— Et vous, vous aimez la montagne ?
— Oui…
— Moi aussi ! J’adore cet endroit… Au début, j’ai pensé que j’allais m’ennuyer dans ce trou perdu et puis finalement, je suis en train d’en tomber amoureuse…
— Vous êtes venue seule ? Je veux dire, vous n’êtes pas mariée ?
— Non ! Je suis arrivée avec ma valise, c’est tout…
— Je suis content que ça vous plaise. Comment les gars vous ont-ils accueillie ?
— Pas trop mal… Ils sont encore un peu méfiants à mon égard, mais ça s’arrange…
— Et mon père ? Il vous fait pas trop chier ?
— C’est un chef admirable, assura-t-elle avec sincérité. Je crois que je n’aurais pas pu mieux tomber…
— Vous dites ça parce que vous parlez à son fils !
— Pas du tout ! C’est vraiment ce que je pense. Mais nous ne le voyons certainement pas avec le même regard… Vous savez, votre père n’a jamais marqué de différence entre les autres et moi.
— C’est vrai qu’il a beaucoup de qualités, admit Nicolas. Mais il est un peu… psychorigide !
— La gendarmerie, c’est l’armée ! rappela Servane. Alors forcément, il y a une certaine discipline à faire respecter.
— Tu as sans doute raison…
Ce tutoiement inattendu lui signifia qu’il appréciait sa présence. Après tout, ils avaient presque le même âge.
— Qu’est-ce que tu vas faire pendant l’été ? bavarda-t-elle.
— J’en sais rien… Je vais essayer de réviser parce que j’ai raté ma licence et que je la repasse en septembre… Mais je m’en fous un peu à vrai dire !
Elle ne chercha pas à en savoir davantage car il ne souhaitait visiblement pas partager sa souffrance.
— Après-demain, je suis de repos et je gravis la grande Séolane, embraya la jeune femme. Ça te dirait de venir ?
— Pourquoi pas !
— Si tu veux, je peux t’emmener avec ma voiture… On a rendez-vous à 7 h 30 à La Foux avec Vincent.
Le jeune homme se rétracta brusquement.
— Merde ! dit-il avec un sourire gêné. J’ai oublié… Après-demain, je ne peux pas.
— Dommage… Ça va être sympa. Sportif, mais sympa !
— Une prochaine fois ! assura-t-il en se levant. Merci de m’avoir tenu compagnie.
Il s’éloigna rapidement et elle resta un moment face au torrent, peu pressée d’aller s’enfermer dans son studio qui rétrécissait de jour en jour.
* * *
Vincent serra la main à ses clients et reçut leurs remerciements avec plaisir. Puis il se rendit à l’office du tourisme par la porte de service, le bureau étant fermé au public. Il y trouva Michèle en train de dépoussiérer les étagères.
— Bonsoir…
Elle le dévisagea sans un mot. Le contact serait difficile à renouer.
— Qu’est-ce que tu veux ? questionna-t-elle sèchement.
— Je viens voir combien j’ai d’inscrits pour demain.
— Aucun ! révéla-t-elle non sans un certain plaisir.
— Bon, tant pis…
Elle continua sa tâche mais il refusait visiblement de partir.
— Tu veux autre chose ?
— On pourrait peut-être discuter un peu tous les deux…
— Discuter ? De quoi ? Tu as besoin de parler ? Pour les confessions, il y a le curé !
— Écoute, Michèle, on doit bosser ensemble et franchement, j’aimerais que ça se passe un peu mieux entre nous…
— Entre nous, il y a le cadavre de Myriam !
Il ne se laissa pas déstabiliser par cette attaque prévisible. Assis sur une chaise, il l’observa tandis qu’elle s’acharnait sur la poussière imaginaire.
— Tu vas m’en vouloir à vie ?
— Oui.
— Ce n’est tout de même pas moi qui l’ai tuée ! Je ne voulais pas ça, je t’assure…
Elle posa son chiffon, le regarda enfin. Un regard si dur qu’il comprit qu’il venait encore d’échouer.
