— Bien… Est-ce que tu es bâillonnée ?
Deux coups.
— Ah… Es-tu en état de parler, Jessica ?
Un coup bref. Nerveux.
— Bon, me voilà rassuré !… Tu es blessée ?
Un coup. Le second met du temps à arriver. Elle a hésité.
— Est-ce que mon frère et moi avons fait quelque chose de mal ?
La réponse se fait attendre, William retient sa respiration.
Deux coups, enfin.
William fait une pause, essayant d’élucider ce mystère. Pourquoi refuse-t-elle de leur adresser la parole ?
Alors, Raphaël prend le relais :
— Est-ce que toi, tu as fait quelque chose de mal ? demande-t-il.
Un coup. Violent.
Les deux frères échangent un regard douloureux. Puis Raphaël poursuit :
— Est-ce que tu as honte et que c’est pour ça que tu ne veux plus nous parler ?
Un coup.
William baisse les yeux.
— Écoute-moi bien, Jessica, poursuit Raphaël, c’est à lui d’avoir honte, pas à toi. Toi, tu n’as rien fait de mal, tu m’entends ? Tu as juste obéi pour sauver ta vie. Et tu as eu raison de le faire.
— Tu n’avais pas le choix, enchaîne William.
— C’est lui qui devrait avoir honte ! martèle Raphaël. Pas toi, petite ! Tu m’entends ?
— Oui, répond enfin Jessica.
— Et ne crois pas ce qu’il te dit : tous les hommes ne sont pas comme lui, je t’assure ! Ton père n’est pas comme lui, mon frère et moi non plus. D’accord ?
— Oui. D’accord…
William sourit à nouveau. Ils ont réussi. Mais l’instant d’après, ils entendent la jeune fille sangloter violemment. Éperdument.
— C’est mieux comme ça, murmure Raphaël. Faut que ça sorte…
*
— Crois-tu en Dieu, ma colombe ?
C’est papa qui a apporté le déjeuner, aujourd’hui. Jessica regarde sans y toucher le morceau de pain garni de fromage. Ce pain qu’il a coupé, manipulé.
Savoir qu’il a posé les mains dessus lui donne la nausée.
— Réponds à ma question, ordonne Patrick en croisant ses jambes. Tu crois en Dieu ?
— Oui, monsieur.
— Tu vas à l’église le dimanche ?
— Non, monsieur.
— Et est-ce que tu crois toujours en Dieu depuis que tu es ici ?
— Oui…
Elle a hésité, il l’a senti dans sa voix.
— S’Il existe, peux-tu m’expliquer pourquoi Il ne m’a pas empêché de t’enlever ?
— Je sais pas.
— Crois-tu encore qu’Il va te protéger de moi ?
— Je sais pas.
— Tu veux que je te donne la réponse ?
Elle fixe maintenant ses pieds. Sales.
— Dieu ne te protégera pas de moi. Parce qu’Il n’existe pas.
La main de Jessica serre le barreau du lit auquel elle est attachée.
— Personne ne te protégera. Je t’ai choisie, parmi tant de millions de jeunes filles de ton âge. Je t’ai voulue et je t’ai eue. Et ça, personne ne m’en a empêché. Et rien n’empêchera la suite…
Il observe ses lèvres qui tremblent légèrement ; sur les siennes, un sourire maléfique traîne en longueur.
— Mange, maintenant.
— J’ai pas faim.
— Mange, tout de suite. Je n’ai pas envie que tu maigrisses. Tu serais moins bandante.
Jessica porte une main devant sa bouche. Son estomac quasiment vide vient de se révulser.
— J’ai pas faim ! s’emporte-t-elle.
Elle s’attend à une gifle, comme à chaque fois qu’elle se permet de hausser le ton. Mais il ne bouge pas.
Pas encore.
— Tu crois que tu peux me parler sur ce ton ? menace-t-il. Mais pour qui te prends-tu !
Elle ne répond pas, ferme seulement les yeux.
Lorsqu’il la détache, elle se met à crier. Elle hurle, pour conjurer le sort.
Elle hurle, pour qu’ils entendent, de l’autre côté du mur. Qu’ils partagent sa douleur, qu’elle ne soit pas seule à avoir mal, à avoir peur.
