Mais Sandra n’a pas décroché un mot et ils ignorent toujours son identité. Alors l’arrestation du clan Orgione demeure encore un phantasme.
Sandra relève la tête un instant vers la fenêtre, cherchant à reprendre quelques forces dans le bleu lumineux du ciel.
On lui a signifié sa garde à vue pour complicité de braquage à main armée. Il fallait bien trouver un motif sur le PV faxé au procureur de la République. Après tout, il y avait une femme parmi les braqueurs lors du casse de la place Vendôme.
S’ils savaient qu’elle a été enterrée vivante, songe Sandra. Qu’elle est désormais la proie de la vermine souterraine…
Mais non, ils ne doivent pas le découvrir.
Sandra ne sait toujours pas comment s’extirper de ce piège.
Que ferait papa ?
Son esprit tourne à plein régime, l’aiguille est dans le rouge. Elle a l’impression d’être un insecte prisonnier d’un bocal qui essaie désespérément de s’évader et heurte sans cesse les parois de verre.
Le commissaire a demandé à ses limiers de faire le tour de tous les hôtels d’Aubagne, armés d’un portrait de cette mystérieuse inconnue. Des fois que quelqu’un la reconnaisse. Puisqu’elle dit avoir fait un long trajet, elle a peut-être posé ses bagages quelque part…
Mais elle a très bien pu dormir à Marseille et prendre le bus pour arriver chez lui.
Lefèbvre a noté sur une feuille divers noms, ne se souvenant plus de celui qu’elle lui a donné dans l’interphone.
Royer ? Tuyer ? Lécuyer ? Rulier ?
D’autres policiers assemblent son prénom à ces différents noms et cherchent dans tout le pays.
Lefèbvre ne veut pas laisser passer sa chance.
Il stoppe enfin ses tournoiements pour se camper face à la suspecte.
— Si vous coopérez, il en sera tenu compte par le juge. Réfléchissez bien…
Aucune réaction. Elle ne fronce même pas un sourcil.
— Voulez-vous que nous prévenions un proche ? Vous avez le droit… Il suffit de nous donner son numéro et son nom.
Elle ne répond pas, bien sûr. Alors Lefèbvre approche son visage du sien et balance :
— Vous voulez peut-être que nous prévenions Raphaël Orgione ?
Là, elle frotte ses mains l’une contre l’autre. Lefèbvre considère que c’est un début. Un signe, même minime, de malaise. Alors, il continue.
— Ou votre père, peut-être ? Ça fait déjà deux fois qu’il appelle, il doit vraiment être inquiet vous savez…
Le commissaire retourne s’asseoir derrière le bureau et échange un regard un peu las avec ses subordonnés.
— Et désirez-vous vous faire assister d’un avocat ? poursuit-il. Si vous n’en connaissez pas, il peut vous en être commis un d’office… Alors ?
Sandra hésite à dire oui. Mais à lui non plus, elle ne pourra rien révéler.
Elle est condamnée au silence.
À perpétuité ?
Non.
Se taire, pendant les quarante-huit heures de garde à vue. Ensuite, ils la relâcheront sans doute. Pourquoi la garderaient-ils ? Parce qu’elle s’est présentée chez un flic en disant qu’elle venait de la part d’un braqueur de banques ?
Sandra relève la tête et se permet de sourire à Lefèbvre.
— Je n’ai pas besoin d’avocat, puisque je n’ai rien à me reprocher.
Le lieutenant tape enfin une ligne sur son ordinateur portable.
— Mais c’est qu’elle parle, la dame ! balance le capitaine.
Sandra tourne la tête sur la gauche, histoire de dénouer les nœuds dans sa nuque endolorie.
Au mur, un grand panneau de liège où sont punaisés divers documents et pas mal de photos.
Elle les a aperçues en entrant mais ne les a pas détaillées. En les parcourant des yeux, elle tombe soudain nez à nez avec Jessica. Juste à côté, Aurélie.
Et trente centimètres plus loin, Raphaël.
Peut-être les trois personnes les plus recherchées du pays.
