la disparition d’Aurélia. On est partis habiter en ville, à Besançon. Ils ne supportaient plus de rester ici… Tu comprends ?

— Oui, je comprends.

— Alors, on est partis. Mes parents, je les vois plus, maintenant… On ne s’aime plus, eux et moi… Ils pensent que je suis malade. Que c’est la mort d’Aurélia qui m’a rendue folle. Eux, ils auraient voulu l’oublier, faire leur deuil, comme ils disent ! Mais on ne peut pas oublier. On n’a pas le droit… Aurélia, elle était souvent triste… J’ai jamais su pourquoi. Comme si elle savait ce qui l’attendait… Comme si à la naissance, elle avait deviné qu’elle allait mourir jeune… Si jeune…

Lydia allume une clope ; la flamme du briquet perce une seconde durant l’obscurité totale du cachot. Benoît a juste le temps d’apercevoir les reflets auburn de ses cheveux, l’auréole cristalline de son visage. Puis la nuit récidive lourdement.

— Tu crois qu’on peut savoir ça, dès la naissance ?

— Je… Peut-être. Moi, j’ai souvent rêvé que j’allais finir enterré vivant… Ce cauchemar m’a harcelé tant de fois…

— Vraiment ? Ça voudrait dire que le destin existe, alors… Peut-être qu’Aurélia connaissait le sien. Qu’elle attendait juste de te rencontrer pour qu’il s’accomplisse…

— Ce n’est pas moi qui l’ai tuée, martèle Benoît d’une voix lasse. Je suis innocent, Lydia.

Elle ne semble même pas l’entendre ; poursuit son retour en arrière, comme si elle se parlait à elle-même.

— On était tout le temps ensemble… On ne se quittait jamais. Les inséparables, on nous appelait ! Mais ce jour-là… Ce jour-là, nous nous sommes disputées. Ça nous arrivait presque jamais, tu sais… Mais ce jour-là… On était parties toutes les deux, sur la route. Comme souvent, à l’époque. C’était un mercredi après-midi, on devait se rendre chez une copine… Et puis… Tout ça à cause d’un garçon ! On était amoureuses du même garçon, tu te rends compte ?

Il sourit aux ténèbres. Sans trop savoir pourquoi, cette histoire le touche. Cette fille qui va le tuer, son bourreau, arrive à s’infiltrer en lui jusqu’à effleurer son âme. Surtout lorsque les souvenirs parent sa voix de notes enfantines.

— Alors, on s’est séparées… Aurélia a continué son chemin, décidée à aller chez sa copine et moi, j’ai fait demi-tour pour rentrer à la maison…

Il devine soudain qu’elle pleure. Son cœur se serre. Pourtant, il devrait se réjouir de l’entendre chialer à son tour.

— Si… Si j’étais restée avec elle, peut-être qu’elle serait encore en vie ! Peut-être que… Que tu n’aurais pas osé t’attaquer à nous deux, ensemble… Réponds, Ben !

— Je… Je pense que si tu étais restée avec elle, celui qui a tué Aurélia t’aurait tuée aussi.

— Ce serait mieux ainsi.

— Tu ne peux pas dire ça !

— Si, je peux… Être amputée de la moitié de soi, c’est bien plus terrible que la mort, crois-moi… Oui, j’aurais préféré que tu nous tues ensemble.

— Je ne l’ai pas tuée…

Il cause dans le vide.

— Le soir, quand j’ai vu qu’elle ne rentrait pas, j’ai… J’ai eu si peur, si mal… Comme une explosion qui aurait déchiqueté mon corps !… Une douleur inouïe, insupportable. L’impression qu’on me coupait en deux… Alors, j’ai voulu y croire. Je me suis forcée à reprendre espoir… Pendant des mois, j’ai attendu qu’elle repasse la porte, qu’elle réapparaisse… J’y ai cru longtemps après tout le monde, tu sais. Et puis, un jour, elle est revenue…

Benoît écarquille les yeux dans l’obscurité.

— Revenue ? répète-t-il.

— Oui. Une nuit, dans ma chambre, je l’ai vue. Elle se tenait au pied de mon lit… Elle m’a parlé, est venue me dire qu’elle me pardonnait… De l’avoir laissée seule sur le bord de cette route…

— C’était un rêve, Lydia.

— Non. Je ne dormais pas. Et d’ailleurs, elle est toujours là… Elle te regarde, elle aussi… Au travers de mes yeux, elle te voit. Elle te juge.

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