— C’est sans doute mon grand âge !
— T’as quel âge, au fait ?
Il frôla sa peau avec ses lèvres.
— Vingt-cinq ans.
— T’es con !
Elle se laissa aller dans ses bras, au cœur de cet endroit magique. Elle se montrait plus entreprenante que les autres soirs ; elle s’habituait à lui, à sa peau, à ses mains. Devinait ses gestes. Apprenait un art qu’elle ne connaissait pas. Il continua ses avances mais s’arrêta au moment tant attendu. Il avait saisi son visage entre ses mains. Elle fixait le bleu de ses yeux, le corps en fusion.
— Dis-le, Marianne…
— Quoi ? Qu’est-ce que tu veux que je te dise, encore ? Tu ferais mieux de la fermer et…
— Dis-moi que tu as envie de moi…
Était-il aveugle ? Sourd ? Ou privé de ses autres sens pour ne pas le voir ? Non, il voulait l’entendre avouer sa faiblesse nouvelle. Elle ouvrit les lèvres. Mais rien ne voulut sortir. Comme ce matin, lorsqu’elle avait songé implorer son adversaire.
— Dis-le-moi, Marianne…
Elle tenta de le contenter en l’embrassant mais il refusait toujours d’aller plus loin. Pourquoi était-ce si dur ? Trop intime, trop personnel. Trop enfoui au fond d’elle, comme un secret indicible. Livrer ses émotions, déshabiller son âme… Elle resserra son étreinte, pour le lui montrer, puisque les mots ne venaient pas. Mais il tenait bon. Incorruptible.
— Dis-le, Marianne…
Sa voix était presque autoritaire, contraire à ses gestes tendres qui incendiaient chaque centimètre de sa chair. Elle avait chaud, elle n’en pouvait plus. Électrifiée de la tête aux pieds, elle le repoussa brutalement. Il me gonfle avec ses fantasmes et ses questions ! La séparation lui infligea une déchirure intérieure. Gigantesque. Alors elle l’attira à nouveau contre sa peau. Avec encore plus de brutalité. Avant d’approcher sa bouche de son oreille.
Elle lui avoua, trois fois d’affilée. Finalement, ce n’était pas si difficile.
Mercredi 8 juin — 10 h 10 — Cour de promenade
Marianne observait du coin de l’œil Giovanna qui se pavanait avec sa clique à l’autre bout de la cour. Elle avait hésité à descendre, mais la lumière était trop belle, ce matin. L’effet d’un halogène sur un papillon. Emmanuelle était restée en cellule. Peut-être ne sortirait-elle plus jamais. Justine s’approcha, Marianne lui sourit.
— Daniel m’a raconté… Ce qui s’est passé lundi.
— On va pas en faire un fromage !
— J’ai peur pour toi, avoua la surveillante. Giovanna ne va pas en rester là. Tu ferais mieux de l’ignorer.
— Tu veux pas que j’aille lui lécher le cul, pendant que t’y es ?! Si elle me cherche, elle me trouvera, point ! Et elle aura ce qu’elle mérite, fais-moi confiance.
Justine soupira, Marianne massa son genou douloureux.
— Pourquoi j’ai pas mon bon pour le parloir de cet après-midi ?
— Quel parloir ? s’étonna la gardienne. Tu n’en as aucun de prévu… J’ai distribué tous les bons ce matin.
Devant la mine déconfite de Marianne, elle ajouta :
— Je suis désolée… Ton ami viendra sans doute la semaine prochaine.
Marianne se renfrogna dans un silence douloureux. Qu’est-ce qu’il fout le commissaire Francky ?
Une peur sournoise s’immisça en elle. Et s’il ne revenait plus ? S’il en avait choisi une autre ? Non, impossible. Il attendait une réponse. C’est moi qu’ils veulent. Moi, et personne d’autre. Il avait sans doute décidé de lui accorder un délai de réflexion supplémentaire. Après tout, il avait juste dit à bientôt. Oui, il serait au rendez-vous mercredi prochain. Inutile de paniquer. Je ne suis pas à une semaine près. C’est quoi, une semaine, quand on attend depuis des années ? Comme ça j’aurai le temps de faire la peau à Giovanna.
