— On dirait du sang…
Marianne ferma les yeux. Le cauchemar continuait.
— Je sais pas… Je vais faire le ménage de toute façon…
— T’es sûre que ça va ? T’as froid ?
— Non, pourquoi ?
— Pourquoi t’as mis un bandana autour du cou, alors ?
Les nerfs de Marianne cédèrent d’un seul coup. Elle avait tellement envie d’avouer, de se soulager.
— Putain ! Tu vas m’emmerder longtemps avec tes questions ? Tu me fais chier avec ton interrogatoire, à la fin ! On dirait la Gestapo !
La déception, puis la colère ridèrent le visage de la gardienne.
— Tu n’as pas à me parler comme ça, Marianne !
— T’as qu’à me foutre la paix !
— Je suis sûre que tu me caches quelque chose !
— Rien du tout ! s’emporta Marianne. Tu délires, c’est tout !
Elle laissa échapper un gémissement de douleur. Se sentant partir, elle se retint à la table. Justine voulut la soutenir, Marianne la repoussa avec brutalité.
— Tu sors de ma cellule ou je te sors moi-même ?
Justine trouva Daniel en train de boire son café. À sa tête, il comprit que quelque chose clochait.
— Je voudrais te parler de Marianne… Elle est bizarre, ce matin.
— Pourquoi, y a des matins où elle n’est pas bizarre ? répliqua-t-il en jetant un œil à son journal.
— Je suis sérieuse.
Il mit le canard de côté, se concentra sur la jeune surveillante.
— Je suis restée un peu avec elle pour le café, comme souvent… Elle semblait mal à l’aise que je sois là. J’ai remarqué qu’elle avait un bleu sur la joue, je lui ai demandé pourquoi… Elle prétend avoir glissé et s’être tapée contre le lavabo.
— Tout cela n’est pas bien méchant… Elle a toujours un bleu quelque part de toute façon !
— J’ai remarqué ensuite des traces sur son poignet droit…
L’instinct du chef commença à se positionner sur le mode alerte.
— Là, elle n’a pas trouvé d’explication… Et puis après, j’ai vu du sang séché, par terre… Je l’ai questionnée, elle a pété une durite ! Paraît que je la fais chier avec mes questions ! Elle m’a même menacée si je ne quittais pas la cellule.
— Elle t’a menacée ? Toi ?
— Oui… Je te jure qu’elle est bizarre ! Je l’ai trouvée tout habillée, ce matin. Elle porte un foulard autour du cou, comme si on était en plein hiver. Et quand elle a voulu se lever, elle a failli tomber, elle a même crié. Comme si elle avait mal, tu vois… J’ai l’impression qu’elle est malade ou blessée… Et qu’elle ne veut surtout pas qu’on le sache.
— Tu pourrais peut-être retourner la voir, proposa Daniel. Lui parler encore.
— J’ai peur qu’elle ne devienne violente, avoua Justine.
— Bon, alors on y va ensemble… Je finis ma clope et on lui rend une petite visite.
Marianne essayait de se rendormir mais ses nerfs refusaient de se démêler. Je n’aurais jamais dû parler à Justine sur ce ton ! Je suis vraiment stupide !
Quand Daniel et la surveillante franchirent le seuil de son cagibi, elle comprit que les problèmes s’annonçaient. Elle décida de rester sous la couverture.
— Salut, Marianne ! attaqua le gradé. Paraît que t’es de mauvais poil ce matin ?
— C’est parce que j’ai mes règles ! argua-t-elle avec impudence.
— J’aimerais qu’on discute un peu tous les trois. Alors, debout…
— J’ai pas envie de discuter, pas envie de me lever. Juste envie de dormir !
— Arrête, Marianne… Lève-toi… Avant que je m’énerve.
Elle soupira et se résigna. Elle se redressa sur le lit, prenant soin de remonter la couverture pour cacher le sang qui imprégnait les draps blancs.
— Bon, voilà, je suis levée ! lança-t-elle avec humeur. Alors ? De quoi voulez-vous qu’on parle ?
