— Eh bien…
— Alors ? s’impatienta Servane.
— Le repas est prêt ?
Elle pouffa de rire et se leva.
— Monsieur Lapaz a perdu son sens de la répartie ?
— Si tu continues, je me lève et je te fous dans la baignoire !
— Vas-y, essaye ! Comme ça je verrai l’essentiel ! rétorqua-t-elle en le narguant.
Elle quitta la pièce et il entendit encore son rire cristallin. C’était la première fois qu’ils étaient si proches. Alors, il se mit à espérer. Des espoirs un peu fous.
Elle allait changer, juste pour lui.
Il l’entendait mettre la table en chantant, maintenant. Une voix mélodieuse, un ton juste et un peu grave. Il ferma à nouveau les yeux, se laissa bercer un moment.
* * *
— C’est prêt, monsieur Lapaz !
Vincent rouvrit les yeux, surpris de trouver Servane à côté de la baignoire.
— Je me suis endormi ?
— On dirait bien… Je t’attends en bas, ajouta-t-elle en quittant la salle de bains.
Il s’enroula dans une serviette et passa dans la chambre pour prendre des vêtements propres. C’est alors qu’il entendit un bruit de moteur à l’extérieur. Il se précipita à la fenêtre, juste à temps pour apercevoir une voiture qui descendait la piste. Par chance, il avait oublié d’éteindre la lumière de la terrasse et reconnut le Range Rover kaki qui passait en trombe devant le chalet.
— Putain ! murmura-t-il. Portal !
Il finit de s’habiller et rejoignit Servane. Une odeur alléchante avait envahi le rez-de-chaussée et la jeune femme n’avait pas ménagé ses efforts pour dresser une table magnifique.
— Ça ne te plaît pas ? s’étonna-t-elle face à son air contrarié.
— Non… Enfin, oui ! C’est pas ça… Je crois que je sais qui tu as vu dans les fourrés, tout à l’heure…
— Ah oui ? C’est la voiture qui vient de passer ?
— C’était Portal.
— Portal ? Qu’est-ce qu’il fout là ?
— Soit il braconne, soit il nous surveille… Et je penche plutôt pour la deuxième hypothèse… Je te raccompagnerai quand tu partiras.
— Mais non, j’ai mon flingue !
— Peu importe…
— Bon, tu as faim ?
Il regarda enfin la table joliment décorée et sourit.
— C’est super ! J’ai une faim de loup… D’ailleurs, je vais bouffer le clébard ! dit-il en attrapant le chiot dans ses mains.
— Arrête, tu lui fais peur !
— Mais non ! Un berger n’a jamais peur de rien ! Pas vrai le chien ?
— Au fait, j’ai pensé à un nom pour lui… Ça a du flair, ces machins-là ?
— Et comment !
— Alors on peut l’appeler Sherlock !
— Sherlock ? répéta Vincent en souriant. Pourquoi pas !
Il tendit les bras et le berger se retrouva face à face avec son maître.
— Bienvenue dans la maison, Sherlock ! Et t’as intérêt à filer droit !
Le chien remua la queue, légèrement inquiet d’être si loin du plancher des vaches et Vincent le reposa sur le parquet.
— Ça sent drôlement bon ! dit-il. Qu’est-ce que c’est ?
— Une flammekueche…
Elle sortit le plat du four, ils s’assirent enfin. Il était déjà 21 heures et Vincent commençait sérieusement à ressentir la faim.
Le repas se déroula dans une ambiance joyeuse et ils se laissèrent tenter par le vin d’Alsace choisi par Servane pour accompagner le plat.
Vincent raconta sa journée, Servane parla peu.
Pourtant, il y avait des choses qu’il avait envie de savoir. À la fin du repas, ils s’installèrent sur le canapé pour partager un digestif.
Vincent se lança :
— Comment ça se passe, à la caserne ? Ils ont cessé de t’envoyer des mots doux ?
— Je n’en ai plus reçu un seul.
— Tu crois qu’ils ont encore des doutes ?
