— Pourquoi ? Il faut que tu reprennes confiance en toi… Que tu t’habitues à aller dehors.
— Mais… Mais je vais me faire repérer !
— Allons ! Personne ne te reconnaîtra ! Et puis tu ne seras pas seule. Les gens n’iront jamais croire que Marianne de Gréville déjeune au restaurant avec trois flics !
Il lui posa une paire de lunettes de soleil sur le nez et un gavroche sur la tête.
— Parfait ! Tu es très mignonne comme ça ! Allez, en route…
— Non ! Ça suffira pas… J’veux pas y aller !
Il la poussa délicatement vers la sortie. Mais elle traînait les pieds, descendit les marches du perron presque à reculons.
— J’veux pas y aller, Franck !
— Écoute, j’ai envie qu’on se détende un peu. On l’a tous bien mérité, non ?
— Allez-y sans moi ! J’suis trop fatiguée, de toute façon…
— Hors de question ! Je suis sûr que ça te fera beaucoup de bien. Allez, viens…
Il attrapa sa main, l’emmena jusqu’à la voiture. Il sentait sa peur grandir à chaque pas. Elle pesait deux fois son poids. Il se montra encore plus persuasif. Ouvrit la portière avant, tandis que Laurent prenait le volant.
— Allez, monte… Marianne de Gréville a la trouille d’aller au restaurant ?
— J’peux pas y aller ! s’entêta Marianne.
Franck la fit entrer, presque de force, referma la portière, s’installa à l’arrière avec Philippe.
— Attache ta ceinture, ordonna Laurent en démarrant.
La Laguna quitta la propriété. Marianne, silencieuse, livide, s’accrocha au tableau de bord.
— Ralentis, s’il te plaît…
— Qu’est-ce t’as ? demanda Laurent.
— Je sais pas… Ça tourne…
— C’est normal… Ça va passer.
Il consentit à lever le pied. Pendant les premiers kilomètres, Marianne fixa la route. Une main crispée sur le siège.
— Et si on tombe sur un barrage ? s’inquiéta-t-elle brusquement.
— Aucun risque ! assura Franck. Ils les ont levés hier soir.
— Comment tu le sais ?
— Je suis commissaire, je te le rappelle ! Je suis bien placé pour obtenir ce genre d’informations !
Elle resta encore un moment sur le qui-vive. Puis, lentement, oubliant son vertige et ses angoisses, elle contempla ce qui l’entourait. Sous un soleil radieux.
Laurent avait mis la climatisation, une musique un peu déjantée. Elle était en balade dans une voiture, sans véhicule de police derrière. Un plaisir oublié depuis si longtemps. Elle souriait béatement, le visage collé à la vitre.
Derrière, Franck souriait aussi. Heureux de la voir ainsi.
— Merde ! dit-elle soudain. J’ai oublié mes cigarettes…
— On s’arrêtera à T., dit Laurent. Faut que j’en achète, moi aussi. Je t’en prendrai un paquet.
Elle continua à admirer le paysage. Forêts, champs en friche ou cultivés, petites fermes abandonnées ou habitées. Défilé d’images bucoliques qui réconfortaient ses yeux, son cœur.
Laurent s’arrêta sur la place du village, Marianne reconnut le café où…
— Bon, je vais acheter les clopes, dit le capitaine en prenant son portefeuille.
— Attends, ordonna Franck. File l’argent à Marianne.
— Quoi ? dit-elle en se retournant.
— Dans une semaine, tu seras libre. Il n’y aura plus personne pour aller acheter tes cigarettes. Alors, il faut que tu réapprennes à le faire par toi-même.
— Non, je préfère ne pas y aller…
— C’est pas compliqué : tu rentres, tu dis bonjour, tu demandes les paquets, tu payes et tu reviens !
Laurent leva les yeux au ciel. Mais il tendit tout de même un billet de cinquante euros à sa passagère.
— Allez, princesse, le boss a parlé. Tu me prends cinq Marlboro et ce que tu veux pour toi.
— Mais…
— Discute pas, ordonna Franck. C’est ça ou tu n’auras pas de cigarettes pour le déjeuner.
