Elle ne parlera pas facilement. Elle en a vu d’autres.
Résistance à toute épreuve.
— Avant d’être muté ici pour finir ma carrière tranquille, j’étais au 36… Patron de la BRB. Vous savez ce que c’est ?
Il parle à un mur.
Mais tous les murs, même les plus épais, ont forcément une faille. Il suffit de la trouver et de cogner dessus.
Alors, tout l’édifice s’écroule.
— La BRB, c’est la brigade de répression du banditisme. L’ancien antigang, si vous préférez… Alors, les interrogatoires, j’ai l’habitude de les mener !
Elle semble un peu ébranlée. Mais plus par la situation dans laquelle elle est venue se fourrer que par le discours du super flic.
— C’est moi qui ai serré Orgione, il y a quelques années de ça. Et à peine sorti de taule, le voilà qui remet le couvert ! Mais aujourd’hui, il n’est pas seulement recherché pour une attaque à main armée… Il est recherché pour meurtres ! Alors, si vous ne voulez pas être accusée de complicité, vous devriez vous montrer plus coopérative, madame.
Il fouille alors les poches de son manteau, y trouve un téléphone portable. Il sourit, sûr d’avoir dégoté sa première piste.
Mais dès qu’il presse une touche, l’appareil lui réclame un code pin. Clavier bloqué.
Il s’approche à nouveau de Sandra, se campe face à elle.
— La partie ne fait que commencer… J’espère que vous avez les nerfs solides.
Sandra ferme les yeux.
La situation est désespérée.
*
Raphaël serre la main de son frère, qui n’a pas lâché la sienne.
— Will…
— Oui ?
— Tu sais ce qui nous attend ?
— Je sais, oui.
— Si seulement ce n’était pas Sandra qui était allée là-bas, murmure Raphaël dans un souffle.
— Tu ne pouvais pas deviner. Ça aurait pu marcher… Ton plan était sacrément ingénieux, tu sais !
Raphaël se met à pleurer, William sent son cœur se briser.
— Pleure pas, mon frère… Pleure pas, je t’en prie.
— J’aurais tellement voulu t’éviter la prison, Will… J’aurais tellement voulu que ça ne t’arrive jamais !
— Calme-toi, maintenant. Ce pourri pourrait nous entendre.
Ils ont pourtant parlé d’une voix à peine audible.
— Comment tu te sens ? Tu as toujours aussi mal ?
— C’est… l’enfer, murmure Raphaël. Les flammes de l’enfer.
— Faut que tu tiennes, conjure William. Ne m’abandonne pas, Raph ! Je vais m’occuper de toi. On va s’en sortir, tu vas voir…
*
Patrick ne cesse de consulter sa montre. Déjà dix heures et aucune nouvelle de Sandra.
Peut-être que ce Lefèbvre a caché le fric en dehors de chez lui, qu’il doit emmener Sandra dans une planque à l’extérieur de la ville ?
Nerveux, il décide d’aller aux nouvelles et compose le numéro du portable qu’il a confié à sa nièce.
Au bout de la quatrième sonnerie, il bascule sur la messagerie.
— C’est moi, papa. Dis-moi où ça en est, je te prie. J’attends de tes nouvelles. Et essaie de garder ce putain de portable à portée de main, OK ?
Il raccroche, furieux, commence à faire les cent pas dans la salle à manger pour calmer son impatience.
— Mais qu’est-ce qu’elle fout, bordel ! Pourquoi elle ne me rappelle pas !
Il retourne s’asseoir devant ses écrans, essaie de se calmer en observant ses prisonniers. William qui assiste, impuissant, à l’agonie de son frère. Jessica qui se balance d’avant en arrière en se rongeant furieusement les ongles.
Seule la souffrance qu’il inflige pourra l’apaiser. Elle seule a le don d’effacer ses propres tourments.
Il en a toujours été ainsi.
*
Dès que le portable a sonné, le commissaire Lefèbvre s’est jeté dessus. Il a attendu que la communication bascule sur le répondeur puis a appuyé sur la touche menu.
