— Moi non. Mais Justine, oui… Seulement, j’ai peur pour sa sécurité alors je vais rester dans le coin. Tu vires ta chemise et ton jean… Sinon, je le fais moi-même.
Justine, terriblement embarrassée, décida tout de même de fermer les yeux sur l’entorse au règlement. De suivre son supérieur.
— C’est bon, capitula Marianne. Je me suis battue… Dans les douches.
— Tu t’es battue, hein ? Et tout ce sang, c’est quoi ?
Il fallait trouver une issue de secours.
— C’est rien… J’ai pris un coup de couteau… Sur la cuisse. Mais c’est juste une éraflure.
— Une éraflure qui a beaucoup saigné, on dirait…
— C’est déjà un souvenir, assura Marianne.
— Un souvenir encore très douloureux ! Avec qui tu t’es battue ?
— Je balance pas !
— Je veux les noms des filles qui avaient un couteau.
— Je ne suis pas une donneuse !
Daniel réfléchit un instant.
— Où est ton réveil ? interrogea-t-il soudain.
Marianne resta bouche bée. Elle dirigea son regard vers le lit, un dixième de seconde. Mais c’était déjà trop. Il inspecta le dessous du sommier, en ressortit les débris du réveil, du baladeur et la cartouche de Camel. Il ouvrit un des paquets. Justine observait la scène avec une angoisse grandissante. Daniel colla un morceau du lecteur de disques sous le nez de Marianne.
— Et ça ? C’est quoi ?
— C’est mon baladeur. Je l’avais posé par terre, j’ai marché dessus en me levant cette nuit.
Il l’empoigna par les épaules.
— Tu arrêtes de te foutre de ma gueule, maintenant ! rugit-il. Tu vas aussi me dire que tu as écrasé ton réveil et que tu as fait tremper tes clopes, c’est ça ?
— Laissez-moi !
— Tu vas nous dire ce qui s’est passé, oui ou merde ?
Il la lâcha, respira profondément pour se maîtriser. Il s’adressa à Justine.
— Je la tiens, tu la déshabilles…
Marianne recula jusqu’au mur tandis que Daniel s’approchait.
— Ne nous oblige pas à te faire mal, Marianne…
Elle baissa les yeux. Elle avait perdu. Elle se résigna à déboutonner sa chemise.
— Vire le tee-shirt, aussi…
Marianne obéit encore. Justine porta une main devant sa bouche. Effrayée. Daniel serra une main sur le montant du lit.
— Le pantalon, ordonna-t-il en cachant son désarroi sous un masque de fer.
Elle s’exécuta. Encore des traces de coups. Et la compresse gonflée de sang entre ses jambes. Le chef ramassa la chemise, la lui donna.
— Ça va, rhabille-toi.
Elle la lui arracha brutalement des mains.
— Tu ne t’es pas battue, Marianne… Tu t’es fait massacrer, c’est pas la même chose ! Tu vas tout nous raconter. J’y passerai la journée, s’il le faut…
— Foutez-moi la paix ! gémit Marianne en se réfugiant sur le lit.
— Qui t’a amenée à la douche, hier ? Monique ou Solange ?
— Solange… Mais elle n’a rien vu… Elle était dehors, ça s’est passé au fond de la pièce.
— Qui a cassé ton réveil ? Et ton lecteur de disques ? Qui a bousillé tes paquets de clopes ? C’est Pariotti, n’est-ce pas ?
— Tu dois nous raconter ce qui s’est passé ! implora Justine.
— Qui t’a fait ça, Marianne ? reprit Daniel. Qui t’a torturée ?
Torturée … Marianne sentit les larmes monter doucement jusqu’à ses yeux.
— Je peux rien dire, sinon, ça recommencera…
— On te protégera !
— Ah oui ? s’écria-t-elle avec colère. Vous m’avez protégée, hier ?
— Calme-toi et raconte…
Marianne se balançait d’avant en arrière sur son lit. Froissant entre ses mains son jean qu’elle n’avait pas eu la force de remettre. Le chef souleva la couverture, découvrant les draps ensanglantés.
— Il faut que tu voies le médecin… Tout de suite.
