Elle se calma un peu. Cessa de hurler, continua juste à pleurer.
— Tu auras de quoi te construire une vie. Une vraie vie… Plus de barreaux, plus de cavale. Et si ce pays ne te plaît pas, nous en trouverons un autre.
— Je sais même pas à quoi il ressemble…
— On en reparlera, je te le promets… Rien n’est encore décidé… Je ne veux pas que tu meures, Marianne ! Je veux que tu vives, que tu sois heureuse.
— Je ne mérite rien à part la mort. J’ai commis tant d’horreurs… Parfois, je me dis que… Que Forestier et Aubert étaient peut-être innocents et…
Heureusement qu’elle ne pouvait pas voir son visage. Ça l’aida à mentir.
— Ils étaient coupables, Marianne. J’ai vu les preuves de mes propres yeux…
— Et même ? Ils étaient malades mais… J’ai passé des années à les haïr, j’ai rêvé si souvent de les tuer ! Maintenant qu’ils sont morts, je réalise qu’ils ne méritaient pas ça… Même le pire des criminels ne mérite pas ça… La preuve, c’est que moi, ils m’ont laissée en vie…
— Tu as raison. Personne ne mérite ça. Pas même eux… Mais il y a parfois des forces à l’œuvre qui nous dépassent.
— J’essaie de me rassurer en me disant qu’ils ne feront plus jamais de mal… J’ai peut-être sauvé des gosses… Je me dis peut-être que… Que je me suis rachetée, tu vois…
— Oui, Marianne. Tu as le droit de penser ça, maintenant. Leur mort t’offrira une seconde chance… elle n’aura pas été vaine.
Il l’aida à s’allonger.
— Je voudrais que tu te reposes, à présent…
— J’arriverai jamais à dormir… J’ai tellement la trouille de… demain et les jours d’après… quand je vais sortir d’ici… Je me sens incapable de me débrouiller, de…
— Ne t’en fais pas Marianne. Tu y arriveras très bien, je t’assure.
— Daniel me manque tellement… Ça m’empêche de respirer… Ils… Ils l’ont enterré ?
— Non… Ils ont dispersé ses cendres, comme il l’avait souhaité.
Nouvelle crise de larmes. Elle imaginait le corps de Daniel dans les flammes. Ce corps tant aimé. Enflammé, calciné, puis réduit en poussière. Rien, plus rien.
— Je le verrai plus jamais ! Plus jamais…
— Je vais rester avec toi… Tu veux bien ?
Elle hocha la tête, il s’étendit à côté d’elle, pressa un mouchoir sur sa plaie.
Soulagé qu’elle se soit enfin confiée. Même s’il avait mal à la gorge, même s’il garderait peut-être une cicatrice.
— Franck ? Je suis désolée pour le coup de couteau.
— C’est rien. Tu l’as même pas fait exprès…
Samedi 16 juillet — 09 h 00
Le capitaine trouva son patron dans la cuisine, en train de préparer du café.
— Salut, Laurent. Bien dormi ?
— Comme une tombe ! Et toi ?
— Bof…
Le capitaine aperçut alors la blessure. Même si le commissaire avait pris la peine de mettre une chemise. Mais il aurait fallu une écharpe pour la cacher.
— Qu’est ce que t’as au cou ?
— Rien…
Laurent tira un peu sur le col de la chemise. Philippe fit son apparition. Juste au mauvais moment.
— Bien dormi, lieutenant ?
— Eh ! Essaie pas de changer de conversation ! C’est quoi, cette blessure ? Et me dis pas que tu t’es coupé en te rasant !
Philippe s’intéressa à son tour au cou de son patron.
— C’est… C’est Marianne.
— Elle a essayé de t’égorger ? demanda Laurent avec stupeur.
— Ben… Elle voulait que je m’en aille, j’ai refusé… J’avais oublié qu’il y avait un couteau sur le plateau.
