Elle discerna une douleur aiguë à la naissance du cou. Il venait de la mordre.
— Arrête ! T’es malade…
Elle ne reconnaissait plus son visage. Ou plutôt, elle découvrait enfin ce qu’elle devinait depuis longtemps. L’autre face.
Oui, il était malade. Et elle allait être son remède.
Elle songea à fuir, mais elle naviguait en plein brouillard. Engourdie, elle avait posé la tête au creux de son épaule.
Il m’a piquée avec du venin paralysant. Un truc imparable. Comme les araignées avant de dévorer leur proie encore vivante. Peut-être qu’il va me tuer ? Me découper en morceaux… C’est peut-être pas un flic, peut-être un serial killer… Peut-être que tout cela n’est qu’un rêve… Ou un cauchemar.
— Franck ?… Franck !
Elle l’appelait au secours alors qu’il était en train de la torturer. Qu’elle le tenait dans ses bras.
— Marianne… N’aie pas peur…
Il alternait le chaud et le froid avec l’habileté d’un magicien. Douleur et plaisir se succédaient si vite qu’ils finissaient par se mélanger. Des chocs remontaient jusqu’à son cerveau, elle était sur le point de s’évanouir. Mais avec quoi la blessait-il ? Avait-il des lames à la place des doigts ?
Elle n’avait plus la maîtrise de rien. Ni d’elle, ni de lui. Quelque chose de métallique brilla. Un couteau ?
— Ta dernière heure est venue, Marianne… murmura-t-elle.
Juste un nuage de peur. Pas grand-chose.
— Non, Marianne, glissa-t-il dans son oreille. Ça ne va pas durer qu’une heure…
La voix du Diable en personne. Des pics de souffrance lui arrachèrent quelques cris qu’il étouffa de sa main. Mais la douleur était toujours supportable. Remplacée aussitôt par des lances de plaisir qui transperçaient son corps de toutes parts… Jusqu’à ce qu’enfin il cesse ses jeux cruels. Elle s’accrocha à lui, incrustant ses griffes dans son dos, ses crocs dans sa chair. À son tour de blesser. C’était tellement incroyable qu’elle pria pour que ça ne s’arrête jamais. Mais ça finissait par faire mal, encore… Il lui fallait une délivrance. Une fin explosive. Elle se sentit décoller du sol, se planta tout en haut d’une cime étroite. Poussa un hurlement que personne n’entendit. Cordes vocales coupées. Cerveau dynamité. Elle n’était plus qu’une épave, une poupée de chiffon.
Il l’enlaçait, se contentait de la serrer. Et elle ne désirait rien d’autre. Il lui fallut un temps incalculable pour atterrir…
— Putain, murmura-t-elle. C’est vraiment de la bonne…
Elle entendit son rire. Au loin, comme sur l’autre berge d’un lac immense. Alors qu’il était toujours contre sa peau. En train de reprendre des forces. Pour recommencer.
Elle ouvrit les yeux alors que l’aube ouvrait les bras pour s’emparer de la nuit. Vit d’abord les cristaux verts. Six heures. Ensuite la gourmette en argent. Autour d’un poignet qu’elle tenait entre ses mains. Elle était allongée sur le côté. Lui, dans la même position, collé contre elle, dans son dos. Son souffle régulier caressait sa nuque.
Elle essaya de remettre les choses en place dans son cerveau, son corps. Remue-ménage intérieur. Elle sourit. Serra un peu plus ses mains sur celle de Franck, qui dormait. Là, avec elle. Contre elle. C’était agréable.
Elle referma les yeux. Légères brûlures. Tiraillements sur sa peau. Des souffrances non identifiées houspillaient son corps fatigué.
Elle se rendormit. S’immergea dans un rêve étrange, au milieu d’une contrée désertique. Vertige face à tant d’espace. Un soleil énorme brûlait sa peau.
Franck se hissa un peu pour voir l’heure. Six heures trente. Il posa ses lèvres sur son épaule. Effleura doucement son dos, slalomant avec délicatesse entre les microblessures. Avec des gestes précautionneux, il se dégagea sans la réveiller. Il enfila son jean, passa par la salle de bains puis fuma une cigarette devant la fenêtre, absorbé par ce matin lumineux. Il retourna s’asseoir en face du lit, adossé au mur, la couvant d’un regard tendre. Un peu triste. Un peu coupable.
