Les gardiens la tenaient en joue. Assoiffés de vengeance, de violence. Imbibés de vin. Ravagés par les années d’enfermement. Marianne serra les poings. C’était plus fort qu’elle. Elle ne se laisserait pas vaincre sans résister. Les matons hésitaient. Ce n’était pas leur première rencontre avec le cas Gréville. Ils connaissaient la dangerosité de l’adversaire. Portier donna le top départ. Ils formèrent un cercle autour de leur proie et se jetèrent sur elle en un seul mouvement.
Une lutte violente s’ensuivit. Deux des hommes finirent à terre, trois s’emparèrent de la détenue tandis que Justine appelait au secours. Les hommes plaquèrent la furie au sol, la première volée s’abattit sur elle.
Coups de pied, de poing, de matraque. De quoi la calmer un moment. Puis ils lui arrachèrent ses vêtements. Elle leur infligea de nouvelles blessures, se mit à rugir comme une lionne.
Mais comment lutter ? En avait-elle seulement envie ? Ou n’était-ce qu’un vieux réflexe ?
Justine continuait à émettre des SOS tragiques, inutiles.
— Bâillonnez-la ! ordonna Portier en essuyant le sang qui coulait de sa bouche.
Un surveillant récupéra de l’essuie-main près du lavabo et l’enfonça de force entre les lèvres de Justine. Ils lâchèrent enfin Marianne. Déjà sonnée, entièrement déshabillée. Elle rampa jusqu’au mur, replia ses jambes devant elle. Cacha sa poitrine avec ses bras. Les regards ruisselaient sur sa peau nue telle une pluie acide. Première blessure.
— Fait chaud ici, non ? suggéra Portier. On devrait offrir un rafraîchissement à notre copine…
Il disparut dans le couloir, avec le sourire d’un gosse attardé qui prépare un mauvais coup. Marianne tenta de rassurer Justine à distance. Je survivrai… Justine, qui semblait encore plus épouvantée qu’elle.
Puis Portier revint avec la lance incendie. Sorte d’anaconda monstrueux. Les surveillants se tassèrent derrière le sas grillagé. Marianne reçut le jet puissant d’eau glacée en pleine figure, se protégea tant bien que mal avec les mains en hurlant. Il lui semblait que sa peau craquait, se fendait sous la poussée. Puis l’épée liquide frappa sa poitrine, son ventre. Elle se tourna face au mur, crut que ses vertèbres allaient exploser. Elle termina par terre. Se recroquevilla au maximum pour épargner au mieux les zones fragiles de son corps.
Enfin, le premier supplice cessa. Il était temps de passer à la suite.
Marianne reprit sa respiration. Immergée dans un lac sibérien, elle essayait de recouvrer quelques forces. Mais déjà, autour d’elle, les agresseurs se délectaient du spectacle. Elle fut décollée du sol, son visage heurta violemment la cloison. Ses bras se tordirent dans son dos, les menottes entravèrent ses poignets.
— Tu sais que t’as un beau cul, Marianne ? commenta Portier avec un rire gras.
Il la retourna face à lui.
— Le reste est pas mal non plus…
— Connard !
Elle lui cracha à la figure, il essuya l’insulte d’un revers de manche avant de lui administrer une gauche dans l’abdomen. Elle s’écroula dans la flaque gelée. En train de suffoquer.
— Tu tueras plus personne, salope ! ajouta le gradé en la forçant à s’aplatir par terre.
Il lui écrasait le dos avec sa chaussure. Avec ses cent quarante kilos de cholestérol pur. Elle criait de douleur, se tordait sous la pression.
— On se la fait ? proposa Mestre.
Deux des gardiens semblèrent un peu effarés par cette proposition.
— Sois un peu patient ! répliqua Portier en enlevant son pied. On a toute la nuit pour s’amuser !
— Ouais ! On va pas commencer par le dessert ! ajouta un jeune maton.
Marianne, au bord de l’évanouissement, entendit les menaces et les rires grossiers au milieu du chaos cérébral. La carotide démesurément enflée, une grosse caisse dans la tête, du givre dans les veines. Elle mimait la mort. Buvait son propre sang. Mais le répit fut de courte durée.