— Merde ! lança Laurent en s’asseyant sur une chaise. Elle est barge, cette nana ! Faut l’attacher au pieu, c’est pas possible…
— Non, c’est bon maintenant. On a parlé, ça va mieux…
— Parlé ? Avec un couteau sous la gorge ? Non, mais attends ! Tu veux quoi ? Qu’elle nous dézingue tous les trois ? Je te rappelle que ça fait environ trois fois qu’elle essaye de te tuer… Qu’elle m’a pété le nez… J’te dis qu’il faut l’attacher !
— Non seulement, je ne vais pas l’attacher, mais en plus, je vais l’autoriser à quitter sa piaule ! Il faut qu’elle prenne l’habitude d’être libre. Demain midi, nous irons au resto, tous les quatre…
— Tu plaisantes ?! s’étrangla le capitaine.
— Pas le moins du monde ! Aujourd’hui, elle est encore trop faible. Mais demain, j’espère que ça ira.
— T’es malade ! Si on la reconnaît ?
— Ça m’étonnerait. Je lui collerai des lunettes de soleil… Et un chapeau.
— Des lunettes de soleil ? Un chapeau ? Putain, je dois dormir encore ! Je vais me réveiller !
— J’ai repéré une auberge qui a l’air sympa à T. Il y a une grande terrasse, les tables sont éloignées les unes des autres… Je suis sûr que ça va lui plaire. En fait… C’est l’angoisse qui la rend agressive. Elle a peur de la liberté, peur de se retrouver dehors, toute seule… Elle a perdu ses repères, en taule. Faut qu’elle sorte en plein jour, qu’elle voie des gens…
— Mais… Si elle tente de s’échapper ?
— Ou de nous égorger ? ajouta Laurent.
— Elle ne le fera pas, assura le commissaire.
— Ben voyons ! Elle sera bien sage simplement parce qu’elle a causé avec toi sur l’oreiller ! Elle ne se montrera plus violente, fera des jolis sourires à tout le monde ! Allez, les gars ! ajouta-t-il avec emphase. Mettez vos gilets pare-balles et vos casques lourds : dimanche midi, on emmène Marianne au restaurant !
— Arrête ! implora Franck en souriant. J’te dis qu’elle ne se montrera plus agressive…
Le capitaine secoua la tête, avec une sorte de lassitude face à l’entêtement de son patron.
— Si c’est le cas, change de boulot, mon vieux ! Ouvre un cabinet de psy.
Le commissaire se contenta de rire et prépara un plateau pour Marianne. Dès qu’il eut quitté la cuisine, Laurent se mit à marmonner.
— Ce type est fou…
— Mais non ! répondit Philippe. Fais-lui un peu confiance…
*
Dimanche 17 juillet — 11 h 00
Il lui avait demandé de se faire belle. Marianne, devant le miroir, trouvait la tâche impossible. Visage ravagé, yeux cernés, dont un encore au beurre noir. Cadeau d’adieu du proc’. Il voulait sans doute qu’elle déjeune avec eux. Ensuite, ils iraient faire un tour dans le jardin. Elle allait accepter. Même si simplement quitter cette pièce l’effrayait. Une peur qu’il fallait combattre. Envie du soleil sur sa peau. Du vent dans ses cheveux. Elle prit une douche, changea ses pansements. Les blessures faisaient encore si mal. Bien loin d’être cicatrisées. Pourtant, elle se demandait comment trois flics avaient pu être aussi efficaces. Comment ils avaient pu la recoudre. Impossible ! Un médecin était passé par là. Ils n’auraient jamais pu refermer une plaie de cette manière.
Elle s’habilla ; jean, chemise blanche, baskets. Mit son bras droit en écharpe. Puis patienta en fumant une clope devant la fenêtre.
Franck apparut vers onze heures trente. Très élégant. Comme s’il allait à la messe du dimanche. Il la toisa de la tête aux pieds.
— T’es prête ? Tu pourrais mettre autre chose qu’un jean, pour changer un peu !
— On va pas au bal !
Il n’insista pas, l’accompagna jusqu’au rez-de-chaussée. Marianne fut surprise de voir les deux autres flics sur leur trente-et-un.
— C’est fête ou quoi ?
— On sort, annonça Franck. On va au resto !
— Pardon ? murmura Marianne. T’es devenu fou ?!
— C’est exactement ce que je lui dis depuis hier ! ricana Laurent.
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