Elle s’éveilla enfin. Se sentit bien seule dans le lit. Mais elle l’aperçut, rassurée qu’il ne se soit pas tiré comme un voleur.
Il lui sourit, fondit jusqu’à elle et l’embrassa.
— Pardonne-moi, Marianne…
— De quoi ?
Il ne répondit pas, disparut à la vitesse de la lumière. Elle s’étira, grimaça en bougeant sa rotule récalcitrante. Repoussa le drap. Là, elle resta médusée. Ses jambes, son ventre…
Partout, des petites ecchymoses. Des traînées bleutées sur sa peau. Comme si elle avait été cajolée par un fauve…
*
Justine verrouilla sa porte. Il était encore très tôt mais elle ne voulait pas perdre une miette de son week-end de relâche à la campagne, chez des amis. Bol d’air pur et balades en forêt au programme. De quoi oublier un peu les barreaux et l’angoisse grandissante pour Daniel qui souffrait dans une cellule sordide de la maison d’arrêt.
Elle quitta l’appartement et grimpa avec son petit sac de voyage dans sa vieille guimbarde.
Inutile de regarder dans la boîte aux lettres. Le facteur n’était pas encore passé.
*
Le capitaine frappa avant d’entrer. Resta ébahi en voyant Marianne appuyée à la fenêtre. Détachée.
— Pourquoi t’es pas menottée ?
— Cadeau du commissaire ! Au fait, merci bien pour les cigarettes…
Franck n’était pas idiot. Il avait préféré envoyer son adjoint pour le petit-déjeuner. Et puis il avait fait en sorte que les contusions ne se voient pas. Cachées sous les vêtements. Il avait ainsi épargné ses bras, son visage. S’était acharné sur son ventre, son dos, ses jambes.
— Super, des croissants ! C’est fête ?
— Non, c’est seulement samedi… Qu’est-ce que tu as, là ?
Le tee-shirt avait légèrement glissé sur son épaule, dévoilant partiellement la morsure.
— C’est rien, assura-t-elle en cachant la blessure.
Il n’insista pas. Lorgna sur le chevet. Garrot, seringue, cuiller.
— T’as fait une crise ?
— Oui, cette nuit… Franck m’a apporté ce qu’il fallait. J’ai eu la poudre à temps, cette fois.
Il s’installa sur le lit, à son aise.
— J’attends que tu aies fini de bouffer, pour te rattacher. Consignes du patron, princesse !
Elle s’attaqua à son repas. Avala un antalgique. Son genou commençait à lâcher prise. À désenfler.
— Je voudrais savoir… C’est pour quand ? C’est… Parce que j’aimerais me préparer… psychologiquement.
Il eut un rire caustique.
— Te préparer psychologiquement ? Que ce soit mardi ou vendredi, qu’est-ce que ça change ? Je le sais pas moi-même, chérie ! On attend les ordres…
Elle mangea sans se presser. Puis Laurent récupéra le plateau et referma les menottes sur son poignet.
— Allez, te bile pas, dit-il.
Une fois seule, elle chercha un nouveau sommeil. Elle pensa à Daniel. Un sentiment de culpabilité lui grignotait les tripes. La honte collait à sa peau.
Mais qu’est-ce qui m’a pris ? Pourquoi j’ai couché avec un type que je déteste ? Un malade mental, en plus ! Ces blessures, c’est ta punition.
Y doit me manquer une case, pas possible autrement… J’suis complètement givrée… Givrée ? Et lui, alors, l’est pas givré ?! Avec quoi il m’a fait toutes ces marques ? Il avait un truc dans la main… Mais c’était pas un couteau, ma peau n’est pas entaillée… Putain, c’était quoi ?
Elle commença à pleurer, serrant fort l’oreiller. Jamais plus il ne m’approchera, mon amour. Je te le promets. C’est la faute de la came. Y avait un truc dedans. Cette nuit, c’était pas moi. Jamais plus, mon amour… Je te demande pardon.
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