Plus il s’approche, plus elle sent ses forces l’abandonner.
Il la saisit par les épaules, la force à se mettre debout. Il écrase son visage entre ses mains, elle se raidit mais ne songe pas à se défendre. Prête à capituler.
— Tu veux t’enfuir ?
— Non, monsieur. Je ne recommencerai pas. Je vous le jure !
— Tu veux rentrer chez toi ?
— C’est… C’est ici, ch… chez moi.
— Et qui commande, ici ?
— C’est vous.
— Tu sais ce qui me ferait plaisir ?
— Oui.
— Oui, qui ?
— Oui, monsieur.
— Alors vas-y, fais-toi pardonner, maintenant.
Il lâche son visage, elle tombe à genoux et met les mains derrière le dos.
*
Sandra est à la fenêtre. Pas d’étang, de forêt profonde ou de brouillard, ici.
Seulement un parking, une route, un immeuble de bureaux. Du bitume et du béton.
Du bruit et de la vie.
Elle pensait se réjouir de leur absence. Pourtant, elles lui manquent.
Une voiture se gare près de la sienne, un homme en descend. Grand, costume sombre, cheveux bruns. Ça lui rappelle la première fois qu’elle a vu Raphaël devant son cabinet.
Elle a l’impression que c’est lui qui approche de l’entrée de l’hôtel. Lui qui va la rejoindre. Pour lui dire qu’elle est libre, qu’ils peuvent partir ensemble.
L’homme s’arrête devant la porte, allume une cigarette. Comme le ferait Raphaël.
Était-il son malheur ? Ou bien sa chance ?
Sa seule chance…
L’homme entre dans l’hôtel, Sandra tire les rideaux. Elle s’allonge sur son grand lit, sans même prendre la peine de défaire les draps.
La culpabilité l’étreint avec force. Comment a-t-elle pu souhaiter, ne serait-ce qu’une seconde, que Raphaël la délivre ? Comment a-t-elle osé vouloir trahir son propre père ?
Elle frappe du poing sur sa poitrine, enfouit son visage dans l’oreiller.
Je suis mauvaise. Mauvaise et folle. Aussi cinglée que ma pauvre mère !
Sans lui, je ne suis rien. Et me voilà en train de souhaiter m’éloigner de lui.
Alors que ça le tuerait.
Le remords est si prégnant qu’elle attrape son portable et compose le numéro de Patrick.
Elle va sans doute le réveiller, mais peu importe.
Il décroche rapidement, elle sourit.
— Papa, c’est moi.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Rien… Je voulais juste entendre ta voix. Te dire bonne nuit… Tu dormais ?
— Non. Je viens de rentrer.
— Ah… Tu… Tu étais avec elle ?
— Oui. J’ai passé un sacré bon moment avec cette petite allumeuse, tu peux me croire !
Sandra ferme les yeux, sa main se crispe sur l’oreiller.
— Tant mieux, dit-elle enfin.
— Mais avant ça, je me suis occupé de ton ami.
Une boule de douleur palpite dans son ventre.
— Ce n’est pas mon ami ! se défend la jeune femme.
— Vraiment ?… Tant mieux, parce que je ne suis pas sûr que tu vas le reconnaître en rentrant !
Sandra se redresse dans le lit. Elle a du mal à respirer.
— Comme il était sale, je lui ai fait prendre une douche, poursuit papa d’un ton perfide.
— Une douche ?
— Une douche d’acide sulfurique. Il a apprécié, tu peux me croire ! Il a gueulé comme un porc qu’on égorge ! Il m’a supplié, il a rampé, il s’est traîné à mes pieds. C’était pitoyable… Dommage que tu aies raté ça !
Elle ne répond plus, complètement abasourdie.
— Tu es toujours en ligne, ma douce ?
— Oui.
— J’ai vraiment hâte que tu rentres, tu sais.
— Moi aussi, prétend-elle.
— Tu devrais dormir, maintenant. Il est tard et un long trajet t’attend demain.
