Ç’aurait l’air d’une mort naturelle.
Sauf que Patrick est toujours à l’affût. Confortablement installé derrière son écran d’ordinateur, avec une vue panoramique sur les événements.
Une caméra dans chaque pièce. Un système qu’il a mis en place des années en arrière pour pouvoir surveiller à distance ses colombes .
Il passe des heures à les regarder dormir, trembler ou pleurer.
Des heures à se mettre en appétit.
Certes, il n’a pas la vue sur la salle de bains, mais…
La nuit, peut-être ? Pendant qu’il dort profondément.
C’est la première fois que Sandra y songe. Qu’elle a envie que tout cela s’arrête.
Elle sait que c’est à cause de lui.
Raphaël.
Qu’a-t-il fait bouger en elle ? Qu’a-t-il déclenché ?
Il a bousculé le monstre, réveillé la vraie Sandra, morte depuis si longtemps.
— Vous allez m’aider, madame ? répète Jessica.
— Je te promets d’essayer, chuchote Sandra.
— Vous êtes prisonnière, vous aussi ?
La gamine se colle contre elle, la serre dans ses bras fatigués. Sandra recule précipitamment comme si on venait de la brûler.
— Retourne sur ton lit, faut que je te rattache.
*
17 h 10
Raphaël se lève, difficilement.
Chaque mouvement lui rappelle à quel point il est dans un état physique désastreux.
Son poignet entravé le fait pencher sur le côté gauche.
Il pisse dans leur pot de chambre , un seau en plastique sur lequel est posée une planche. William tourne la tête de l’autre côté, simple réflexe de pudeur.
Raphaël retombe sur son matelas défoncé, commence à se gratter la jambe. Il s’acharne, jusqu’à s’arracher la peau.
— Arrête, conseille William.
— J’y peux rien, ce matelas doit être plein de puces ou je sais pas quoi… Bordel !
— Je sais, soupire son frère. J’ai les mêmes ! Et ça m’étonnerait que l’autre salopard nous laisse nous laver encore une fois…
Raphaël le toise d’un sourire narquois.
— Tu peux toujours lui demander, balance-t-il. Depuis que tu t’allonges dès que tu le vois, il t’a à la bonne !
— Dis pas ça, Raph… J’avais pas le choix, tu le sais très bien. Fallait que ça s’arrête.
Son frère fixe la fenêtre. Verdure à perte de vue.
— Et puis c’est toi qui as appelé Pierrot, je te signale.
— Au point où on en était ! riposte le braqueur. Ça changeait plus grand-chose. Et je vois pas pourquoi tu te serais soustrait à la torture et que c’est cette pauvre gamine qui aurait dû payer à ta place.
— Tu pourrais lui filer un coup de main pour les bijoux, ose William. Peut-être qu’on pourrait négocier avec lui…
Les mâchoires de Raphaël se crispent.
— Négocier avec ce chien ? Parce que tu crois encore que tu vas pouvoir sauver ta jolie petite gueule ?
— Mais…
— La ferme ! ordonne Raphaël.
— Laisse-moi parler ! s’insurge son frère. Pourquoi c’est toi qui déciderais de tout, hein ?
Raphaël fait l’effort de se remettre debout. Il fixe désormais son frère avec quelque chose qui ressemble à un profond mépris.
Puis, sans sommation, il lui décroche un coup de poing en pleine mâchoire. Une droite assassine qui l’assomme littéralement.
Le jeune homme met près d’une minute à reprendre ses esprits tandis que Raphaël digère la douleur infligée une fois encore à ses phalanges.
— T’es devenu fou, merde… Qu’est-ce qui te prend ?
— Voilà pourquoi c’est moi qui décide, assène le braqueur. Parce que t’es rien qu’une merde. Et si tu continues à collaborer avec cette ordure, c’est moi qui t’achève. Clair ?
William recule tant qu’il peut sur son matelas, pour se mettre hors de portée. Puis il contre-attaque. Des larmes plein les yeux, du sang plein la bouche.
