Il attrapa sa main, la posa sur sa braguette. Elle la retira en vitesse comme si elle venait de se brûler. Il se mit à rire. Effectivement. Il était même en grande forme.
— J’vois pas ce que t’attends, alors ! grogna-t-elle. Si tu veux rien d’autre, tu devrais partir, maintenant !
Il effleura sa colonne vertébrale ; elle tressaillit.
— T’as sommeil ?
— Non. Je me ferais bien un fixe…
— Vas-y, te gêne pas pour moi.
— Je préfère être seule pour ça.
Une main toujours sous son tee-shirt, il continuait à caresser doucement son dos. Ça lui filait du 220 partout. Elle ne comprenait pas à quoi il jouait, rêvait seulement de s’injecter une dose.
— Je veux être seule ! Alors maintenant, tu vas t’en aller ! s’emporta-t-elle.
— Vas-y ! Il suffit de me porter jusque dans le couloir ! Je ne pèse que cent kilos et des poussières, ça ne devrait pas te poser de problèmes !
— Pauvre con !
— Ne sois pas vulgaire, ma belle. Ça ne te va pas du tout…
Elle se dégagea brutalement et s’éloigna enfin. Il convoitait quelque chose d’inédit. Elle s’énervait, devenait dangereuse. Il était peut-être attiré par le risque. Elle soupira et tenta la douceur avec un bel effort de maîtrise.
— Va-t’en, s’il te plaît.
— Non.
Ce nouveau refus la poussa dans ses retranchements.
— Putain, tu me gonfles ! T’as eu ce que tu voulais ? Alors tu me laisses !
— Arrête de crier ! Tu veux ameuter tout le quartier ou quoi ?! Tu as envie d’une dose ? Te prive pas de ton plaisir, ma belle. Tu l’as bien gagné.
Elle se sentit avilie par ce simple mot. Gagné . Elle aurait encore préféré qu’il la traite de pute. Carrément. Ça aurait été plus clair. Elle se mit à bouillir.
— J’ai envie que tu t’en ailles !
Elle lui tournait le dos, boudeuse. Il se leva, la prit par la taille, l’attira contre lui. Embrassa ses cheveux ébouriffés. Sa nuque gracile à la peau laiteuse. Il avait retrouvé les vieilles habitudes. Exiger, dominer, forcer.
— Je veux un truc spécial ce soir… Tu es en manque, non ? Vas-y ma belle, fais-le devant moi.
C’était donc ça qu’il voulait ! C’était peut-être encore pire que ce qu’elle avait imaginé.
— T’es vraiment un tordu !
— Peut-être ! Mais je ne bougerai pas avant d’avoir vu ça…
Elle arriva enfin à le faire lâcher et se retourna, furieuse.
— Ça, jamais !
Il alluma une cigarette, regagna la chaise. Elle soupira à nouveau, croisa les bras. Combat de deux volontés farouches. Mais il savait comment assouvir ce nouveau fantasme. Comment pénétrer dans son intimité, ses secrets.
— Qu’est-ce que tu veux en échange, Marianne ? murmura-t-il.
— Rien ! rugit-elle. Parce que je refuse !
— Je te laisse une dernière chance. Tu peux obtenir ce que tu désires tout en prenant ton pied… Une offre intéressante, non ?
Vrai que c’était alléchant. Après tout, si ça lui faisait plaisir de la voir se piquer… Mais tant de choses lui manquaient. Ne pas se tromper de requête.
— OK, dit-elle.
— Bien, murmura-t-il d’une voix satisfaite… Alors, qu’est-ce que tu veux, ma belle ?
Elle hésitait. Davantage de clopes ? De poudre ? Ou bien ce baladeur dont elle rêvait depuis si longtemps ? Avec quelques disques, bien sûr. Et si elle exigeait un passe-droit pour bosser plus vite ? Pas très excitant comme cadeau ! Pourtant, c’était regagner un peu de liberté.
Elle céda à la facilité. De toute façon, le boulot, elle finirait bien par l’obtenir.
— Je voudrais… Je veux un baladeur et des disques.
— D’accord. Tu n’auras qu’à me faire une liste des disques que tu désires. Pas plus de trois.
Elle se retint de laisser exploser sa joie. Elle n’avait même pas espéré autant.
