— Aucun risque que j’oublie…
— Laisse-moi, salaud !
— Ce n’est pas moi, le salaud de l’histoire, Sandra. Moi, je suis juste un braqueur de banques, un voleur de bijoux… Le salaud, c’est ton cher mari.
William bloque ses jambes, Raphaël appuie un genou sur son épaule. Elle lui assène un violent coup au visage ; il encaisse mais ne cède pas. Il veut qu’elle parle.
Pour la faire passer dans son camp, il doit d’abord la connaître, la comprendre.
S’il est possible de la comprendre.
— À condition que ce malade mental soit vraiment ton mari, insinue-t-il. Je commence à en douter…
Elle continue à le frapper, il esquive comme il peut. Mais son bras entravé ne lui permet pas de résister plus longtemps et elle parvient à leur échapper.
Elle récupère sa trousse, se jette sur la porte.
— Ce n’est pas ton mari, hein Sandra ? Plutôt ton père…
Elle se fige sur le seuil de la pièce, sa main se crispe sur la poignée de la porte.
— On dirait que j’ai deviné ! balance Raphaël.
William dévisage son frère avec stupéfaction. Sandra, elle, ne bouge toujours pas.
Touchée par la foudre.
Raphaël retient sa respiration et, lorsqu’elle se retourne enfin vers lui, il comprend qu’il est allé trop loin.
Elle le fixe d’un air effrayé de longues secondes, puis détourne soudain son regard.
— Ce fou est ton père, c’est ça ? s’acharne Raphaël.
Sandra esquisse quelques mouvements désordonnés. On dirait qu’elle est ivre morte.
Elle revient vers la porte, appuie son front dessus.
Ils retiennent leur respiration, espérant qu’elle va se mettre à pleurer, se confier. Les rejoindre, enfin.
Mais elle ne dit rien. Rien d’audible en tout cas. Ils entendent juste un vague murmure, une sorte de litanie, une complainte étouffée.
Plusieurs fois, elle frappe la porte avec sa tête. Sans violence, très lentement.
Puis, d’une main tremblante, elle fouille à l’intérieur de sa trousse et en extirpe une seringue, un flacon.
Raphaël voulait provoquer un électrochoc. Visiblement, c’est réussi.
Et ça va lui coûter la vie.
— Je comprends, tu sais. Je comprends ce que tu as dû endurer…
— Tu ne comprends rien, lui répond une voix d’outre-tombe. Tu n’as même pas le droit de parler…
— Tu devrais me faire confiance, Sandra. Je peux t’aider, tu sais.
Elle se met à rire, elle est effrayante.
— M’aider ? Comme si quelqu’un pouvait m’aider !
Elle remplit la seringue, la pose sur le sol, hors de portée. Puis elle disparaît dans le couloir, revient une seconde après, armée de la batte de base-ball.
— Du calme, Sandra, conjure Raphaël. Du calme, je t’en prie ! On pourrait parler, tous les deux…
À peine a-t-il fini sa phrase qu’il reçoit la batte en pleine tête. Son crâne heurte le mur, il s’affaisse sur le côté.
Il est suffisamment sonné pour que Sandra parvienne à ses fins.
Bloquer son bras, remonter la manche de son tee-shirt.
— Arrête ! hurle William. Arrête, Sandra, je t’en supplie !
Chercher une veine.
Avec la dextérité d’une professionnelle.
— Personne peut m’aider, soliloque la jeune femme. Personne m’a jamais aidée… Tu dis n’importe quoi ! Tous ces gens qui disent n’importe quoi… J’en peux plus ! Ils ne savent rien et ils parlent ! Comme s’ils avaient le droit…
Enfoncer l’aiguille.
Sans la moindre hésitation.
Raphaël pousse un gémissement, essaie de se redresser. Mais il retombe aussitôt.
Presser sur le piston.
— Sandra, non !
Cette voix la stoppe sur-le-champ.
La voix de papa.
— Arrête ça tout de suite, ma chérie. Lâche cette seringue…
Sandra hésite. Elle tourne la tête vers Patrick, lui jette un regard éperdu.