— J’essaie juste de sauver notre peau !
— Ma peau n’a pas besoin de toi. On est condamnés, je te l’ai déjà dit. Et si tu veux crever en trouillard, c’est ton problème. Mais ce ne sera pas mon cas. Tu te comportes comme une mauviette, tu me fais honte.
Raphaël se pose à nouveau sur son matelas pouilleux, tournant carrément le dos à son frère.
Dix minutes plus tard, la porte du couloir leur annonce une visite.
Papa est de retour.
Après une bonne sieste, sans doute.
— Alors les filles, on fait la gueule ? Quelle ambiance !
Il s’approche de William, fronce les sourcils.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé, fiston ? Tu t’es pris le mur en face ?
Le jeune homme ne répond pas, il se contente d’éponger avec sa manche le sang qui continue à couler de sa bouche.
— Réfléchissons, poursuit Patrick. Qui peut bien t’avoir amoché de la sorte ? Hmm… Ce ne serait pas ton grand frère adoré , par hasard ? Ton héros ?
William garde toujours le silence, papa sort un Kleenex de sa poche.
— Tiens, fiston. Tu me fais peine !
— Merci.
— Vas-y, lèche-lui les bottes ! ricane Raphaël. Te gêne surtout pas pour moi ! Et si tu lui faisais une petite pipe, pendant que t’y es ?
Will envoie un regard acerbe à son frère, papa n’en finit plus de sourire. Il semble beaucoup s’amuser de cette scission fraternelle.
— Allons les garçons… Vous êtes pitoyables, vous savez.
Puis il tourne la tête vers Raphaël.
— Les pipes, c’est Jessica qui me les fait.
Raphaël crache par terre, dans sa direction.
— Bon, si on revenait à nos moutons, Will. Tu devais me donner un nom et une adresse, je crois ?
— J’ai faim.
Patrick s’agenouille par terre, à une distance raisonnable du jeune homme. Et surtout, hors de portée de Raphaël.
— Tu as faim ? Eh bien dis-moi ce que je veux savoir et je t’apporterai un vrai repas.
— Et si on faisait l’inverse ? Vous me donnez à manger et ensuite, je vous file l’adresse.
— Tu vas me faire perdre patience, fiston.
William déglutit bruyamment.
— Je vous donne son nom maintenant et l’adresse après, négocie le jeune homme.
Patrick éclate de rire, Raphaël maugrée :
— T’es pas mon frère, c’est pas possible… Ils ont dû se tromper à la maternité !
— Marché conclu, fiston !
— Il s’appelle Pierre Lefèbvre.
Aussitôt, papa extirpe de sa poche le portable de Raphaël et l’allume. Il consulte les appels sortants, regarde à quel nom est enregistré l’interlocuteur que Raphaël a contacté la veille.
— Pierrot …
— C’est comme ça que Raph l’appelle, précise William. Et on ne met jamais les noms de famille dans le répertoire.
— Je suis pas complètement débile, sermonne son geôlier. Et son adresse ?
— J’ai trop faim pour m’en souvenir.
18 h 55
Sandra s’arrête sur le seuil de la pièce, le plateau entre les mains. Papa le lui confisque et le dépose devant William.
— Voilà mon gaillard, de quoi te faire péter la panse !
— Merci…
— Merci, papa ! parodie son frère.
— Il n’y a rien pour toi, champion ! se réjouit leur geôlier.
— Tant mieux. J’ai besoin de rien. Contrairement à mon frère, je ne suis pas un clebs à qui on file à bouffer dès qu’il donne la papatte.
— Je te sens tellement amer. Ça me désole…
Tandis que Patrick se poste face à la fenêtre, Raphaël tourne la tête vers Sandra, figée à l’entrée de leur cellule. Elle n’aperçoit aucune haine dans ce regard furtif. Seulement des questions.
Lui discerne le désarroi et la honte dans les yeux de jade.
La seconde d’après, Patrick se campe devant lui.
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