La collision est violente, Sandra est secouée de la tête aux pieds. Et ça n’échappe pas au commissaire.
— C’est la photo de Raphaël qui vous fait cet effet-là ?
Elle baisse à nouveau la tête.
Regarde tes chaussures, putain !
— C’est vrai qu’il est photogénique ! ricane Lefèbvre. Mais s’il vous a envoyée chez moi, c’est que vous n’êtes pas sa petite amie du jour. Ça veut même dire qu’il ne vous aime pas beaucoup !
La jambe droite de Sandra s’agite nerveusement, malgré elle.
— Ça signifie qu’il vous veut le plus grand mal, martèle Lefèbvre. Et pourquoi Raphaël Orgione veut-il votre perte, mademoiselle ?
Sandra a envie de pleurer. Ses lèvres se mettent à trembler, elle tente de se contrôler.
— On va vous laisser réfléchir un moment, propose soudain le commissaire. Comme ça, vous aurez l’occasion de découvrir ce que ça fait de se retrouver en cellule… Vous verrez, c’est tout à fait plaisant !
Le capitaine, un grand type un peu dégingandé, l’attrape par le bras, elle a un violent mouvement de recul pour lui échapper. Il va pour la saisir à nouveau, elle le fusille du regard.
— Ne me touchez pas ! murmure-t-elle d’une voix glacée.
Le flic lève les bras, avec un petit sourire en coin.
— Pas de souci, madame ! Les geôles sont au sous-sol, je vous laisse passer devant…
*
— Appelle ton pote, ordonne Patrick en tendant le portable à Raphaël.
Le braqueur est toujours allongé sur son matelas crasseux. Il n’a guère bougé depuis la veille au soir.
Parce que à chaque mouvement, la douleur est insoutenable.
Et même quand il reste immobile, elle s’acharne sur lui. Sans aucun répit.
— Tu lui demandes s’il a donné le fric à Sandra, poursuit Patrick.
Raphaël parvient à esquisser un rictus.
— T’as pas de nouvelles d’elle, hein papa ? Et tu fais dans ton froc…
— Ta gueule ! Appelle.
— J’ai trop soif pour pouvoir parler à qui que ce soit, rétorque Raphaël en refermant les yeux. Donne-moi de l’eau et on verra…
Papa se concentre un instant pour retrouver son calme légendaire.
— Si j’étais toi, je ne jouerais pas à ce petit jeu-là, dit-il. Parce qu’il me reste une bouteille d’acide sulfurique dans la remise.
— Vraiment ?… Au point où j’en suis, j’ai plus grand-chose à craindre.
— C’est sur Jessica que je vais la verser, pas sur toi.
— Ça, ça m’étonnerait. Tu n’as pas envie de trop l’abîmer, cette petite. Pas avant de l’avoir bien baisée. Je me trompe ?
Le visage de Patrick se contracte.
— T’as peut-être raison… Merci du conseil. Alors c’est ton frangin qui va prendre.
— Ce que je supporte, il est capable de le supporter, contre-attaque Raphaël.
William, raide comme la justice, acquiesce d’un hochement de tête. Même si la peur lui broie les entrailles.
— Si tu veux que j’appelle mon pote, et si tu veux qu’il reconnaisse ma voix, file-moi à boire. Je veux aussi des trucs pour calmer la douleur. Sinon, j’appellerai personne.
— OK, champion. Je vais t’apporter ce que tu veux. Mais t’as pas intérêt à me jouer un de tes tours… Sinon, je te garantis que c’est ta mère que tu vas appeler.
Patrick quitte la pièce, claque la porte un peu fort.
— Il perd ses moyens, chuchote Raphaël.
— Fais gaffe, quand même, engage William. Il est capable de tout, ce fumier !
— Merci, j’suis au courant…
Raphaël pousse une sorte de gémissement. Même parler est une souffrance.
— T’as toujours aussi mal ?
— À ton avis ?
William se rencogne dans l’angle du mur, abandonnant un peu le chevet du blessé.
Ce que je supporte, il est capable de le supporter.
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