— Vous êtes vraiment des ordures !
— On va aller faire un petit tour, hein Paulo ? ricane Marco. Un petit tour à la campagne… histoire que tu prennes l’air ! On va te trouver un joli petit coin dans la forêt… Ta dernière demeure, Pavel !
Paul ferme les yeux, une demi-seconde. Trouver la solution, maintenant. Échapper à ce funeste sort.
Mais comment ?
Il est privé de calibre alors qu’eux en ont plein les poches. Il est seul, alors qu’ils sont trois frères. Trois dangereux criminels ligués contre lui.
Il imagine déjà la scène. Deux balles dans la tête, une dans le cœur.
Trois trous dans le corps, un dans la terre.
Une scène qu’il a déjà vécue. Sauf que cette fois, il sera du mauvais côté de l’arme ; celle que tient Marco. C’est lui qui va tirer sans doute.
Alors Paul fixe l’aîné bien en face.
— Pourquoi c’est pas toi qui me descends, Bruno ? T’as pas les couilles, c’est ça ?
— Ta gueule ! Mets les mains derrière la tête et avance.
Paul s’exécute, se dirigeant vers son tragique destin sous le regard impassible de Gustave.
Ils marchent dans le couloir, Paul en tête, résigné à mourir, la meute sur ses talons.
Mais soudain, le miracle se produit. Un peu comme la première fois où il a esquivé la mort.
Le miracle se nomme Adelina.
Elle est là, au bout du corridor, un impressionnant fusil de chasse entre les mains.
Elle leur intime l’ordre de déposer les armes, de libérer Pavel. Les trois frères restent un instant éberlués. Ils sont en train de se faire braquer par leur propre sœur ! Même si elle a toujours été la paria de la famille, ils n’auraient jamais cru que…
— Arrête tes conneries et pose ce fusil ! menace Bruno.
— Je préfère crever. Je vous préviens, j’hésiterai pas à tirer ! Vous me donnez envie de gerber, bande de salauds ! Lâchez-le.
Comme pour prouver qu’elle ne ment pas, elle colle le bout du canon sur la tempe d’Enzo, défiant Bruno de ses yeux de démente aux pupilles dilatées par la drogue.
— Je vais lui exploser la cervelle, putain !
— Marco, pose ce flingue, murmure Bruno.
Le petit frère s’exécute, Paul prend les choses en main. Il ramasse son Beretta qui allait servir à le descendre, désarme les trois frères tandis qu’Adelina les tient toujours en respect.
Elle est jeune, Adelina. Dix-huit ans à peine, deux ans de moins qu’Enzo. Et elle a du cran. Paul effleure sa taille, l’embrasse furtivement sur la joue. Il est aussi surpris que les frères Pelizzari de son acte irréfléchi, mais bien plus heureux !
— Allez, Pavel, on se casse ! souffle-t-elle.
Paul comprend qu’elle a dû sniffer une bonne dose. Son doigt tremble tellement sur la gâchette qu’elle va finir par tirer.
— Attends, dit-il doucement. J’ai un truc à terminer, d’abord.
Tout le monde retourne dans le salon, mais dans l’ordre inverse.
Lorsqu’il voit entrer ses fils, mains en l’air, suivis d’Adelina qui tient son propre fusil, le Vieux frise l’attaque. Paul leur ordonne de se mettre à genoux, puis s’avance vers lui, sourire jusqu’aux oreilles.
— Eh oui, Gustave… y a pas pire que d’être trahi par sa propre famille, hein ?
Le patriarche dévisage sa fille d’un air atterré.
— Tu es folle, Adelina… Complètement folle !
— Non, je suis pas cinglée ! Ça fait des années que j’ai envie de vous buter ! Je vous hais, j’ai honte de porter le même nom que vous ! Vous alliez tuer Pavel… Je ne vous laisserai pas faire.
— Réfléchis aux conséquences de tes actes, conseille Bruno. Avant qu’il ne soit trop tard.
— Mais c’est trop tard ! s’amuse Paul. Je te signale que j’ai récupéré mon flingue et que même si elle lâchait son fusil…
— Qu’est-ce que tu veux ? demande Gustave.
— Je vais pas partir les mains vides, non ? En plus d’emporter ta fille, je vais prendre la came… Et ce que j’ai ramené d’Afrique, aussi !
Paul récupère son sac à dos, remet toute la marchandise à l’intérieur. Puis il s’approche de Gustave, lui colle son flingue sur le front. Sa respiration devient difficile.