— Les avis sont partagés ! répondit-elle avec amertume. D’après ce que je peux entendre et savoir, certains disent que je suis bi… Pour les autres, je ne suis plus la méchante lesbienne : juste la petite conne qui est passée à la casserole !
— Désolé, dit Vincent. Je pensais que ce serait mieux…
— Ça l’est, assura-t-elle. Franchement, je préfère ! Et d’ailleurs, je ne sais pas trop comment te remercier.
— Mais Servane, tu n’as pas à me remercier…
— Si ! Tu m’as sortie d’un très mauvais pas, je te dois une fière chandelle…
— C’est pour ça que tu as acheté Sherlock ? demanda-t-il en souriant.
— En fait, je sais que Gali te manque et en voyant ce chien, je me suis dit qu’il serait heureux ici…
Ils jetèrent un œil au berger qui dormait sur une couverture jetée devant la cheminée.
— J’arrive pas à croire que ce gros con de Portal nous surveille, dit brusquement Vincent.
— Le maire doit vraiment avoir les jetons !
— Ouais ! Et je me demande ce qu’il a à cacher…
— Ce que je ne comprends pas, enchaîna Servane, c’est pourquoi il aurait tué Pierre s’il lui avait filé de l’argent.
— Attends ! On ne sait rien encore sur la provenance de cette somme…
— C’est vrai, admit-elle. Mais bon, le doute est permis.
— Pierre corrompu ! ajouta tristement Vincent. J’ai tellement de mal à l’imaginer…
Il repensa à son ami, son regard se troubla. Tellement d’années auprès de lui et ce vide immense. Comme un gouffre ouvert sous ses pieds.
— Il me manque, murmura Vincent. C’était… Il était mon seul véritable ami… Et quoi qu’il ait pu faire, je le regretterai toujours.
— Je comprends. Vous ne vous êtes jamais éloignés l’un de l’autre ?
— Jamais, non… On trouvait toujours le moyen de se voir… Quand on était gamins, on faisait toutes les conneries ensemble ! Et après, quand on a grandi, on partageait tout… On se racontait nos déboires amoureux ! On se battait pour les mêmes filles…
Vincent s’arrêta de parler. Il ressemblait soudain à une statue de pierre.
— Bon sang ! s’écria-t-il en se levant. J’aurais dû y penser avant !
— De quoi tu parles ?
— Pendant des années, on s’est servis d’une planque pour échanger des messages ou des objets ! On était des gosses, mais je sais que Pierre ne l’avait pas oublié !… Il a peut-être laissé quelque chose pour moi là-bas !
— Tu crois ? Mais s’il avait voulu que tu saches, il serait venu te parler…
— Pas forcément !
— Et où est cette cache ?
— Aux cabanes de Talon…
— C’est tout près de l’endroit où Pierre est tombé, non ?
— Pas très loin, en effet… Je vais y aller.
— Maintenant ?! s’écria Servane. Mais il fait nuit noire !
— C’est pas un problème !
— Vincent, si Pierre a mis quelque chose dans cette planque, c’était il y a deux mois. Alors ça peut bien attendre demain matin…
Il hésita un instant, consentit finalement à se rasseoir.
— T’as raison. J’irai demain soir, après ma course.
— Je peux t’accompagner ?
— Si tu veux… Je finis la rando vers 16 h 30, je te récupère à la caserne aux environs de 17 heures.
Vincent était nerveux. Il allait encore passer une mauvaise nuit. À force de tirer sur la corde, il finirait par manquer de vigilance. Et avec son métier, cela pouvait conduire à l’accident. Servane sentit la tension qui habitait son ami et elle lui prit la main. Ce simple geste sembla le troubler plus qu’il ne le rassura.
— Je vais y aller, dit-elle.
— Je te raccompagne…
— Non, va te reposer, je peux rentrer seule.
— Hors de question ! D’ailleurs, tu vas monter dans ma voiture…
— Et la mienne ?
— Tu la récupéreras demain soir ! De toute façon, tu travailles, tu n’auras pas besoin de ta caisse demain…
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