— Elle me harcelait jour et nuit, votre chère collègue ! C’était une pourriture ! Une sadique ! Dès que je suis arrivée, elle a voulu me briser. Elle m’empêchait de pioncer, fouillait ma cellule tous les jours. De toute façon, elle s’amusait à martyriser les détenues ! C’était son jeu favori !
— Je ne veux pas en entendre plus ! coupe le chef. Tu ne travailleras pas ! C’est bien compris ?
Elle flanque un coup de pied dans le mur. Se met à trembler de plus belle. Il vient tout près.
— T’es en manque ou je me trompe ? C’est pour ça que tu as pété les plombs, tout à l’heure ?
— Peut-être…
— Manquait plus qu’une tox !
Marianne appuie son épaule contre le mur. Se balance d’avant en arrière.
— J’ai besoin de cigarettes, murmure-t-elle. Vous m’en donnez une, s’il vous plaît ?
Il la regarde bizarrement. Mais elle a déjà remarqué ce drôle d’air dans ses yeux. Sans équivoque. Elle lui fait de l’effet.
— Je peux t’en fournir, propose-t-il.
Elle l’avait senti arriver mais n’en croit pas ses oreilles.
— Une cartouche par semaine.
— Et… Et qu’est-ce que vous voulez, en échange ?
— Que tu te tiennes tranquille.
Elle sourit comme une enfant. C’est tout ?
— Mais il y a autre chose que je veux…
Évidemment. C’était trop beau pour être vrai.
— Quoi ?
— Toi.
Emmanuelle poussait d’étranges gémissements, marmonnait des mots incompréhensibles. Sans doute les prénoms de ses enfants suppliciés.
Marianne se leva, avec difficulté tant ses muscles étaient tétanisés. Elle grimpa sur le premier barreau de l’échelle, cala sa main dans la sienne. Les démons semblèrent s’enfuir aussitôt. Elle la lâcha doucement, redescendit sur son matelas, prit son oreiller et le colla contre son ventre.
Elle attendait. Qu’il vienne. Lui donner sa pitance. Lui donner son plaisir aussi. Jamais elle n’aurait cru que quelqu’un puisse avoir tant de pouvoir sur elle. Puisse autant compter. Elle attendait. Qu’on lui annonce son parloir. Qu’on lui vende sa liberté.
Parfois, ça l’effrayait un peu. Tellement longtemps qu’elle n’avait pas mis un pied dehors ! Tellement longtemps qu’elle était dans une cage, avec les barreaux en guise d’horizon. Qu’on lui apportait sa nourriture, comme on nourrit les animaux. Qu’on la baladait en laisse. Jamais elle ne pourrait visiter un zoo après sa sortie !
Soudain, elle entendit des pas. Sourit à la pénombre. Il entra, se faufila dans la tanière. Posa la cartouche sur la table et vint près d’elle, conscient qu’Emmanuelle ne se réveillerait pas. Les mains crispées sur l’oreiller, les jambes qui bougeaient toutes seules… Les yeux noirs l’appelaient à l’aide. Il lui tendit la main, elle se laissa emmener.
— Tu as la came ? chuchota Marianne. La seringue ?
— Oui. Dans ma poche. Ne t’inquiète pas.
Ils quittèrent la cellule, marchant par les couloirs déserts. Piétinant sans vergogne le sommeil des prisonnières. Il tourna le verrou de la bibliothèque. Elle tremblait de plus en plus, se réfugia dans ses bras.
— J’en ai besoin, maintenant…
— Je m’en doute, dit-il en caressant ses cheveux. Je t’ai apporté un autre petit cadeau…
Il déposa un sachet sur la table, la seringue, le garrot. Et un réveil flambant neuf. Avec écriture digitale rouge, visible dans la nuit. Elle le remercia d’un sourire. Elle n’aimait pas qu’il la voie se piquer mais ne pouvait attendre une heure de plus. Ne pouvait s’offrir dans cet état proche de la crise.
Quand elle enfonça l’aiguille dans la veine, il tourna la tête. Fixa les collections de bouquins. C’était déjà fini. Elle venait de s’asseoir sur la moquette. Elle eut la force d’arracher l’aiguille plantée dans son bras. S’allongea sur le dos. Ferma les yeux.
Mardi 14 juin — Cellule 119 — 15 h 50
Justine ouvrit la porte.
— Rebonjour les filles ! Vous descendez en promenade ?