— J’aimerais que tu m’expliques pourquoi tu as menacé Justine tout à l’heure…
Marianne jeta un œil furibond à la gardienne.
— C’est pas beau de rapporter !
— Ça suffit ! coupa le chef d’un ton irrité.
Marianne croisa les bras, serra les jambes. Il se pencha vers elle, lui releva le menton.
— C’est quoi cette ecchymose sur ton visage ?
— J’l’ai déjà dit ! Je suis tombée… Ça vous arrive jamais de tomber, chef ?
Il la força à se mettre debout. Elle ne put contenir un bref gémissement. Mais qui n’avait pas échappé à l’oreille aiguisée du gradé.
— Qu’est-ce qu’il y a Marianne ? Je t’ai fait mal ?
— Non…
Il l’examinait de la tête aux pieds, la sondait aux rayons X, tournant autour d’elle pour la mettre mal à l’aise.
Et, soudain, il arracha le bandana autour de son cou, dévoilant la marque violette sur sa gorge.
— Et ça, c’est quoi ? C’est le lavabo qui a essayé de t’étrangler ?
— Très drôle, chef !
— Qui t’a fait ça ?
— Personne.
Daniel inspecta la cellule. Il s’arrêta sur la trace rouge oubliée au pied de la table. Derrière la cloison, il vit le sang près du lavabo et dans la cuvette des toilettes. Il ressortit avec le sac plastique dans une main, le jean dans l’autre, jeta le tout aux pieds de Marianne.
— Et ça ? Tu expliques ça comment ? Un sac entier de mouchoirs pleins de sang… Un pantalon plein de sang également.
— J’ai mes règles ! Vous êtes sourd ou vous faites exprès de pas comprendre ?
— Tu devrais aller consulter le médecin ! Parce que ça ressemble plutôt à une hémorragie !
— Je savais pas que vous étiez aussi gynéco, chef !
— OK. Puisque tu veux rien dire… Justine, fouille cette détenue, s’il te plaît.
La colère explosa dans les yeux de Marianne.
— Vous n’avez pas le droit ! s’offusqua-t-elle.
— Article six du règlement intérieur, rétorqua sèchement le gradé. Je peux demander une fouille n’importe quand. Sur n’importe quelle détenue. Selon mon bon vouloir…
Justine s’avança, Marianne recula.
— Toi, tu t’approches pas !
Le chef haussa le ton.
— Tu lèves les bras et tu écartes les jambes !
— Allez vous faire foutre !
Daniel lui répondit en souriant :
— Article sept du règlement…
— Tu vas me réciter ton putain de règlement en entier ? vociféra Marianne.
— Article sept du règlement, poursuivit posément le chef. Le refus par un détenu de se soumettre à la fouille peut entraîner un placement en quartier disciplinaire de trois à sept jours… Autrement dit, tu seras au cachot mercredi prochain et tu rateras ton parloir.
— Enfoiré !
— Si tu rajoutes l’insulte par-dessus le marché, ça sera une bonne dizaine de jours…
— Lève les bras, Marianne, conseilla Justine d’une voix plus douce.
Marianne assassina Daniel du regard, mit les bras derrière la nuque. Serra les mâchoires aussi fort que possible. La surveillante commença par palper le haut de son corps. Sur une côte, ce fut insupportable. Marianne tressaillit. Justine pressa ses mains autour de la taille, sur les fesses.
— Écarte les jambes Marianne, demanda-t-elle.
Justine commença par la jambe droite, une main à l’intérieur de la cuisse, l’autre à l’extérieur. Elle descendit jusqu’à la cheville. Puis passa à la gauche. Marianne se concentra au maximum.
Mais quand les mains appuyèrent sur sa plaie, elle hurla tout en repoussant violemment l’agresseur. Justine termina sur les fesses, Marianne recula jusqu’au mur, pliée en deux.
Daniel aida la surveillante à se relever puis s’approcha de Marianne.
— OK, on arrête de jouer ? Déshabille-toi…
Elle le dévisagea avec panique.
— Vous n’avez pas le droit !
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