Il trouve enfin la liste des contacts.
Vide.
Il interroge alors les appels entrants et sortants : celui qui vient d’arriver s’affiche en numéro privé. Il n’y en a aucun autre.
— Merde !
Il se tourne vers Sandra qui esquisse un léger sourire.
— Je ne me marrerais pas trop à votre place ! menace le flic.
— Il est bien plus intelligent que vous ! crache-t-elle.
Surpris d’entendre sa voix, il s’approche.
— Qui est bien plus intelligent que moi ?
Le portable signale un message, le commissaire se hâte de composer le numéro de la boîte vocale et met le haut-parleur.
Une voix glaciale surgit du combiné.
« C’est moi, papa. Dis-moi où ça en est, je te prie. J’attends de tes nouvelles. Et essaie de garder ce putain de portable à portée de main, OK ? »
Le flic colle le portable sous le nez de Sandra.
— Je sais déjà que vous avez un père. Et qu’il n’a pas l’air commode…
Elle ne répond toujours pas mais il constate qu’entendre cette voix la perturbe. Son fameux point faible, peut-être ?
— Puisque vous refusez de m’aider, on va employer une autre méthode…
Dans un tiroir, il récupère son arme de service. Puis il enfile sa parka et la libère.
— Où on va ? s’étrangle Sandra.
— Au commissariat. Je veux faire les choses dans les règles.
— Je ne veux pas y aller !
— Je ne crois pas que vous ayez le choix, ricane le commissaire. Fallait pas me réveiller un jour de congé ! Mauvaise idée, ça…
— Je ne parlerai pas, prévient Sandra d’une voix rauque.
Il l’attrape par le bras, la conduit de force vers la porte.
— C’est ce qu’on verra…
Onze coups viennent de sonner à l’église de Mermaisan.
Et toujours aucune nouvelle de Sandra.
Patrick sent monter l’angoisse. Ce sentiment devenu si rare. Depuis qu’il a appris à tout maîtriser.
Il s’agite de plus en plus, déambulant nerveusement dans la maison.
Alors, il décide de la rappeler. Une fois encore, il tombe sur le répondeur après la quatrième sonnerie.
— Qu’est-ce que tu fous, Sandra ? Pourquoi tu ne me rappelles pas, nom de Dieu !
Il fait une courte pause, décide de changer de ton. L’effrayer n’est peut-être pas la bonne solution.
— Je suis inquiet, tu sais… J’espère que tu n’as pas eu de problème… Alors rappelle-moi vite ma chérie, d’accord ?
Il reste un moment immobile derrière son bureau. Essayant d’envisager tous les scénarii possibles.
Le portable n’est pas déchargé et il y a du réseau. Sinon, il tomberait directement sur le répondeur. Donc, c’est qu’elle ne veut pas ou ne peut pas répondre.
Accident de voiture ? Vol de son sac à main ? Un coup tordu de ce Pierre Lefèbvre ?
Et le pire de tous : Sandra aurait-elle décidé de disparaître avec l’argent ?
Il tente de se calmer en respirant profondément, plusieurs fois d’affilée.
Sandra ne ferait jamais une chose pareille. Elle a trop besoin de moi.
Trop peur de moi.
*
Le voilà revenu sur le terrain. Et pas pour n’importe quelle traque.
Remonter ses manches et passer à l’action. Ça lui rappelle d’émouvants souvenirs. Les enquêtes, les interrogatoires, les flags, les coups de filet.
Les chasses à l’homme. L’adrénaline.
Lefèbvre trace des cercles autour d’elle. Un vieux truc pour mettre le suspect mal à l’aise.
Sandra est assise sur une chaise. Elle a toujours les poignets menottés, les mains sagement posées sur ses cuisses.
Et elle fixe ses chaussures.
Ils n’ont pas de prise sur elle.
En plus de Lefèbvre, il y a un lieutenant et un capitaine dans la pièce. Deux officiers qui ne s’attendaient pas à suivre la trace des frères Orgione aujourd’hui. Ni même un autre jour d’ailleurs.
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