Mais ce n’était pas nécessaire. Michèle avait brusquement compris qui était ce mystérieux amant.
— Ne me dis pas que c’est Vincent ?
Le regard de Myriam trahit la vérité, elle se mit à sourire béatement.
— Nom de Dieu ! laissa échapper la directrice.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu as contre lui ? C’est un mec extraordinaire !
— Ouais, extraordinaire ! répéta Michèle en reprenant son rangement.
Myriam s’approcha d’elle, tentant de renouer le contact.
— Pourquoi tu le prends comme ça ? Il y a quelque chose entre vous ?
— Tu rigoles ! Ce mec, vaut mieux l’éviter ! C’est du poison concentré !
Le visage de la jeune femme se décomposa.
— Je croyais que tu le trouvais sympa, murmura-t-elle.
Michèle essaya de trouver une formule moins brutale.
— Il est sympa, c’est pas ce que j’ai voulu dire… Mais faut que tu comprennes qu’avec les femmes, il se comporte comme un salaud. Quand il s’est bien amusé, il les jette sans aucun remords !
— Qu’est-ce que t’en sais ? s’emporta Myriam, en proie à une peur violente.
— Je le connais depuis longtemps, c’est tout.
— Tu ne le connais absolument pas ! Tout le monde dit des saloperies sur lui alors qu’il est génial !
— Écoute, j’essaie seulement de te mettre en garde… Si tu veux juste t’amuser, c’est pas grave. Mais si jamais tu as d’autres espoirs…
— Ça ne te regarde pas ! Et j’aurais jamais dû t’en parler ! Tu es jalouse, voilà tout !
— Jalouse, moi ? Mais tu dis n’importe quoi, ma petite ! Je suis mariée, je te signale !
— Ça n’empêche pas ! J’ai bien vu comment tu le regardais, la dernière fois ! Tu le bouffais des yeux ! Et parce qu’il m’a choisie, moi, tu essaies de tout casser ! C’est lamentable !
— Eh ! Du calme ! Pas la peine de te mettre dans un état pareil…
Myriam attrapa sa veste et claqua violemment la porte. Michèle regretta de n’avoir pas su trouver les mots pour la préserver du danger.
— Et merde ! bougonna-t-elle. Fais comme tu veux, après tout !
Il y a des matins où tout semble simple. Des réveils en douceur qui font aimer la vie. Myriam ne pouvait détacher ses yeux de la silhouette endormie à ses côtés, sculptée par la pénombre. Vincent, allongé sur le ventre, un bras replié sous l’oreiller, semblait prisonnier de ses rêves. Tandis qu’elle, assise, le contemplait avec un sourire comblé. Caressant des yeux sa peau veloutée et cuivrée, les muscles puissants de son dos.
Les quelques doutes qui avaient pu s’immiscer en elle la veille s’étaient envolés comme par magie. Une seconde nuit au-delà des rêves ; un peu moins de délicatesse seulement.
Elle se leva et, à pas de loup, quitta la chambre, direction le rez-de-chaussée. Préparer un café, un bon petit déjeuner qu’elle lui apporterait au lit.
Seul, Vincent put enfin ouvrir les yeux. Il se mit sur le dos, contempla le plafond en lambris où les dessins du bois et ses nœuds prenaient parfois l’aspect de visages torturés. Hier soir, il n’avait pas été surpris de revoir Myriam sur le pas de sa porte. Il avait hésité un instant puis l’avait invitée à entrer. Elle était si jolie, si féminine. Difficile de lui résister.
Mais ce matin, il ressentait cet étrange sentiment de destruction dans ses veines. Sensation d’étouffement, malaise familier qui s’imposait à lui comme une évidence. La liberté est synonyme de bonheur ; et cette fille qui préparait son petit déjeuner, chez lui, dans sa cuisine, était une souffrance.
Il avait lu quelque chose dans ses yeux. Il s’était vu prisonnier dans son regard.
Elle n’était pas là pour passer un bon moment ; elle lui offrait tout ce qu’elle avait.
C’était trop. Beaucoup trop.
Il descendit à son tour. Myriam s’affairait à faire griller du pain. Elle se retourna, radieuse et souriante.