— Non ! Je veux pas voir le toubib !
— Il le faut, fit Justine en venant près d’elle.
Marianne étouffait entre ses deux anges gardiens, elle se mit à pleurer franchement.
— Pourquoi vous ne me laissez pas tranquille ? C’est déjà assez dur comme ça !
— On ne partira pas tant qu’on ne saura pas ce qui s’est passé ici, s’entêta Daniel. Alors plus vite tu avoues, plus vite on te laisse te reposer…
— Je… J’aurai mon parloir, mercredi prochain ?
— Pourquoi non ? s’étonna-t-il.
— Jurez-moi que vous n’allez pas m’envoyer à l’hosto !
— Ce n’est pas moi qui décide, c’est le médecin. Mais si tu y vas aujourd’hui, tu seras sans aucun doute de retour avant le début de la semaine prochaine…
— Si je parle, elle me tuera…
— Elle ne tuera personne ! s’impatienta Daniel. Ça, je peux te le promettre !
Marianne se mura à nouveau dans le silence.
— Écoute-moi bien ; nous perdons tous notre temps. Au cas où tu n’aurais pas encore compris, je ne quitterai pas cette cellule sans savoir ce qui t’est arrivé hier…
— Mais vous répéterez pas à Solange que j’ai balancé, hein ?
— Je ferai ce que j’ai à faire ! Parle, maintenant !
Elle baissa les yeux. Tordit ses mains l’une contre l’autre.
— Je ne me sens pas bien, murmura-t-elle. Vous auriez pas une clope pour moi ?
Il tira un paquet de sa poche. Conscient qu’elle essayait de gagner du temps. Marianne commença à livrer quelques mots.
— Elle est venue me chercher pour la douche… J’étais étonnée parce que Justine m’y avait déjà emmenée mardi matin… Mais elle m’a expliqué que le directeur avait décrété qu’en été, ce serait une douche par jour.
— Ben voyons ! Et t’as gobé ça ?! Bon… Ensuite ?
— Ensuite… Je ne me suis pas méfiée… J’étais en train de me laver et…
Elle cessa sa confession. Daniel émit un soupir d’agacement.
— Continue, Marianne…
Et soudain, elle se libéra. Le chef marchait lentement dans la cellule en écoutant son effrayant récit. Justine avait pris sa place sur le lit, un bras sur les épaules de la jeune détenue.
L’attaque dans les douches, la tentative d’excision. Les coups de la Marquise. Ses paroles. Et puis la fin de l’après-midi, le nettoyage forcé des douches. Les coups, à nouveau.
— Elle… Elle a exigé que je la supplie… Je l’ai fait.
Marianne fondit à nouveau en larmes, Justine caressa ses cheveux.
— J’étais à genoux, je lui demandais pitié ! Elle avait l’air de prendre son pied ! Putain !
Daniel fumait cigarette sur cigarette. Prêt à exploser.
— Elle m’a menacée de… Que si je parlais, ça recommencerait… Et j’ai perdu connaissance… Je me suis réveillée alors qu’il faisait nuit.
— Monique n’est pas venue t’apporter le repas du soir ? s’étonna Daniel.
— Personne n’est venu… J’ai rien bouffé, hier… J’ai bouffé que de la matraque…
Voilà, c’était enfin terminé. Le gradé écrasa sa cigarette d’un geste nerveux.
— Justine, tu vas chercher le toubib. Moi, je m’occupe de Pariotti.
— Non ! hurla Marianne avec effroi. Faut pas aller la voir !
Il ne répondit même pas et claqua la porte de la cellule avec violence.
Dans le couloir, Daniel croisa Monique qui prenait son service. Il oublia de la saluer.
— C’est vous qui avez amené les repas du soir, hier ? demanda-t-il durement.
— Non. C’est Solange…
— Et vous avez vu Marianne ?
— Marianne ? Je l’ai vue avant la promenade de l’après-midi mais elle a refusé de descendre…
— Vous n’avez rien remarqué ? Vous avez de la merde dans les yeux ou quoi ?
La gardienne resta bouche bée.
— Marianne a été torturée, hier ! Et vous ne vous êtes aperçue de rien !
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