Elle se dirigea lentement vers VM. Elle arrivait désormais à poser le pied par terre, mais au prix d’une douleur encore aiguë. VM continua ses pompes tandis que Marianne s’asseyait par terre. C’est alors que la Hyène s’offrit le plaisir d’une petite visite.
— Tu t’es réfugiée près de ton garde du corps, à ce que je vois ! T’as la trouille ?
VM se redressa. Elle tendit la main à Marianne, la hissa sur ses jambes.
— La seule chose qui me fait peur, c’est que je vais être obligée de te massacrer ! Que ça risque de me coûter quelques années de plus… Remarque, vu que j’ai déjà pris perpète, c’est pas bien grave.
— T’inquiète, c’est moi qui vais te tuer ! Et ensuite, je m’occuperai de ta petite copine…
— Tu parles pour moi ? vérifia VM en se roulant une cigarette.
— Je parle de la folle qui partage sa cellule.
— Tu ne la toucheras pas ! grogna Marianne.
— Oh si ! Je lui ouvrirai le ventre, je ferai un nœud avec ses tripes… Et puisque t’as décidé de prendre la défense de cette merde, tu vas crever toi aussi…
VM fit un pas en avant, la Hyène recula doucement.
— Va polluer l’autre côté de la cour, conseilla-t-elle froidement. Sinon, je vais être obligée de m’en mêler, une fois de plus.
— Gréville peut pas se défendre toute seule ? Hein, c’est ça ? rétorqua la Hyène avec hardiesse.
— Marianne est aussi forte que moi. Sinon plus. Quand elle sera guérie, je la regarderai te défoncer la gueule. Et ça va me plaire, tu peux me croire ! Maintenant, dégage.
Justine s’approcha, Giovanna profita de l’occasion pour s’éloigner la tête haute. Marianne était toujours debout, les poings serrés.
— Assieds-toi, ordonna VM. Et reste calme. Ce n’est pas le moment. Ce n’est pas aujourd’hui.
Marianne se laissa glisser contre le grillage.
— Faut que je me la fasse…
— T’as plus le choix, admit VM. Sinon, elle va pas te lâcher… Mais je serai pas toujours là pour t’aider. Alors, tant que tu ne tiens pas sur tes jambes, tu devrais rester en cellule. Je sais que c’est dur mais c’est plus prudent. Demain matin, je serai absente… Je suis attendue chez le juge d’instruction. Pour ma tentative d’évasion.
— Ah… Il est comment, le juge ?
— C’est une femme. Nadine Forestier.
— Pas possible ! C’est elle qui a instruit mon dossier quand j’ai buté le vieux et le flic…
— Elle m’a l’air assez coriace !
— C’est une charogne ! C’est à cause d’elle que je me suis pris perpète ! Elle a cuisiné mon dossier aux petits oignons, j’te dis pas comment ! Elle m’a enfoncé la tête sous l’eau ! Instruire à charge et à décharge, y disent ! Ben elle, c’est à charge, un point c’est tout !
— Je m’en suis aperçue. Elle espère encore que je vais balancer mes complices !
— T’avais des complices ?
— J’ai quelques vieux amis, dehors. Des amis fidèles…
— Tu… Tu vas réessayer ?
— J’essaierai toujours, Marianne. Je n’abandonnerai jamais.
Solange n’était pas de service aujourd’hui mais Daniel l’avait convoquée. Elle entra, il posa le rapport particulièrement bien ciselé sur son bureau. Elle prendrait un blâme à coup sûr.
— Assieds-toi, proposa-t-il.
— Je vous remercie, mais je préfère rester debout.
— Comme tu voudras. J’ai terminé mon rapport sur le comportement inqualifiable que tu as eu lundi après-midi envers mademoiselle de Gréville.
Il trouva étrange qu’elle gardât un sourire aussi détendu dans pareille situation.
— Tu veux que je te le lise avant de le remettre à Sanchez ?
— Ce ne sera pas nécessaire… puisque vous n’allez pas le lui donner.
Il sourit à son tour.
— Ah tu crois ça ? Eh bien tu te goures ! Je vais le lui apporter tout de suite !
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