— Breitenbach ! Vous pouvez me rendre un service ? Il faudrait rapporter ce matériel à son propriétaire…
Il lui désigna un tas de cordes et de mousquetons posés à même le sol.
— C’est au guide, Lapaz… Il a oublié ça dans un de nos véhicules. Je vais vous expliquer où il habite…
— Pas la peine, je le sais.
Elle regretta instantanément cette dernière répartie.
— Ah bon ? répondit Vertoli avec un petit sourire narquois.
— Oui, je suis montée une fois jusqu’à chez lui. Je voulais faire une rando pour mieux connaître le coin…
— C’était bien ? La rando, je veux dire…
— Oui, très bien. On est allés au lac d’Allos.
— C’est beau, n’est-ce pas ?
— Magnifique !
— Bon, dans ce cas, je vous laisse faire. Prenez une des Jeep.
— D’accord. Mais s’il n’est pas chez lui ?
— Vous n’aurez qu’à déposer le matériel derrière le chalet. Ça ne craint rien, ici. Il n’y a guère de voleurs dans le coin ! Parfois, on se demande même pourquoi il y a une gendarmerie !
Il la salua et repartit vers le bâtiment d’un pas militaire.
* * *
Avec la Jeep, la piste semblait facile à parcourir. Il était 19 heures et Servane montait en direction de l’Ancolie, admirant au passage le déclin du soleil sur les sommets. À cette heure, la lumière confère une autre splendeur à la montagne, révélant de subtils reliefs ignorés le reste du temps.
Elle arriva à destination plus vite qu’elle ne l’aurait cru et Galilée se chargea de l’accueillir. Servane lui accorda quelques caresses puis frappa à la porte. Elle attendit un moment, fit le tour du chalet et, ne voyant personne, elle revint devant l’entrée et actionna la cloche. Cette fois, Vincent lui ouvrit, vêtu seulement d’une serviette de toilette nouée autour de la taille. Visiblement, elle l’avait sorti de sa douche et s’en trouva horriblement mal à l’aise.
— Brigadier ! Qu’est-ce que vous faites là ? Je ne pensais pas que c’était vous !
— Excusez-moi de débarquer sans prévenir. Je vous ramène votre matériel.
— C’était pas la peine de vous déranger, je l’aurais récupéré demain.
— Le chef m’a demandé de vous le rapporter ce soir. Et quand le chef donne un ordre…
— Je vois ! Excusez ma tenue, j’étais sous ma douche ! Vous voulez entrer ?
— Non, je veux pas vous embêter…
— Allez, entrez ! Servez-vous un verre pendant que je m’habille.
— Non, merci… je suis encore en service !
— Il y a des trucs sans alcool dans le frigo ! lança-t-il en montant les escaliers. Ça, vous avez le droit, non ?
Elle débusqua un jus de fruits dans le réfrigérateur et s’installa sur le canapé, juste à côté de Galilée.
— Bon chien, gentil chien…
Visiblement, ce clébard aimait sa compagnie.
Vincent redescendit quelques minutes après, séché et vêtu d’un jean et d’un polo. Il s’approcha du canapé et considéra son chien avec sévérité.
— Dégage, Gali !
Le quadrupède obéit à contrecœur et Vincent prit sa place. Mais il se releva tout de suite pour se servir un scotch.
— Alors, ça vous a plu, cette journée ?
— Oui, beaucoup ! répondit Servane.
Il s’assit finalement en face d’elle, la toisa des pieds à la tête avec un petit air moqueur.
— L’uniforme vous va à ravir, brigadier !
— Arrêtez de vous foutre de moi !
— Non, je vous assure, ça vous va bien ! Un peu austère, mais…
— De toute façon, que ça m’aille ou pas, je n’ai pas vraiment le choix !
— On a toujours le choix, rétorqua-t-il.
Le téléphone portable de la jeune femme se manifesta bruyamment et elle s’excusa avant de décrocher.
— Allô ?
Un court silence.
— Oui, maman, ça va… Je te rappelle tout à l’heure, je peux pas te parler maintenant… Bisous.