Il la tire hors du lit, elle se retrouve assise par terre.
Papa se plante devant elle, mains sur les hanches. Elle relève la tête, l’affronte du regard.
« Tu dois te laisser faire, sinon, il te fera plus mal encore. »
Je n’en ai plus envie, Raphaël. Qu’il me tue, enfin. Qu’on en finisse.
— Tu veux jouer à ça ? Très bien, ça me convient ! balance Patrick. Je vois que tu n’as pas retenu les dernières leçons, on va donc réviser les bases ensemble !
Papa a l’air en colère, alors qu’il est le plus heureux des hommes. Plus elle résiste, plus elle augmente son plaisir.
Il la saisit à bras-le-corps, la jette sur le lit d’Aurélie. D’une main, il immobilise ses poignets, bloque ses jambes à l’aide des siennes.
Elle le dévisage, effrayée, essaie de le ramener à la raison :
— S’il vous plaît, monsieur !
Il fouille dans la poche de son pantalon en velours, en extirpe un petit couteau suisse. Avec les dents, il déplie la lame du canif.
— Arrêtez ! hurle la jeune fille.
Trop tard.
Il est en transe.
Raphaël s’est mis debout. Il essaie de se détacher, comme s’il pouvait venir à bout d’une paire de menottes en acier. Il espère peut-être desceller l’anneau fixé dans le mur.
Avec des grognements de bête féroce, il tire sur son bras comme un forcené. William l’observe, désemparé. Il va finir par se démettre l’épaule.
— Arrête, Raph ! dit-il, les yeux pleins de larmes. Arrête, tu vas t’arracher le bras !
Raphaël ne peut pas s’arrêter. Ne peut plus rester assis par terre, comme un chien, tandis que ce pervers torture une gamine.
Alors, il continue à s’acharner. Avec une telle force que William croit, pendant une seconde, qu’il va parvenir à sortir l’anneau du mur.
Que le miracle va se produire.
Mais Raphaël finit par s’écrouler, vaincu.
La lame a tracé des formes géométriques à l’intérieur de sa cuisse gauche. Papa trouve ça joli.
Il lèche le sang qui s’échappe des multiples blessures, pour mieux admirer son œuvre.
Jessica ne hurle plus. Elle pleure, elle tremble, elle prie.
Puis papa range son couteau mais ne libère pas sa proie. Jessica lit dans ses yeux que ce n’est pas terminé. Que c’est loin d’être terminé…
Il approche sa bouche de la sienne, descend sur sa gorge. Sa gorge, qui se noue terriblement, empêchant l’air de passer.
Puis il relève sa tunique, embrasse son ventre. Et soudain, il la mord jusqu’au sang.
Avant de s’évanouir, Jessica comprend qu’il est en train de la dévorer.
*
Houspillée par la faim, Sandra s’arrête sur une aire de repos. Mais au moment d’entrer dans le grill, elle hésite. Hors de son périmètre habituel, sortie de son territoire, elle se sent perdue.
Papa ne l’emmène pas au restaurant ; ils ne sortent jamais de leur tanière.
L’endroit est bondé, elle recule. Avec l’horrible impression que tous les regards convergent vers elle en un seul mouvement. Qu’ils savent qui elle est. Ce qu’elle fait.
Comme si ses fautes et ses hontes défilaient en lettres rouges sur son front.
Elle s’enfuit, passe finalement à la station-service acheter une salade en barquette, un sandwich et une bouteille d’eau minérale. Puis elle se réfugie bien vite dans son 4 × 4, le gare aussi loin que possible de la foule.
En voyant son portable posé sur le siège passager, elle a soudain envie d’appeler Patrick.
En fait, ce n’est pas une envie.
Juste une obligation.
Mais il ne décroche pas. Ni sur le fixe, ni sur le portable. Sandra se demande où il est, ce qu’il fait. Est-il en train de torturer les deux frères ? Ou Jessica, peut-être ?
De toutes ses forces, elle espère que c’est Jessica qui est entre ses mains.
*
Quand papa entre dans leur geôle, les deux frères tournent la tête vers lui.
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