— Je veux que le baladeur fasse radio, aussi, ajouta-t-elle d’une voix de petite fille capricieuse. Comme celui qui est sur le catalogue. Celui à soixante-quinze euros…
— Tu auras celui-là ! promit-il en souriant.
— T’as pas intérêt à m’escroquer !
— Est-ce qu’une seule fois je n’ai pas tenu parole ?
Il se languissait du spectacle, elle n’était pas très à l’aise.
— Qu’est-ce que tu attends ?
Elle récupéra la seringue, le garrot et une petite cuiller, ouvrit un des deux sachets de poudre. Il épiait chaque geste, n’en perdait pas une miette.
— Tu feras rien d’autre que mater ? Tu profiteras pas que je sois défoncée pour…
— Pour quoi ?
— Je sais pas, moi ! T’es tellement givré…
— Relax ! Je ne ferai rien d’autre que ce que tu voudras.
Elle ne sembla pas relever l’ambiguïté de sa phrase. Elle alluma la lumière, s’installa sur son lit.
— Tu pourras éteindre quand j’aurai fini le shoot ?
Il hocha la tête. Ses yeux brillaient d’un désir qu’elle n’arrivait pas à comprendre. Qu’elle décida d’ignorer. Le garrot en haut de son bras gauche, elle versa la moitié du sachet dans la petite cuiller et mit la flamme du briquet juste en dessous. Elle aspira le tout avec la seringue, palpa son bras à la recherche d’une veine pas trop fatiguée. Il observait toujours, elle eut peur de commettre une maladresse tant sa présence l’embarrassait.
Pense au cadeau, Marianne. Tu vas pouvoir t’offrir des heures de musique, écouter la radio, avoir un lien avec l’extérieur ! Et dans cinq minutes, tu ne t’apercevras même plus qu’il est là.
Elle enfonça l’aiguille. Daniel sentit son cœur se soulever. Mais il ne détourna pas les yeux. Elle desserra le garrot, s’allongea. Il éteignit et se posa près d’elle.
— T’es content ?
— Oui…
Elle avait laissé l’aiguille plantée dans son bras. Il hésita. Décida de la retirer doucement. Nouveau haut-le-cœur. Le néon éclairait son visage en demi-teinte, les yeux mi-clos. Elle avait étendu ses jambes nues, juste à côté de lui. Il posa sa main sur sa peau aussi douce qu’un satin précieux. Remonta jusqu’au genou.
— À quoi tu penses, Marianne ?
— À rien…
Elle laissa la drogue prendre possession de chaque parcelle de son être. Elle n’en était qu’au début du voyage, tenait toujours le gouvernail. Mais dans quelques minutes… Et il serait là. Elle ne pourrait plus rien pour se défendre.
Danger. Trop tard.
Remords terribles, sensation d’avoir ôté son armure face à l’ennemi armé jusqu’aux dents. Elle ouvrit les yeux. Terrorisée.
— Qu’est-ce que tu vas me faire ?
Il lui souriait. Pas un sourire rassurant ou gentil. Plutôt celui d’un carnassier qui se réjouit du festin.
— T’inquiète… Laisse-toi aller…
Cette phrase fit exploser la crainte telle une bombe dans ses tripes. Elle tenta de se redresser. S’effondra à nouveau sur l’oreiller. Déjà trop loin.
Il prit sa main dans la sienne, la porta jusqu’à ses lèvres.
— Tu ne devrais pas t’énerver, Marianne. Profite plutôt de ton plaisir…
Elle referma les yeux, l’ivresse commençait à la soulever. À la téléporter dans un autre monde. Il tenait sa main dans la sienne. Rien de plus. Elle s’était inquiétée à tort. Un sourire qu’il ne connaissait pas se dessina sur son visage délassé.
— À quoi tu rêves, ma belle ?
Elle essaya encore de s’asseoir, il l’aida en la prenant par la nuque. Elle s’accrocha à lui, la tête contre son épaule. Voyage en première classe. Elle écarta sa chemise bleu ciel ouverte, posa une main sur sa peau. Besoin de chaleur animale. Sa bouche effleura la naissance de son cou.
Au milieu de son délire, elle réalisa alors qu’il s’était rasé de près. Elle était contre lui, si loin pourtant.
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