Elle rangea son portable et se tourna à nouveau vers le guide.
— Excusez-moi, c’était ma mère.
— J’ai entendu ! Vos parents vivent dans le Haut-Rhin ?
— Ma mère, seulement. Mes parents sont séparés depuis dix ans.
— Aïe !
— Non, ça va…
— Et votre père, il vit où ?
— Il s’est installé il y a peu sur la Côte d’Azur avec sa nouvelle femme… Sur les hauteurs de Nice.
— C’est pas loin d’ici, vous pourrez aller le voir.
Le visage de la jeune femme s’assombrit subitement.
— C’est que… Nous sommes en froid. Il ne veut plus me parler…
Pourquoi se confiait-elle ainsi à cet étranger ? Peut-être parce qu’elle en avait besoin.
— Désolé, ajouta Vincent. C’est dommage.
— Oui, c’est dommage.
— Et pourquoi ne veut-il plus vous parler ?
Elle hésita, Vincent sentit qu’elle était gênée.
— Je suis trop indiscret, pardonnez-moi…
— Disons qu’il n’a pas digéré quelque chose.
Il ne chercha pas à en savoir plus, détourna la conversation.
— Vous voilà fin prête à porter secours aux randonneurs imprudents !
— Fin prête, je ne crois pas ! J’ai encore beaucoup de progrès à faire…
— Vous vous en sortez bien, jugea-t-il. Le seul problème, c’est votre vertige.
Elle était pourtant persuadée d’avoir dissimulé à la perfection cette désagréable sensation.
— Comment vous savez ?
— Il suffisait de vous regarder !
Bien sûr. Lui savait regarder. Bien au-delà des apparences.
— J’avais jamais ressenti ça, avant. J’espère que ça passera.
— Ça passera si vous le voulez et si vous vous entraînez. C’est une peur qu’on peut apprendre à contrôler.
Tout semblait si facile, avec lui. On a toujours le choix, on peut toujours tout maîtriser.
Alors pourquoi continuait-il à souffrir ainsi ?
* * *
Myriam coupa le moteur de sa voiture en bas de la piste. Arrivée près du but, elle était assaillie par le doute. Pourtant, elle avait réfléchi pendant des heures et croyait avoir pris sa décision. Elle ouvrit la portière, alluma une cigarette d’un geste nerveux. À la première bouffée, elle toussa violemment. Elle ne fumait quasiment jamais, mais ce soir, tout était bon pour essayer de calmer ses nerfs.
Depuis ce matin, elle était passée par les larmes, la colère et l’espoir.
Parce que non, rien n’était perdu avec Vincent. Il n’était pas amoureux d’elle mais n’avait pas exclu de la revoir. Elle avait d’abord pensé attendre qu’il reprenne contact avec elle mais c’était trop dur. Elle imaginait des jours à espérer en vain qu’il l’appelle alors qu’une heure loin de lui était déjà une torture.
Un exil.
Par les mots de ce matin, il avait simplement voulu lui signifier qu’il était encore trop tôt pour envisager autre chose qu’une aventure. Qu’il n’était pas prêt. Après tout, ils ne se connaissaient guère. Une réaction normale, finalement.
C’est la sienne qui ne l’était pas.
Mais en matière de sentiments, où est la normalité ?
Je ne suis pas folle, quand même !… Juste amoureuse.
Oui, terriblement amoureuse. Dangereusement accro…
Dès que je l’ai vu, j’ai su que c’était lui.
Pour ne pas effrayer Vincent, Myriam avait décidé de lui mentir. De lui faire croire qu’elle aussi ne recherchait que de bons moments partagés, qu’elle n’était pas dingue de lui, que son cœur ne battait pas que pour lui.
Avec le temps, il l’aimerait aussi.
Stratagème de femme éprise, manœuvre ultime pour ne pas perdre le peu d’espoir qui lui restait.
Impossible que tout cela s’arrête maintenant.
Elle savait que Vincent était l’homme qu’elle attendait ; ce coup de foudre que l’on peut espérer en vain une vie durant.
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