— Ah oui ? s’étonna-t-elle en masquant son soulagement. Parfait.
Ça marchait comme sur des roulettes. Il renonçait déjà. Il posa les mains sur ses épaules, elle se contracta.
— Tu me fais cette proposition parce que tu as peur pour la lettre ou parce que tu en as envie ?
— Je n’en ai pas la moindre envie, commissaire… Que ça soit bien clair. Vous, par contre…
— Pas comme ça… Si j’avais envie de ça, j’irais voir une professionnelle. Une pute, si tu préfères…
— Ne recommencez pas à m’insulter commissaire…
— Tu t’insultes toi-même, Marianne. C’est comme ça que tu payais ta came en prison ?
Il faisait pression sur ses clavicules, ça ne la déconcentrait même pas.
— Oui. Et mes clopes, aussi…
— Tu as couché pour des clopes ?!
— Ça vous choque ?
— Je trouve ça… assez pitoyable.
— Pitoyable ? C’est vrai que vous n’êtes jamais accro à rien, monsieur le super flic… Mais vous savez, j’avais que dalle en prison. Et je l’ai fait aussi pour pouvoir bouffer à ma faim… Ça vous choque toujours ? Coucher pour pouvoir manger à sa faim, vous trouvez ça pitoyable ?
Là, il ne répondit pas. Pas si dur que ça de lui clouer le bec.
— Sans doute n’avez-vous jamais eu faim, non plus… Vous avez de la chance ! Moi je trouve que c’est le système qui est pitoyable …
— Peut-être…
Elle jeta sa clope. Prit soin de garder un paquet et le cendrier près du lit, pour la longue soirée qui s’annonçait. Elle inspecta le contenu du plateau. Fit une grimace.
— Faudrait apprendre à cuisiner ! balança-t-elle.
— Au moins, tu manges à ta faim… Et sans avoir à payer de ta personne, en plus ! Je ne vois pas de quoi tu te plains.
Elle lui envoya une dose d’acide noir puis avala tout de même le contenu de son assiette, lentement. Il ne l’approcha plus à moins de deux mètres.
Je suis vraiment la reine du surgelé ! Je te les ai jugulées en moins de deux, ses hormones !
Il la rattacha, lui adressa un drôle de sourire. Un peu moqueur.
— Au fait, dit-il en reprenant le plateau, j’ai oublié de te dire… Philippe est en route pour S.
Il consulta sa montre avant de l’éclabousser d’un regard goguenard et un brin supérieur.
— La lettre arrivera à bon port dans quelques minutes.
Elle se décomposa. Putain ! Y a des fois où je ferais mieux de la fermer ! Il enfonça le clou.
— Tout ça pour rien… Pas vrai , Marianne ?
Elle essaya de masquer sa honte.
— Allez-y, foutez-vous de ma gueule, c’est gratuit… Vous gênez surtout pas…
— Je ne me permettrais pas ! répliqua-t-il en riant. Mais j’avoue que je vais réfléchir à ta proposition pour une prochaine fois… J’aurais même dû y penser avant de te donner les clopes. Mais je n’imaginais pas que tu étais prête à t’investir autant pour quelques misérables cigarettes…
— Pauvre con !
Elle l’entendit rire alors qu’il était déjà dans le couloir. Donna un coup de poing dans l’oreiller. Elle alluma une cigarette, massa son genou douloureux.
Il faut que tu sois en forme pour la semaine prochaine .
La semaine prochaine… Meurtre avec préméditation. Dans à peine quelques jours. Putain, mais comment je vais faire ?
*
Il devait y avoir foule aux cachots. Pour qu’ils l’aient emmené au gymnase. Portier n’avait pas mis les mains dans le cambouis, ce soir. Il préférait regarder ses sbires à l’œuvre. Daniel ne se défendait même plus. Trop épuisé pour se battre. Portier abaissa son corps obèse jusqu’à lui.
— Comment ça va, Bachmann ?
— T’en as pas marre de me taper sur la gueule ? murmura Daniel.
— Ben non, tu vois… J’attends que tu me dises où est Gréville… Ou que tu crèves. Parce qu’une pourriture dans ton genre, ça mérite que la mort…
— Alors tue-moi.
— Pas si vite, mon gars… On va pas casser notre jouet tout de suite… Ce serait dommage.