— Je ne pourrai jamais oublier ce que j’ai vu. Une fille de vingt ans morte sur son lit et vidée de son sang. Toi, tu ne l’as pas vue… Pour toi, c’est facile d’oublier, sans doute.
Il garda le silence, préférant la laisser déverser son venin.
— Et même si tu ne l’as pas voulu, c’est toi qui as provoqué ça ! C’est vrai que cette fille était fragile… Mais tu t’es bien amusé avec elle et c’est pour ça qu’elle est morte. Pour que tu puisses tirer ton coup !
Évidemment, vu sous cet angle, il devenait presque un criminel. Ce jugement sans appel le blessa.
— Alors je n’ai plus envie de discuter avec toi, conclut-elle. Et j’aimerais que tu comprennes que c’est définitif… Tu peux crever demain, ça me sera égal. C’est clair ?
— On ne peut plus clair… !
Elle constata qu’elle l’avait touché plein cœur et parut satisfaite du visage douloureux qu’il lui offrait. Elle se permit même de lui sourire. Un odieux sourire.
— Tu es en train de recommencer avec la petite gendarmette ? ajouta-t-elle.
— Mêle-toi de tes fesses ! rugit Vincent.
— T’as raison ! Ça ne me concerne plus ! De toute façon, tu n’existes plus pour moi… Tu n’es plus rien… D’ailleurs, le bureau est fermé et tu es prié de quitter les lieux sur-le-champ.
Il s’approcha soudain avec un air féroce qui la fit reculer.
— Qu’est-ce que tu veux encore ?
— Mon fric ! répondit-il.
Elle se dirigea vers le bureau du fond, en revint quelques secondes plus tard avec une enveloppe qu’elle jeta sur la banque.
— Liquide et chèques, tout y est, dit-elle. L’argent des dix derniers jours… Tu recomptes, tu signes le reçu et tu te casses !
— Pas de problème ! Ta compagnie ne risque pas de me manquer…
Il ne prit pas la peine de recompter avant de signer le reçu. Puis il claqua violemment la porte du bureau, grimpa dans son pick-up et s’engagea à une vitesse exagérée dans la grand-rue d’Allos. Après tout, Michèle n’avait jamais été une amie ; juste une relation de travail. Et elle pouvait bien penser ce qu’elle voulait.
D’accord, elle avait souffert en trouvant le cadavre de Myriam. D’accord, il y a des choses que l’on ne peut effacer.
Mais non, il n’était pas coupable.
Il bifurqua sur la route forestière en essayant d’écouter la radio. Il eut beau monter le son, seules les paroles de Michèle résonnaient dans sa tête.
Le visage de Myriam, lui non plus ne pouvait l’oublier. Il y pensait chaque jour, en rêvait chaque nuit.
Un cauchemar de plus.
Comme une vengeance involontaire, Myriam venait hanter son univers avec ses yeux d’enfant sage qui demandaient sans cesse pourquoi.
Pourquoi tu ne m’as pas aimée ?
Pourquoi tu m’as tuée ?
Un cauchemar de trop.
Venant grossir les rangs des cohortes de tourments qui faisaient de ses nuits autant de purgatoires.
Le jour, il apercevait, massées aux portes de son inconscient, ces légions informes obligées de battre en retraite.
La nuit, le combat sanglant reprenait, avec une violence inouïe ; guerre dont l’issue était toujours la même : ennemis trop nombreux, défaite assurée.
* * *
Vertoli semblait embarrassé par le gibier que lui ramenaient ses limiers.
Samedi soir, pas loin de minuit. Nuit idéale pour un contrôle routier alcool-vitesse-pétard. Et justement, Servane, Matthieu et Lebrun avaient fait une bonne prise : conducteur roulant à plus de 130 au volant de sa BMW et ayant refusé de s’arrêter. Malheureusement, ce chauffard n’était autre que Sébastien Lavessières, le fils unique du maire.
Franchement, Vertoli aurait préféré que ses troupes interpellent un estivant. Voire qu’ils rentrent bredouilles.
Il arpentait son bureau, dévisageant le prévenu avec colère.
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