— Excuse-moi, dit-elle soudain. Tout ça, c’est de ma faute… Tu ne m’as jamais forcée à rien.
— C’est un peu plus compliqué que ça, je crois.
— Je suis pas en état de penser à des trucs compliqués…
Elle passa ses bras autour de son cou. Ils étaient à genoux par terre, dans les bras l’un de l’autre.
— Fais-moi comme cette nuit, demanda-t-elle en essuyant sa figure sur sa chemise bleu ciel.
— Pas maintenant, Marianne, chuchota-t-il.
— C’est à cause de ce que j’ai dit que t’as pas envie ?
— Ça n’a rien à voir ! assura-t-il en la repoussant gentiment. C’est parce qu’il est trois heures de l’après-midi… Les surveillantes peuvent débouler d’un moment à l’autre.
— De toute façon, elles sont déjà au courant !
— Non, ma belle ! Il n’y a que Pariotti !
— Justine aussi… Elle nous a surpris cette nuit… Mais c’est pas grave, elle est pas contre…
Le visage du chef blêmit. Il semblait de plus en plus inquiet. Il regardait Marianne ramer dans ses divagations. Hésitait à la croire. C’était peut-être l’effet de l’héroïne. Peut-être pas. Leur attitude, ce matin… Elle continuait à agiter les bras, comme si elle chassait une mouche qui tournoyait autour d’elle.
— Je voulais que tu saches que tu vas me manquer, poursuivit-elle.
De plus en plus surprenant.
— Te manquer ? Tu sais, je n’ai pas l’intention de partir…
— Moi si, confessa-t-elle.
Il la vit soudain pendue aux barreaux de la fenêtre. Ou brûlée vive dans l’incendie de sa cellule. Ou vidée de son sang. Il la secoua un peu brutalement.
— Marianne ! Je ne veux pas que tu meures !
— Mourir ? Au contraire… Maintenant que je vais sortir, j’ai pas envie de mourir…
Il la contempla avec incompréhension. Il ne devait pas oublier qu’elle était sous l’emprise d’une drogue puissante. Elle rêvait à sa libération, il devait entrer dans son jeu, ne pas casser son délire. Il tenta de la rassurer.
— Mais quand tu sortiras, on pourra continuer à se voir ! Ce sera dehors, simplement…
Ses propres paroles lui faisaient horreur. Quand tu sortiras, je moisirai déjà dans mon cercueil. Les prunelles de Marianne clignotaient comme un sapin de Noël.
— Je le savais ! souffla-t-elle avec un sourire ému. Je savais que tu viendrais avec moi ! Qu’on ne se quitterait pas !
Elle l’enlaça à nouveau. Il étouffait de tendresse.
— Non, on ne se quittera jamais, Marianne…
— Promis ?
— Promis.
Il peina à la faire lâcher. Il la porta jusqu’au lit, remonta la couverture sur ses hallucinations. L’embrassa sur le front avant de se diriger sur la pointe des pieds vers la porte. Un peu trop émotionné pour affronter le reste de l’après-midi.
— Daniel ?
— Oui ?
— Tu verras, la cavale, c’est pas si dur… On s’en sortira… Et puis, je te protégerai.
Mercredi 22 juin — 13 h 15
Maudites crampes d’estomac. Casiers désespérément vides. La faim tenaillait Marianne, assise devant son plateau-repas, froid depuis longtemps.
Pourtant, elle ne pouvait rien avaler. Ce n’était même pas de la nourriture. Plutôt une infâme mixture tout juste bonne à engraisser les porcs. Et encore, des porcs affamés… Non, la faim était encore plus supportable que l’idée d’ingurgiter ce mélange diabolique qui allait à coup sûr lui détartrer les intestins.
Elle fuma une cigarette pour tromper son estomac trop vide. But un litre d’eau par-dessus. Elle s’était dépensée sans compter pendant la promenade du matin. Avait même aligné plus de pompes que VM ! D’où cette fringale impossible à rassasier. Pourtant, il faudrait tenir jusqu’à dix-neuf heures. En espérant que les apprentis sorciers de la cuisine seraient plus inspirés ce soir.