— Oui, bien sûr, murmure la jeune femme.
— Fais de beaux rêves, ma douce.
Il coupe la communication, Sandra reste de longues minutes pétrifiée sur le bord de son lit. Elle sent les larmes couler doucement sur ses joues.
Je t’avais dit de partir avant qu’il ne soit trop tard. Pourquoi tu ne m’as pas écoutée ?
À des centaines de kilomètres de là, Patrick est confortablement installé devant ses écrans.
Tu perds rien pour attendre, ma chérie.
« Demande à Sandra, elle te dira quel homme je suis. Elle n’a pas pu oublier… Toutes ces nuits où tu n’étais pas là. »
Tu ne peux pas savoir comme j’ai hâte que tu rentres, ma chérie !
Tu m’as trompé avec ce minable ? Tu as osé me trahir ? Me salir, me mentir ?
Tu veux le rejoindre ? Eh bien tu vas être servie.
Papa va bien s’occuper de toi.
C’est promis.
William s’est enfoncé dans la forêt.
L’endroit semble désert.
Parfait.
Il extirpe de son sac à dos une petite bouteille de bière avec laquelle il se désaltère. Puis il la dépose sur un rocher et recule.
Avec un sourire d’enfant, il saisit le Beretta qu’il vient d’acquérir.
Pistolet automatique, calibre 45.
Une arme de tueur. Entre les mains d’un jeune magasinier. Qui met les palettes en rayon, dans un supermarché de Troyes.
Impossible de trouver un vrai boulot, même avec un bac en poche et la maîtrise de deux langues étrangères.
William a tout testé. De la restauration rapide jusqu’à la grande distribution, en passant par la tenue d’ouvrier sur les chantiers ou les routes.
Quatre ans de galère depuis qu’il a décidé de décliner l’aide de Pierre.
Heureusement qu’il donne des cours d’anglais ou d’italien à des ados indolents pour arrondir ses fins de mois.
Il ajuste son tir, appuie sur la détente. Le bruit est monstrueux.
Délicieusement monstrueux.
La bouteille explose. En plein dans le mille.
Il faut dire que Will s’est entraîné pendant près d’un an dans un club de tir avant de s’acheter cette arme.
Sous le manteau, bien sûr.
Deux mois de salaire, une bonne affaire pour un tel flingue.
Propre et sans histoire.
William en a assez de jouer les larbins pour un employeur tyrannique.
William en a marre de charrier des palettes d’eau minérale, gazeuse ou plate. Des tonnes de canettes de bière. Des quintaux de Mousline ou d’Uncle Ben’s.
Marre d’être exploité.
D’être un raté.
Le seul avantage, c’est qu’il est sûr que les filles ne le remarquent pas pour son compte en banque ou la dernière Audi qu’il rêve de piloter !
Mais aucune, à ce jour, n’a su remplacer Mathilde…
Ces quatre dernières années l’ont persuadé que l’honnêteté n’est pas forcément la seule voie.
Quatre ans pendant lesquels il a commencé à comprendre pourquoi Raphaël a pris de tels risques.
Oui, le jeune Will a d’autres projets.
La génétique a parlé.
Il est un Orgione, après tout. Et les frères Orgione ne bossent pas dans un supermarché.
Alors, il doit se tenir prêt.
Prêt pour un autre avenir.
Prêt pour la sortie de prison de Raphaël. D’ici deux ou trois ans.
Prêt à monter avec lui sur le prochain coup qui germe déjà dans son cerveau, il en est sûr.
Un coup de maître, c’est certain.
Qui les réunira.
Les rendra riches.
Et libres, enfin.
7 h 30
Sandra descend à la réception régler sa note ; en liquide, comme papa le lui a ordonné.
L’employé est un jeune homme au physique passepartout et aux méthodes de drague plutôt expéditives. Sandra répond à ses allusions d’un simple sourire agacé et se hâte de rejoindre le parking, surprise d’être accueillie par un vent glacé.
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