— Tu as hâte ?
— Non… Pas vraiment…
Elle jeta un froid dans l’habitacle.
— T’es si bien que ça avec nous ? s’étonna le capitaine.
— J’ai peur de ce qui m’attend…
— Tu sauras très bien te débrouiller ! affirma le lieutenant.
Me débrouiller ? Et vivre, alors ?
— Il y a quelque chose en moi qui restera toujours là-bas…
Une question lui martelait la tête. Toujours la même. La liberté existe-t-elle vraiment ? L’humain s’entoure de chimères comme il passerait une armure. Le paradis, l’enfer, le bonheur. La liberté ?
*
Hermann décrocha dès la première sonnerie.
— Ma fille est avec vous ?
— Oui.
— Déposez-la à l’arrêt de bus, avenue de la République, ordonna Franck.
— D’accord. Nous y serons dans environ dix minutes.
— Et n’oubliez pas, Hermann ; s’il lui manque un cheveu, je vous tue.
Franck raccrocha. Il gara sa voiture, serra les mains sur le volant. S’instilla une dose de courage. Puis il enfila sa veste pour cacher son arme. À pied, il se dirigea vers l’avenue de la République, poussa la porte d’un troquet, presque en face de l’arrêt. Il commanda un café. Quelques personnes attendaient le bus. La vie battait son plein, indifférente. Personne ne se doutant que l’existence d’une petite fille était en danger. Personne ne se doutant du drame qui coulait dans les veines de son père. Papa va te sortir de là, ma chérie…
Une berline ralentit sur les bandes jaunes. La portière arrière s’ouvrit, Laurine en descendit. Elle alla sagement s’asseoir sur le banc en plastique, suivant certainement les instructions d’Hermann. Franck ne bougea pas un cil, la voiture grise s’éloigna doucement. Il vérifia qu’elle avait quitté l’avenue, scruta les alentours.
Rien à l’horizon, aucun homme en embuscade.
Il régla son café et quitta discrètement le bar. Puis il récupéra sa voiture, effectua le tour du pâté de maisons. Jeta un dernier coup d’œil. Une fois le bus parti, il prit sa place devant l’arrêt et baissa la vitre côté passager.
— Laurine ! Monte, chérie ! Monte vite !
Le visage de l’enfant s’illumina de bonheur. Elle grimpa, se jeta dans les bras de son père.
— Ma puce… Comment ça va ?
Elle ne lui répondit pas. Elle ne répondait jamais. Mais les mots, il les lisait dans ses yeux, aussi verts que les siens. En beaucoup plus tendres. Il boucla sa ceinture puis se remit très vite en route.
— Ils ne t’ont pas embêtée ?
Un petit signe de tête pour dire non.
— Tu as mangé ?
Elle lui montra un jouet, un truc qu’ils donnent avec les menus enfants, dans les fast-food.
— Ah ! dit-il en souriant. C’était bien ?
Apparemment, oui. Elle avait l’air calme. Ils ne l’avaient pas effrayée. Elle était d’une nature confiante. Elle ne connaissait pas le mal.
— Tu ne retournes pas au centre, aujourd’hui. Je vais t’emmener chez Irène… Tu as quelques jours de vacances, mon bébé !
Il devina un peu d’angoisse.
— Tu l’aimes bien, Irène, non ?
Elle émit une sorte de son censé exprimer la colère.
— C’est juste pour quelques jours, ma puce… Après, je viendrai te chercher… Promis !
Elle se mit à renâcler. Déçue. Ayant sans doute espéré passer quelques jours avec papa. Mais Irène, c’était la personne la plus sûre. Aucun lien avec lui, aucune chance qu’ils la localisent. Il surveillait son rétroviseur à intervalles réguliers. Laurine boudait toujours. Il passa une main dans ses cheveux aussi blonds qu’un champ de blé mûr.
— Allez ! Arrête de faire la tête !
Elle consentit à lui sourire. Le plus beau des cadeaux.
— On va faire les magasins, d’abord. Je vais t’acheter quelques trucs… Quelques affaires. Parce qu’on n’a pas le temps de retourner à l’institut. Tu choisiras ce que tu veux, d’accord ?