À nouveau soulevée. Des mains sur ses bras, ses jambes. Des griffes chaudes plantées dans sa peau glacée. Elle se mit à gémir. Se refusa pourtant à supplier ses bourreaux. Elle se retrouva à genoux dans l’eau, Portier la tenait par les cheveux. Il empoigna sa matraque, la pressa contre ses lèvres ensanglantées.
— Ouvre la bouche ! Ouvre la bouche ou je te pète les dents !… Ouvre j’te dis ! Sinon je te casse les mâchoires !
Une voix fracassante intimait des ordres dans sa tête. Laisse-toi faire ou tu vas y passer ! Elle finit par céder, il enfonça la matraque. Son estomac se révulsa, remonta jusque dans l’œsophage.
— C’est bon, Marianne ? ricana Portier. Tu veux que je te la mette ailleurs ?
Elle s’étouffait. Un morceau de dent passa par sa trachée au gré d’un aller-retour brutal. Il retira enfin l’arme, elle bascula sur le côté, crachant un mélange de sang et de salive. Vomissant son effroi dans la mare abjecte.
— Arrêtez ! implora-t-elle enfin. J’ai pas voulu la tuer ! C’était un accident !
Avouer qu’elle avait mal, qu’elle avait peur. Leur donner satisfaction pour tenter de les calmer.
— Ta gueule ! Tu crois que tu vas nous faire gober ça ? Tu crois qu’on sait pas qui tu es ? On va te passer l’envie, j’te jure !
Elle se tut, fixa le sol marécageux. Portier lui releva la tête en appuyant la matraque sous son menton.
— Tu penses à ces trois gosses qui pleurent leur mère, ce soir ? Tu y penses, Gréville ?
— Oui…
— Tu mens, petite ordure ! Mais on va t’obliger à penser à eux, je te le garantis !
Ils l’emmenèrent vers de nouvelles tortures. Portier la jeta dans les bras de Mestre qui la reçut avec son poing dans la figure, avant de la relancer vers un de ses collègues qui la frappa à son tour. Le jeu barbare continua de longues minutes. Elle ne pouvait même pas s’écrouler, toujours maintenue par des bras puissants. Ses genoux touchaient terre de temps en temps. Les coups tombaient à intervalles réguliers. Sur le visage ou le corps, au gré des envies de chacun des joueurs.
Jusqu’à ce que Portier l’emprisonne par la taille et la couche sur la table, lui faisant embrasser brutalement le béton.
Là, elle perdit connaissance pour la première fois. Plongeant dans un de ces fameux trous noirs. Une caverne calme et humide. Un cercueil. Des ténèbres où se reposer. Enfin.
Mais le glas résonna à nouveau dans sa tête. Le jet d’eau froide en pleine face la ramena au cœur du purgatoire. Elle ouvrit les paupières sur le spot halogène. Avala une bouffée d’oxygène. Mourir.
Elle supplia son cœur de lâcher, une bonne fois pour toutes. Mais il était bien trop solide pour ça. Portier lui écarta brutalement les jambes, se colla contre elle. Il braquait une arme chargée à bloc entre ses cuisses. Il se pencha, elle vit son sourire jauni, son visage répugnant. Respira son haleine pourrie. Le tas de graisse qui lui servait de ventre s’aplatit sur ses abdominaux serrés à fond.
— Tu préfères la matraque ou ma queue, Marianne ?
Il verrouillait un étau d’acier sur sa gorge. Elle avait juste assez d’air pour survivre, pas assez pour choisir. Mais il commit l’imprudence d’approcher une main de sa bouche. Elle le mordit, de toutes ses forces. Goûta le sang de l’ennemi. Le gradé braillait comme s’il s’était coincé la main dans un piège à loup. Un de ses subordonnés lui porta secours. Une matraque tomba sur le crâne de Marianne, Portier récupéra son doigt où s’incrustait la marque rouge des crocs. À défaut de force, elle avait encore des nerfs. Et l’énergie du désespoir.
Elle replia ses jambes, lui flanqua son pied en pleine tête. Il perdit l’équilibre, partit rebondir contre le mur avant de savourer à son tour l’eau froide et sale qui noyait la cellule. En guise de riposte, Marianne reçut de nouveaux chocs. Puis on lui empoigna les chevilles, on lui comprima le cou. Elle se revit dans les douches. Sauf que là, ce n’était pas un couteau qui allait la blesser. Ce serait pire.
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