Le regard d’une petite fille prise en faute.
— Fais ce que je te dis, Sandra, ordonne calmement papa.
Elle obéit, abandonne la seringue dans le bras de Raphaël et recule lentement.
— C’est bien. Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? interroge Patrick.
— Du… du T61.
Raphaël parvient enfin à se rasseoir et découvre l’arme létale plantée dans son bras.
— Bouge pas, Raph ! s’écrie William. Ne bouge pas, putain !
Papa bloque les mains de Sandra dans les siennes, lui sourit.
— Pourquoi tu voulais faire ça, ma douce ?
— Il… il…
— Du calme, prends ton temps.
— Je veux qu’il meure ! Je veux qu’il se taise !
— J’ai besoin qu’il vive encore un peu, faut-il que je te le rappelle ? Tant que je n’ai pas mon argent, j’ai besoin qu’il reste en vie. Et toi, tu veux le tuer ?
Sandra se met à trembler, elle cherche ses mots. Mais tout se brouille dans sa tête.
— Je… je pensais que tu avais eu tout ce que tu voulais ! Tu m’as dit que…
— Tu penses trop. Et tu n’obéis pas assez.
La gifle la surprend. Elle reste sur ses jambes un peu par miracle, porte une main à son visage.
— Rentre à la maison, maintenant. Va te reposer, je te rejoins dans un petit moment…
Comme elle ne bouge pas, papa hausse le ton.
— Disparais !
Elle rase le mur et s’enfuit dans le couloir.
Patrick s’accroupit devant Raphaël, s’amuse à faire bouger la seringue dans son bras.
— Tu as eu chaud, on dirait !
Raphaël reprend doucement ses esprits.
— Tu sais ce qu’il y a dans cette seringue ? De quoi t’expédier direct en enfer… Ma petite Sandra l’utilise pour mettre à mort les chevaux.
— Vas-y, appuie ! défie Raphaël. Vas-y, expédie-moi en enfer ! Ça sera toujours mieux qu’ici.
— Me tente pas, champion…
Patrick pose un doigt sur l’extrémité du piston, tout en fixant le braqueur.
— Qu’est-ce que tu lui as dit pour la mettre dans un état pareil ?
— La vérité.
— Ça n’existe pas, la vérité. Le plus grand des mensonges… Il y a tant de vérités ! Chacun la sienne…
— Faut croire que j’ai trouvé la sienne.
— Tu es horriblement présomptueux.
— Et toi, horriblement lâche. Une vraie merde. Violer une gamine, cogner sur ta femme … Ou plutôt sur ta fille, non ? J’en ai croisé des ordures, dans ma vie. Mais des comme toi… !
Papa a toujours le doigt sur le piston. William supplie son frère des yeux.
Arrête-toi avant qu’il ne soit trop tard.
Le sourire de papa persiste. Barrière infranchissable.
— Tu veux crever, c’est ça ?
— Ça ne me fait pas peur, prétend le braqueur. Mais tu ne me tueras pas. Tu viens de le dire : tu as besoin de moi.
— C’est vrai, admet Patrick. Par contre, je n’ai absolument plus besoin de ton frangin…
— À quoi pourrait bien me servir ton frère, maintenant ? interroge papa. J’ai la petite Jessica, à la place. Tu vendrais ta mère pour que je ne la touche pas… Sauf que c’est un peu tard : je l’ai déjà touchée.
Papa arrache la seringue du bras, Raphaël se retient de crier.
Son cœur se désaxe, s’emballe.
Patrick lui fait un clin d’œil avant de s’approcher de William qui se colle dos au mur.
— Le T61 est un mélange de trois molécules, explique papa d’un ton académique. Un narcotique qui inhibe le système nerveux central, un produit curariforme et un analgésique local. Normalement, ça marche très bien. Une mort très propre. Mais parfois… Parfois, les derniers instants ne sont pas aussi tranquilles que prévus.
William n’arrive déjà plus à respirer alors pourtant que l’aiguille n’est pas encore dans sa veine.
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