Évidemment, elle était d’accord ! Quand papa ouvrait le porte-monnaie pour les cadeaux, elle était toujours d’accord.
Ils quittèrent la ville, empruntèrent l’autoroute pendant quelques kilomètres. Laurine s’était assoupie. Comme souvent en voiture. Franck la regardait à la dérobée. Il avait toujours aimé la voir dormir. Parce que, prisonnière de ses rêves, elle ressemblait à toutes les autres petites filles. Il n’y avait plus tous ces tics nerveux qui venaient torturer son si joli visage. Elle semblait enfin normale. Comme il aurait tant voulu qu’elle soit.
La 307 prit la première sortie, Franck s’arrêta au péage. Plus qu’une vingtaine de kilomètres. Il avait pensé prévenir Irène mais craignait qu’Hermann ne le localise avec son portable. Elle aurait donc la surprise. Laurine dormait toujours. Franck ne pouvait se détendre. Même s’il avait sa gosse à ses côtés. Ça lui avait semblé trop facile. Ils avaient capitulé un peu vite. Il les avait sans doute pris de cours. Mais, ensuite ?
J’aurais dû accepter de sacrifier Marianne. Maintenant, je mets tout le monde en danger. Dont ce que j’ai de plus cher au monde… Pourtant, il n’arrivait pas vraiment à regretter sa décision. Trop tard, de toute façon. Et puis, tuer Marianne… Autant s’enfoncer un couteau dans le cœur.
Soudain, il remarqua le pare-buffle d’un gros 4×4 dans son rétroviseur. Avec deux hommes à l’intérieur. Ne sois pas parano, Franck. Ils ne t’ont pas suivi, comment veux-tu qu’ils te retrouvent ?
Il accéléra un peu, se trouva coincé derrière une imposante BMW. Elle-même ralentie par une Passat.
— Allez, accélérez, merde !
Le 4×4 lui collait au pare-chocs arrière, maintenant. La BM déboîta pour doubler, se mit à hauteur de la Passat. Et toutes deux pilèrent en même temps. Franck écrasa la pédale de frein à son tour. Le nez de la 307 plongea vers le bitume. Laurine s’éveilla dans un cri d’effroi. Fut projetée en avant, brutalement stoppée par la ceinture. Le 4×4 s’était placé en travers de la route, juste derrière.
Franck dégaina son arme, tandis que les hommes surgissaient des trois voitures. Armés, eux aussi. Et tellement plus nombreux.
C’était la fin. Le canon d’un fusil à pompe se colla contre la vitre, à quelques centimètres du visage de Laurine. Franck la prit dans ses bras. Maigre gilet pare-balles.
Ils étaient six. Cagoulés.
Il était seul. Terrifié.
Pas pour lui. Pour Laurine.
Ils l’avaient emmené dans une maison isolée du reste du monde. L’avaient menotté à une chaise.
— Où est ma fille ?
— Ta gueule !
Qu’attendaient-ils pour lui poser la question ? Au bout de dix minutes, Hermann apparut. C’était donc lui qu’ils attendaient. Il avait le visage crispé. Sans doute mal à l’aise d’être mêlé à cette réunion de malfrats cagoulés.
— Franck… Si vous saviez comme je suis désolé d’employer ces méthodes de voyou !
— Vous n’êtes qu’un enfoiré, Hermann ! Vous en prendre à une gosse de dix ans… J’aurais dû vous descendre au square !
— Vous auriez dû m’écouter ! s’emporta le conseiller. Vous voyez où nous en sommes à cause de votre stupide entêtement ?
— Où est ma fille ?
— Juste à côté. J’ai pensé qu’il valait mieux qu’elle ne vous voie pas dans… cette position.
Franck acquiesça en silence. Ils étaient au moins d’accord sur un point.
— Vous vous êtes cru plus malin que moi… Sauf que j’avais prévu un coup tordu de votre part.
— Comment m’avez-vous retrouvé ?
— Pendant que nous discutions dans le square, mes hommes ont posé un mouchard sous votre voiture.
Franck maudissait sa propre négligence. Une faute qui allait peut-être lui coûter la vie.
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