— Pas avec tous.
Il se concentra. Commença à dicter le texte. Avec une aisance qui impressionna Marianne. Elle avait du mal à suivre, du mal à former les lettres.
— Allez moins vite, commissaire… Je dois faire plein de fautes.
— Pas grave ! C’est juste un brouillon… Et puis faut que ça fasse vrai. Si tu es nulle en orthographe…
— Non ! Je ne l’étais pas en tout cas… Mais j’ai un peu oublié tout ça… La taule, ça détruit tout.
Il continua à disculper Daniel, trouva les mots justes.
Marianne attestait sur l’honneur, jurait en levant la main droite. Penchée sur sa feuille telle une écolière appliquée. Hyper concentrée, jusqu’au point final.
« Justine, j’ai appris en lisant la presse que Daniel était incarcéré parce qu’on l’accuse de m’avoir aidée à m’enfuir de l’hôpital de M… J’aime cet homme et je ne veux surtout pas qu’il ait à souffrir de mon évasion et qu’il continue à être la victime d’une erreur judiciaire… Je voudrais que tu dises au juge et à la police qu’il n’a pas été mon complice, que ce n’est pas lui qui m’a fourni l’arme qui m’a servi à maîtriser les policiers. Daniel n’est pour rien dans cette histoire, il faut absolument qu’il soit relâché rapidement. Je n’ai pas d’autre solution que de l’écrire. Aussi, je compte sur toi pour remettre cette lettre aux autorités afin qu’elles réparent l’erreur qu’elles ont commise. Ils doivent savoir au plus vite que mon complice, ce n’était pas lui, mais quelqu’un d’autre. Quelqu’un que je ne peux dénoncer, bien sûr. Daniel est venu le mercredi m’apporter mes affaires à l’hôpital car je devais être transférée dans la centrale de P., mais il ne m’a pas donné d’arme. D’ailleurs, malgré l’amour que je lui porte, je ne l’ai pas informé de mes projets d’évasion. Parce qu’il m’en aurait empêchée. Le Glock a été introduit dans ma chambre alors que je passais une radio. Les policiers qui me surveillaient se sont accordé une pause, mon complice en a profité pour cacher l’arme. Le mieux, je pense, serait que tu adresses une copie de cette lettre aux journaux, afin que la justice soit obligée d’en tenir compte. Je te remercie d’avance de faire ça pour moi, pour lui. J’ai toujours pu compter sur toi, je sais que tu feras le nécessaire pour que la justice soit rétablie et qu’un innocent sorte de prison. Merci de tout cœur. Marianne de Gréville. »
— C’est bien, je crois… J’espère que ça va marcher… Vous ne voulez pas relire, pour les fautes ? Si ça doit paraître dans le journal, je ne veux pas qu’on me prenne pour une analphabète !
Il prit le papier, relut en vitesse.
— Il n’y a pas de faute ! dit-il en souriant. C’est parfait… Allez, recopie au propre.
Elle s’attela à sa tâche, tandis qu’il ingurgitait un deuxième café. La dévisageant à la dérobée. Son visage touchait presque la feuille, ses doigts comme tétanisés sur le stylo. Elle était émouvante. Attendrissante. Elle s’arrêtait parfois, décrispait sa nuque, lui jetait un regard plein de gratitude. Comme si elle avait déjà oublié les supplices récents qu’il lui avait infligés. Il lui fallut trois essais pour arriver à ses fins. Pour jeter le stylo comme on jette l’éponge. Il lui donna l’enveloppe.
— Marque son nom et son adresse dessus. Philippe ira la déposer dans sa boîte…
— OK… Voilà, commissaire.
— Justine Féraud. Immeuble les Peupliers, Rue Victor Hu go, S … Parfait. Je crois qu’on est bon.
Marianne s’étira. Mangea le reste des biscuits, plus pour lui faire plaisir qu’autre chose.
— Ça a pas été trop dur, deux jours sans manger ? insinua Franck avec un petit sourire.