— C’est fini, Gustave… Je ne suis plus ton esclave. Et Adelina non plus, tu vois.
— Allez, Paul, on se tire ! hurle la gamine.
— J’arrive, ma belle.
Paul hésite. La raison voudrait qu’il ne laisse aucun survivant derrière lui. Il sait qu’en les épargnant, il met sa propre vie en danger. Buter le Vieux et ses trois fils sous les yeux d’Adelina ?
Le visage de sa dernière victime reste imprimé dans sa tête. Il s’est juré, en lui donnant la mort, qu’il ne recommencerait plus jamais.
Non, il ne veut plus tuer. Ne veut pas alourdir sa conscience de quatre meurtres supplémentaires.
Trop de sang. Trop de meurtres.
Il n’a plus la force, soudain.
Il s’écarte de Gustave, s’approche de Bruno. Ce père qu’il croyait avoir enfin trouvé. Et qui vient de le trahir.
— Je vous laisse la vie sauve, à toi, à tes frères, au Vieux… Parce qu’il y a cinq ans, tu ne m’as pas tué. Mais si je recroise votre chemin, je n’hésiterai pas.
— Nous non plus, sois-en sûr, prévient Bruno.
Paul les enferme dans la pièce et prend enfin la fuite avec Adelina. Ils se hâtent de rejoindre la voiture de la jeune fille. Avant de partir, Paul tire dans les pneus des véhicules stationnés devant la bâtisse. Histoire de les ralentir au maximum…
— Tu m’avais jamais parlé d’Adelina, souligne François.
— C’est vrai… C’est la seule fille du Vieux. La plus jeune de ses enfants. Elle a toujours détesté son père, lui a toujours reproché d’être ce qu’il est, lui a causé des tas de problèmes… Une vraie rebelle ! Il l’avait même fait interner quelques mois dans une clinique où il a des parts. Pour qu’on la soigne . Elle avait fugué plusieurs fois, aussi, avait tenté de se suicider… Un soir, elle est venue se réfugier chez moi.
— Chez toi ?
— Oui… Elle était amoureuse de moi. C’est ce qu’elle m’a dit !
— Tu as couché avec elle ?
— T’es malade ! On ne couche pas avec la fille du patron, sinon il te coupe les couilles.
— Charmant !
— Non, je l’avais ramenée à son père… J’ai cru qu’elle allait me détester jusqu’à la fin des temps pour ça ! Mais apparemment non… elle était toujours dingue de moi !
— Que s’est-il passé après votre départ de Neuville ?
— On a foncé vers le sud. Je voulais aller chez mon pote à Marseille. Mais ils nous ont vite retrouvés.
— Comment ont-ils fait ?
— Je pense que nous avons manqué de chance, tout simplement… On a pris la direction de Lyon, c’est moi qui conduisais parce que Adelina était vraiment trop speed… Elle me disait qu’on allait vivre ensemble, se marier ! Qu’on pouvait aller en Roumanie, si c’était ce que je voulais… Moi, je t’avoue que j’avais pas vraiment envie de passer ma vie avec elle ! Mais bon, elle m’avait sauvé la mise, alors on verrait ça plus tard. En arrivant vers Lyon, des types à Gustave nous ont repérés. Il avait dû en mettre en planque dans tout le secteur… Il a des informateurs, partout, ce vieux salopard ! Des flics qui bossent pour lui aussi… Ouais, on a manqué de chance, c’est tout.
— Mais pourquoi être revenus sur Lyon ! Pourquoi ne pas être partis vers le nord ?
— Je voulais aller à Marseille, je te dis… Sur Paris, je connais personne ! On pensait qu’on avait une chance de passer au travers des mailles du filet… Mais ils nous ont pris en chasse, c’était le début de soirée. J’ai essayé de les semer, mais… Sur l’autoroute, ils ont tiré, j’ai perdu le contrôle de la bagnole, on est passés par-dessus la barrière de sécurité. Adelina n’avait pas mis sa ceinture, elle… Elle est morte sur le coup. Moi, j’ai réussi à me sauver. Parce qu’il faisait nuit noire à cet endroit-là, parce que je cours vite aussi, tu sais ! Ensuite, j’ai marché une heure, je me suis retrouvé sur le bord de cette voie rapide… Et tu t’es arrêté… Voilà. Tu sais tout, maintenant.
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