— Il faudrait qu’un jour tu viennes te battre en homme, riposta Daniel en se ratatinant de douleur. À un contre un… Histoire que j’éclate ta sale gueule…
— Allez les gars, on le ramène. Il en a assez eu pour cette nuit, je crois…
Ils le soulevèrent du sol, le traînèrent dans les couloirs. Avant de le jeter dans sa cellule.
Portier posa sa graisse sur une chaise et lui colla un pied sur la gorge, pour lui bloquer la respiration.
— Tu sais, Daniel… Si jamais on rattrape Marianne, je m’occuperai d’elle. Je finirai ce que j’avais commencé dans le cachot. Mais là, tu pourras plus rien pour m’en empêcher… Remarque, quand j’y repense, je comprends pourquoi elle a réussi à t’embobiner. C’est vrai qu’elle est bonne, la petite Marianne ! J’y ai pas goûté longtemps, mais je m’en souviens encore…
Daniel ferma les yeux. Fit le mort. Pour décourager son ennemi. Les gardiens l’abandonnèrent enfin.
Il rampa jusqu’au lit, s’y hissa tant bien que mal. Se recroquevilla sur la douleur.
Pensa aussitôt à Marianne. Son seul remède pour calmer la souffrance. Elle avait été son bonheur, la plus belle chose dans sa vie. Son châtiment, aussi. Elle serait sans doute sa mort. Mais pour elle, il aurait été jusqu’en enfer.
Justement, il y était.
Samedi 9 juillet — 02 h 00
Elle comptait les contractions dans son ventre. Enfonçait ses ongles dans le matelas. Attachée, Marianne ne pouvait même pas marcher pour lutter. Même pas aller aux toilettes. Son vieil ami était de retour. Petite visite surprise au beau milieu de la nuit. Elle se mit à haleter. À tousser. Ça ruait dans ses veines, battait dans ses tempes. Dans une heure, elle serait par terre.
Elle contempla le mur. Juste derrière, la chambre de Franck. Non, je peux pas… Faut que je résiste… Elle mordit son oreiller pour ne pas hurler. La tête bourrée de TNT. Son cerveau cherchait la sortie. Encore un coup de butoir dans les tripes.
— Franck ! appela-t-elle en frappant la cloison.
Tant pis. Tout, sauf revivre une nouvelle crise comme celle de la semaine passée. Ramper à ses pieds s’il le fallait. Même s’il trouvait ça pitoyable . Nouveaux coups énergiques contre le mur. Le manque décuplait ses forces avant de les grignoter lentement. Elle entendit la clef dans la serrure.
— Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu gueules comme ça ?
Il alluma la lumière. Il portait juste un jean, avait les cheveux décoiffés. Elle ne l’avait jamais vu aussi négligé. Forcément, elle ne l’avait jamais tiré de son pieu au beau milieu de la nuit… Ça lui coûtait de l’avoir appelé. Elle lui en voulait presque d’être venu. Elle se balançait d’avant en arrière.
— T’es en manque, c’est ça ?… Putain !
— Il reste une dose, apportez-la moi…
— Je sais pas où est la came !
— Trouvez-la, bordel ! Il m’en faut maintenant, avant que ça dégénère !
— Eh ! Tu te calmes, OK ? Et puis, j’ai pas de seringue neuve…
— Vous avez gardé celle de la semaine dernière, non ? Vous croyez que je vais m’autofiler le sida, ou quoi ?!
— Je reviens…
Elle serra les dents pour ne pas ameuter le reste de la bande. Inutile de se redonner en spectacle. Les minutes défilaient sur les cristaux verts. Elle en compta dix avant de le voir revenir. Avec tout ce qu’il fallait.
— Je sais pas le faire ! dit-il avec une sorte d’angoisse.
— Pas besoin de vous ! Détachez-moi, c’est tout ce que je vous demande…
Il récupéra la clef au fond de la poche de son jean. Elle se leva un peu vite, faillit se répandre sur le parquet. Elle se précipita à cloche-pied vers la salle de bains, n’eut pas le temps de fermer la porte, se jeta tête la première dans la cuvette des toilettes. Une fois la nausée calmée, Franck apparut sur le seuil. Elle reprenait sa respiration, appuyée au lavabo.
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