Elle hésita un instant. Entrer dans un tabac, c’était pourtant simple. Là, ça lui semblait impossible. À la rigueur, elle se serait sentie plus à l’aise d’aller braquer la caisse avec un flingue.
Elle empocha le billet, quitta la voiture, épiant autour d’elle. Puis se dirigea enfin vers le tabac. Laurent s’adressa un peu rudement à son patron.
— Tu nous fais quoi, là ? C’est une psychothérapie pour ex-taularde ?
— Exactement. Et crois-moi, ça va marcher !
— Jusqu’à ce qu’elle nous fasse un coup tordu ! Et là, tu te boufferas les couilles, crois-moi !
— Charmante expression ! rigola Franck. Mais je suis sûr que ça n’arrivera pas.
Marianne revint au bout de cinq minutes. Mission accomplie.
— Alors, c’était si dur que ça ? demanda Franck.
— Démarre ! Je suis sûre qu’ils m’ont reconnue… Tous les mecs au comptoir me mataient comme s’ils avaient vu la Sainte-Vierge !
— C’est parce que tu es jolie ! affirma Franck. Il ne passe pas beaucoup de jolies filles dans le coin…
La voiture quitta le village, Marianne s’apaisa un peu. À nouveau concentrée sur le panorama. Tellement merveilleux. Tellement banal, pourtant. Ils bifurquèrent sur une petite route, suivant un panneau qui indiquait Auberge de T.
— C’est là qu’on va ? Ça a l’air d’un truc de snobs ! marmonna-t-elle.
— Tu t’appelles de Gréville, oui ou non ? rétorqua Franck. Ça ne devrait pas te poser de problème !
— J’ai plus l’habitude des endroits qui puent le fric, commissaire …
Laurent gara la voiture à l’ombre d’un châtaigner géant. Franck ouvrit la portière.
— Si mademoiselle de Gréville veut bien se donner la peine…
— Je sais pas… C’est vraiment pas prudent.
— Depuis quand tu es prudente ?
— Depuis que j’ai la moitié des flics de ce pays aux trousses…
— La moitié ?! La totalité, tu veux dire ! Allez, descends… ! Tu vas nous faire remarquer…
Elle mit enfin pied à terre. Franck rassura sa main au creux de la sienne. Le serveur les conduisit sur la terrasse. Une magnifique tonnelle au-dessus d’un joli plan d’eau. Un endroit vraiment enchanteur. Marianne s’attabla ; aussi raide qu’un piquet, elle scrutait les visages des convives autour d’elle avec une angoisse démesurée.
— Détends-toi, murmura Franck en posant une main sur sa cuisse. On dirait que tu es recherchée par la police…
— Très drôle !
— L’endroit te plaît ?
— Oui… Mais pourquoi ils me reluquent tous comme ça, hein ?
Franck observa à son tour les clients.
— Je crois que tu rêves. Ah ! si… Le mec, sur la gauche… Celui qui a une cravate rose… Mais à mon avis, c’est parce que tu lui as tapé dans l’œil.
— Arrête avec ça ! Il me regarde parce que j’ai un magnifique cocard et qu’il se demande où il a déjà vu ma gueule… Jusqu’à ce qu’il se rappelle que c’est au journal télévisé !
— Le cocard, ça se voit pas sous les lunettes… Et puis rien ne dit qu’il regarde la télé ! Allez, respire un bon coup et profite…
Le serveur leur proposa un apéritif. Marianne évitait de l’affronter en face. Les trois flics firent leur choix.
— Et toi, Marianne ?
Elle eut un tressaillement. Il a qu’à m’appeler par mon nom, tant qu’à faire !
— Non, pas d’alcool…
— Nous avons des cocktails sans alcool, mademoiselle.
— D’accord.
Il distribua les cartes puis s’éclipsa.
— Tu pourrais m’appeler autrement ! pesta Marianne à voix basse.
— Comment veux-tu que je t’appelle ?
— J’en sais rien ! Mais t’as qu’à hurler mon nom avec un porte-voix pendant que tu y es !
— Je te signale que si tu te fais choper, nous aussi ! Relax, tout va bien se passer.
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