— Ouais, répondit Marianne en laçant ses chaussures.
Elle n’y était pas allée ce matin ; mais l’enfermement devenait trop dur. Et elle se savait à nouveau d’attaque pour affronter les autres. Pour assumer le meurtre de la Hyène.
— Moi, je vais rester ici, dit Emmanuelle. J’ai pas envie…
— Faut sortir de là, Emma !
— Elle a raison, renchérit Justine. Il faut prendre l’air ! Vous n’avez rien à craindre…
— Giovanna n’est plus là ! rappela Marianne avec une sorte de rage.
— Ses copines, oui !
— Si tu ne t’éloignes pas de moi, elles n’oseront pas te toucher. Allez, viens…
— Je préfère rester ici et écrire à mon fils…
— Tu auras toute la soirée pour lui écrire ! s’emporta Marianne. Allez, amène-toi !
Emmanuelle fondit soudain en larmes, cachant son visage sous l’oreiller.
— Laisse tomber, soupira Justine. Laisse-la tranquille…
Marianne abandonna et suivit la surveillante jusque dans le couloir.
— T’as vu pour mon parloir de demain ?
— Désolée, Marianne. Tu n’as pas de visite prévue cette semaine… Ni demain, ni samedi.
Marianne faillit tomber. Elle s’accrocha à la rambarde de la coursive.
— Je… Je veux rentrer, balbutia-t-elle.
— Qu’est-ce que tu as ? Tu es toute blanche…
— Je veux rentrer ! s’écria-t-elle. Ouvre-moi !
Plantée devant la porte 119, elle attendait.
— Faut pas te mettre dans cet état, Marianne !
— Ouvre… S’il te plaît.
Elle entra enfin, Emmanuelle la considéra avec stupéfaction.
— Tu vas pas dans la cour ?
Marianne alluma une cigarette et s’affala sur le lit. Emmanuelle la rejoignit.
— Mais… Pourquoi tu n’es pas descendue ?
— Laisse-moi !
Emmanuelle recula jusqu’à la chaise. Marianne se leva et se posta sous la fenêtre. Elle ne pouvait même pas se faire un fixe, Daniel ayant préféré garder la drogue avec lui, en sécurité. Elle avait l’impression d’avoir reçu un coup de poignard dans le dos. Abandonnée, trahie. Le flic ne reviendrait pas. Il s’était moqué d’elle. Son plan avait changé, il avait trouvé un autre détenu, un qui avait moins de scrupules.
— Mais pourquoi j’ai pas dit oui tout de suite ! hurla-t-elle soudain. Putain ! Mais pourquoi j’ai pas dit oui ?!
Elle flanqua un coup de pied dans le mur, puis un coup de poing. Encore un autre. Le sang coula contre la peinture blanche, Emmanuelle se précipita.
— Arrête ! supplia-t-elle.
— Lâche-moi !
Elle repoussa Emmanuelle si fort qu’elle alla percuter la table, l’emportant dans sa chute. Puis Marianne se remit à frapper. Elle s’écrasait les phalanges contre le béton insensible, criait de rage. Elle donna même un coup de tête. Emmanuelle se rua sur la porte et tambourina.
— Au secours ! Venez vite !
Les surveillantes étaient de promenade. Mais elle ne pouvait pas les appeler par la fenêtre avec Marianne juste en dessous. Mieux valait ne pas se mettre entre elle et le mur ! Dix minutes peuvent parfois paraître éternelles. Pourtant, Emmanuelle eut de la chance. Daniel passait par là pour rejoindre la cour.
— Faites quelque chose ! implora Emmanuelle. Elle va se tuer !
Daniel se jeta sur la forcenée. Il l’empoigna par les épaules, la retourna. Reçut en pleine poitrine le missile destiné au mur. Il fit deux mètres en arrière mais resta sur ses jambes. Marianne, hurlant toujours de désespoir, lança une chaise en travers de la cellule. Emmanuelle se baissa juste à temps, dans un réflexe de survie. Puis la furie s’en prit au lit, tenta d’en casser les montants à grands coups de pied. Daniel aurait aimé avoir les menottes sur lui. Elle ne semblait même pas le voir, trop occupée à se détruire. Il parvint enfin à la ceinturer, la plaqua sur le matelas, appuyant un genou au milieu de son dos. Elle continuait à ruer dans les brancards. Elle criait, mordait les draps. Le chef consulta Emmanuelle, terrorisée à l’autre bout de la cellule.
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