— T’es réveillé ? Dommage ! Je voulais t’apporter ton p’tit déj au lit !
— Je ne prends jamais mon petit déjeuner au lit.
Elle voulut l’embrasser, il se déroba. L’angoisse transfigura alors son visage de petite fille.
— Tu ne bosses pas, ce matin ? demanda-t-il en se laissant tomber sur une chaise.
— Si, bien sûr… Mais j’ai le temps, il n’est que 7 h 30… Et puis Michèle m’attendra !
— Tu devrais y aller, tu vas être en retard. Moi aussi, d’ailleurs.
— Tu as des clients ?
— Oui.
— J’ai fait griller du pain… C’est presque prêt !
— Je n’ai pas faim, Myriam.
— Tu es de mauvaise humeur ? Tu n’as pas bien dormi ?
Elle se pencha vers lui, essayant encore de l’embrasser. Mais il tourna la tête. La peur succéda à l’angoisse.
— Qu’est-ce que tu as ? demanda-t-elle.
— Assieds-toi, s’il te plaît.
Elle s’exécuta et Vincent décida enfin d’ôter le masque.
— Tu sais, Myriam, je ne suis pas forcément ce que tu crois…
— Ce… que je crois ?
— Je veux dire que je ne suis pas fait pour la vie à deux. Je ne veux pas que tu te fasses d’illusions sur mon compte, conclut-il.
— Des illusions ? murmura-t-elle.
— Oui, des illusions. Nous deux, c’est juste histoire de s’amuser un peu. De passer des bons moments. Tu comprends, Myriam ?
Oh non, elle ne voulait pas comprendre ! Vincent détourna son regard, ne pouvant affronter la souffrance qui explosait dans ces yeux. Il avait vu juste, elle était amoureuse. Mais ça lui passerait. Deux nuits s’oublient si vite.
— Tu espérais autre chose ?
Dernier sursaut de dignité. Ne pas s’effondrer devant lui.
— Non, on se connaît à peine, répondit-elle. Je… Je vais y aller… Puisque tu n’as pas faim, inutile que je reste déjeuner avec toi.
Elle remonta à l’étage, tenta de contrôler ses tremblements nerveux. Elle enfila ses vêtements avec des gestes maladroits. Son cœur se tordait de douleur, elle était encore incapable de raisonner. Juste fuir au plus vite, ne pas chialer. Pas maintenant.
Au rez-de-chaussée, elle récupéra son sac et son blouson, posés sur une chaise. Sous le regard de Vincent qui ne semblait même pas compatir. Comme indifférent.
— J’y vais, dit-elle.
Il prit la peine de la raccompagner jusqu’à la porte, avant de l’embrasser sur la joue.
Mon Dieu, ne pas pleurer ! Pas encore.
— Je suis désolé si je t’ai blessée, mentit Vincent. Ce n’était pas mon but.
— Ça va ! répondit-elle avec un sourire forcé. Ne t’en fais pas…
— Ma porte est toujours ouverte pour toi… Tu reviens quand tu veux.
Là, il était sincère.
— D’accord, dit-elle. À bientôt…
Elle marcha jusqu’à sa voiture sans se retourner.
Tenir encore un peu.
Une marche arrière, quelques mètres en avant et la piste se présenta devant elle.
Noyée au milieu d’un torrent de larmes.
* * *
Une journée d’entraînement au sauvetage en montagne en compagnie de ses collègues et des gardes-moniteurs du Parc national. Le tout sous la direction de Vincent. Descentes en rappel, escalade. Programme plutôt amusant. Sauf que Servane avait découvert qu’elle avait le vertige.
Sensation capricieuse qui arrivait sans crier gare, repartait peu après. Puis resurgissait de plus belle.
Durant cet exercice, elle s’était pour la première fois sentie intégrée au groupe. Les hommes s’étaient montrés agréables et attentionnés à son égard.
Enfin, elle faisait partie de l’équipe. Elle y avait même une place à part, plutôt enviable.
Elle s’apprêtait à rejoindre son appartement lorsque Vertoli l’interpella.
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