Elle s’allongea, brancha son lecteur de disques. Jay Kay se déchaîna dans ses oreilles, elle se trémoussa sur le matelas agonisant. Passer le temps jusqu’à la promenade. Rêver encore et encore. Désengourdir son esprit cadenassé par quatre années de taule. Lui réapprendre l’idée de liberté.
Brusquement, son cœur fit un bond démesuré. La Marquise, droite comme un piquet, juste à côté du plumard. Marianne appuya sur le bouton off et se redressa.
— Douche ! annonça la surveillante. Je t’appelle depuis cinq minutes…
Marianne ôta les écouteurs de ses oreilles.
— J’ai déjà eu la douche hier.
— Comme c’est l’été, le directeur a décidé d’accorder une douche tous les jours, à chaque détenue… Alors ne me fais pas attendre.
— Le brave homme ! ironisa Marianne en se levant.
Bizarre qu’elle ne me balance même pas une petite insulte ! songea Marianne en prenant sa trousse de toilette. Elle a peut-être renoncé, finalement. J’l’ai remise à sa place, hier ! J’lui ai cloué le bec !
Mais rien que de voir son visage, de humer son parfum, Marianne avait envie de lui sauter à la gorge.
Emma. Morte par ta faute.
Elle attrapa ses affaires puis se rendit dans le couloir où elle était la première. Appuyée au garde-corps, elle continua à danser sur les rythmes déjantés de Jay Kay résonnant encore dans sa tête.
Le troupeau se forma lentement, au gré des portes qui s’ouvraient. Parmi les brebis en route vers le toilettage, Marianne reconnut trois des Hyènes. Privées de leur chef de meute, maintenant. Incapables de partir en chasse. Elles baissèrent les yeux face à l’exécutrice. Alors elle se surprit à déguster son pouvoir.
Elles me craignent ! Putain, elles ont la trouille !
Le petit bataillon se mit en marche au pas militaire. La Marquise les enferma dans la pièce carrelée, moisie jusqu’à l’os. Marianne se déshabilla et, tongs aux pieds, entra dans la troisième douche. La moins répugnante. L’eau était tiède. Pas plus. Mieux que rien. Elle se savonna généreusement, se shampouina rapidement puis se rinça en fermant les yeux. Délicieux. Surtout deux jours d’affilée !
Mais soudain, des mains l’agrippèrent. Elle bascula, heurtant la porcelaine de plein fouet. Elle rouvrit les yeux, le savon lui brûla la cornée. Deux ombres l’extirpèrent brutalement du bac et la traînèrent jusqu’au fond de l’allée centrale, avant de la plaquer sur une vieille table branlante.
Elles étaient toutes là. Neuf taulardes liguées contre elle.
Crime organisé.
Marianne comprit. Guet-apens orchestré par Solange. Sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Une des Hyènes, postée derrière, lui serrait le cou avec son bras et la bâillonnait d’une main. Deux autres lui tenaient les poignets. Encore deux autres détenues pour lui entraver les chevilles. Impossible de bouger. L’escadron de la mort avait tout prévu. Trois filles restaient à distance, se contentant d’assister à l’exécution. Et la neuvième s’avança vers elle, une lame à la main. Marianne se rappela subitement son prénom. Mémoire sans faille au moment où la mort se présente. Brigitte, le bras droit de Giovanna au temps de sa splendeur. Une Black au crâne rasé. Impressionnante.
— Écartez-lui les jambes ! ordonna Brigitte.
Marianne tenta d’appeler au secours. Mais qui appeler, de toute façon ? Elle se cambra, utilisa toute sa puissance pour se dégager. En vain. Ses yeux hurlaient de frayeur. Elle savait ce qui l’attendait ; la mort par hémorragie. Écartelée sur une table, transie de froid et de peur. Voilà comment elle allait finir.
Non, elle ne pouvait renoncer maintenant. Malgré les cinq paires de mains qui l’entravaient, elle parvint à se soulever de la table. Avant d’y retomber lourdement. Nouvel échec. Celle qui la bâillonnait fut tout de même déstabilisée et un hurlement tragique s’échappa de la bouche de Marianne. Mais la main se plaqua à nouveau sur ses cris désespérés.
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