— C’était pas volontaire… Je pouvais vraiment rien avaler. Ça restait coincé, là… Rien que l’idée qu’il allait moisir en taule, ça m’empêchait de respirer…
— Tu es vraiment amoureuse de lui, hein Marianne ?
Elle hocha la tête. Pivota vers la fenêtre, fixa le retour du soleil.
— Je ne te croyais pas capable d’aimer comme ça. Je pensais que tu étais trop froide, trop…
— Un monstre, pas vrai ?
— En quelque sorte, oui.
— J’en suis un… Mais faut croire qu’un monstre peut aimer…
— Pas sûr que tu sois un monstre, finalement.
— Si. Comme vous, d’ailleurs…
Elle regretta ses dernières paroles. Elle venait peut-être de réveiller la bête endormie. Elle se tourna face à lui. Il souriait. Elle fut un peu rassurée.
— Tu me détestes à ce point ?
— Je ne vous déteste pas.
— Tu pourrais, pourtant…
— Parce que vous avez menacé Daniel ? Tant que vous ne le touchez pas…
— Parce que je t’ai frappée.
— Moi aussi… J’ai même essayé de vous tuer… C’était un juste retour des choses.
Il parut surpris. Un peu choqué, même.
— Mais si j’avais vraiment voulu vous tuer, vous seriez mort, précisa-t-elle. Je rate jamais…
— Ça te plaît, de tuer ?
Elle alluma une cigarette. Sa main tremblait un peu. Il me fait chier avec ses questions débiles !
— Vous avez déjà tué quelqu’un ? Pas un mec que vous auriez descendu à cinquante mètres avec un flingue. Je vous parle de quelqu’un qui meurt devant vous, entre vos mains…
Il déboutonna le haut de sa chemise. Un peu embarrassé que ses questions se retournent contre lui.
— J’ai descendu un gars une fois… À bout portant. C’était lui ou moi… Ça m’a… fait une drôle d’impression…
— Je n’aime pas tuer. Mais parfois, ça me prend aux tripes… Comme si j’étais plus moi… Comme si je ne me contrôlais plus. Quand j’ai défiguré la matonne en centrale, je n’arrivais plus à m’arrêter de frapper. Je ne l’ai pas tuée mais… Quand on me fait du mal, ça finit toujours pas resurgir… Il faut que je le rende…
Elle appuya son menton sur le dossier de la chaise. Un rayon de soleil venait éclairer son regard. Comment le noir peut-il contenir tant de nuances ?
— J’ai jamais tué froidement…
— Tu le feras pour une bonne cause.
— Non. Parce que je n’ai pas le choix. Si j’y arrive, du moins… Si je ne me dégonfle pas au dernier moment.
— Tu penseras à ton mec, alors. Je suis sûr que tu y parviendras… Désolé d’être obligé de te le rappeler, Marianne… Et je crois que je te le rappellerai encore.
Elle lui jeta un œil noir. Au vrai sens du terme.
— Ce ne sera pas nécessaire…
Elle se leva, récupéra des affaires propres dans l’armoire.
— J’ai le droit d’aller prendre une douche ? Sans personne dans la salle de bains…
— Je reste là. Je ne serai pas loin… Ne passe pas l’après-midi dans la baignoire, tout de même.
— J’ai au moins droit à dix minutes, j’espère ? C’est le temps réglementaire en taule.
Il écouta l’eau couler dans la baignoire. Imagina le corps qui ruisselait dessous. Eut presque envie de pousser la porte.
Il continua à patienter devant la fenêtre, jusqu’à ce qu’elle ressorte, en fumant une de ses cigarettes.
— J’ai presque plus de clopes, commissaire…
— Laurent t’en ramènera.
— Merci. À ce rythme, vous allez devenir accro à la nicotine…
— Ça, ça m’étonnerait beaucoup. Je ne connais pas l’addiction…
Elle remettait un semblant d’ordre dans ses cheveux, vérifiait sa tenue devant le miroir de l’armoire.
— Peut-être parce que vous ne connaissez pas le plaisir…
Elle se retourna avec la grâce d’un félin. Il la reluquait bizarrement.
— Je m’occupe de ton dos ?
— Si vous y tenez…
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