Matthieu lui servit un petit verre de génépi. Bouteille sans étiquette.
— C’est toi qui l’as fait ? supposa Servane.
— Ouais !
— C’est pas interdit de cueillir le génépi ici ?
— Ceux qui vivent dans la vallée ont le droit d’en prendre un peu chaque année. Goûte ! Tu vas voir, c’est très bon !
Elle trempa ses lèvres dans le breuvage fort et fruité. Surprenant et finalement délicieux.
Matthieu alluma la chaîne stéréo, baissa le son.
— Pourquoi t’es rentrée dans la gendarmerie ?
Elle haussa les épaules.
— Pour avoir du boulot ! Et puis j’avais envie d’un truc qui bouge, d’un travail intéressant. Un peu d’action !
— Déçue ?
— Ça ne fait pas assez longtemps que je suis là… Je peux pas encore dire.
— C’est vrai qu’il ne se passe pas grand-chose par ici ! C’est assez calme… L’été, avec les touristes, on bosse plus. Mais finalement, tu verras, il y a toujours quelque chose à faire !
Ils bavardèrent quelques minutes, de choses et d’autres.
Puis Servane termina son verre et se leva.
— Tu t’en vas déjà ?
— Oui, je vais me coucher… Je suis fatiguée.
Matthieu la raccompagna jusqu’à la porte. Il effleura sa main, remonta le long de son bras. Elle resta pétrifiée.
— Tu pourrais rester un peu…
Elle recula d’un pas. Il fut décontenancé par ce refus, un malaise inonda la pièce.
— Pardonne-moi, dit-elle.
— Non, c’est moi… Excuse-moi… Tu me plais et j’ai cru que…
— C’est pas grave ! assura-t-elle. Mais je préfère ne pas tout mélanger… Merci pour le verre et à demain.
Elle se rua dans l’escalier, prenant la fuite tel un gibier traqué. C’est alors qu’elle bouscula Vertoli au détour d’un couloir.
— Pardon, mon adjudant-chef !
— Qu’est-ce qui vous arrive, Breitenbach ? Vous vous entraînez pour le marathon ou quoi ?!
Il distingua une sorte d’effroi au fond de ses prunelles claires.
— Ça ne va pas, mon petit ?
— Si, ça va, je vous assure… Bonne nuit !
Servane chercha les clefs de son appartement dans son sac, d’une main tremblotante. Elle les trouva enfin et se précipita à l’intérieur avant de s’enfermer à double tour.
Myriam ouvrit les yeux sur un rayon de soleil qui traversait la chambre, telle une épée de lumière.
En se retournant, elle constata qu’elle était seule.
Une agréable odeur de café montait jusqu’à l’étage. Elle s’étira, se leva à son tour avant de prendre le chemin de la salle de bains. Elle était un peu fatiguée mais sourit à son reflet dans le miroir. Elle se sentait plus jolie que la veille, après cette nuit qui allait changer sa vie. Elle se recoiffa rapidement, passa de l’eau sur son visage puis s’habilla à la va-vite. Au rez-de-chaussée, elle ne trouva personne. Elle sortit sur la terrasse, mais là non plus, aucune trace de Vincent. Juste Galilée étalé au soleil, qui remua doucement la queue. Elle finit par découvrir un mot posé sur la table de la cuisine.
« Myriam,
Je n’ai pas voulu te réveiller. Il y a du café chaud. Fais comme chez toi et laisse la clef dans la jardinière, près de la porte. Je t’embrasse, Vincent. »
Elle était déçue par cette absence mais pensa qu’il avait sans doute quelque chose de prévu. Il était près de 9 heures, elle allait arriver en retard au boulot, mais prit malgré tout le temps de déguster une tasse de café. Parce que Vincent l’avait préparé pour elle. Elle mit le petit message dans sa poche, décida d’en griffonner un à son tour.
« Vincent,
Tu me manques déjà ! Je t’appelle ce soir. Je t’embrasse très fort. Myriam. »
Elle quitta le chalet à toute vitesse, avant de s’élancer sur la piste. Un magnifique ciel bleu couronnait les sommets.
Tout était si beau, ce matin.
Elle alluma la radio, se mit à chanter. Elle avait eu raison de venir passer son été ici. Et à présent, elle savait qu’elle ne le passerait pas seule. Peut-être même ne repartirait-elle pas. Non, elle allait rester pour vivre ici, avec lui. Une seule nuit à ses côtés et déjà, il faisait partie de son avenir.
Il était son avenir.
Balayés les déceptions, les chagrins. Les désillusions.
Comment était-ce possible ? Comment pouvait-on tomber amoureux si vite ?
Bouleversée, elle laissa éclore quelques larmes, mélange de joie et de peur, émotion incontrôlable. Elle riait et pleurait en même temps et se décida enfin à accélérer sur le chemin de son travail.
* * *
En milieu de matinée, Vincent arriva au sommet de Rochecline. Il s’assit sur la plus haute pierre de ce majestueux sommet qui surplombait la vallée du Haut-Verdon, offrant un point de vue unique. Il braqua ses jumelles en direction de l’Ancolie : la voiture de Myriam avait disparu, il se sentit soulagé.
Il n’avait pas eu le courage d’attendre son réveil, ne voulant pas dévoiler son véritable visage. Celui d’un chasseur sans scrupule, sans remords.
Sans remords, vraiment ?
Après tout, il lui avait donné ce qu’elle attendait. Ne pouvait lui offrir plus, de toute façon.
Les pieds dans une fine couche de neige éphémère, le regard dans l’azur éclatant, il était heureux.
Avec la solitude comme seule compagne, il était heureux.
Personne ne le jugeait, ici. Personne ne l’observait. Seule la montagne gardait un œil bienveillant sur lui.
Il aurait aimé ne faire qu’un avec elle. Se fondre dans ce paysage, devenir arbre ou rocher et la suivre dans l’éternité.
Mais il n’était qu’un homme, petit humain fragile et mortel. Animal maladroit et perfectible. Des chamois passèrent à portée de regard, glissant sur la roche avec une aisance prodigieuse. Ils étaient doués d’un équilibre sans faille, parfaitement adaptés à leur milieu. Eux ne faisaient qu’un avec la montagne. Tout comme ces oiseaux noirs planant avec une facilité déconcertante au-dessus de sa tête. Vincent s’allongea pour admirer leur ballet aérien pendant de longues minutes, subjugué par la perfection de la nature.
Alors pourquoi avait-elle raté les hommes ?
Le visage de Laure apparut dans la pureté du ciel, presque flou à présent. Magnifié par cinq longues années d’absence. Il avait l’impression d’entendre sa voix, son rire en cascade. Il ferma les yeux, l’imagina dans ce décor qu’elle avait marqué au fer rouge. Elle était allongée près de lui, il pouvait sentir son parfum subtil, sa peau contre la sienne. Il oubliait déjà qu’une autre avait partagé sa nuit. Il n’avait pas le temps d’ouvrir une parenthèse que déjà, il la refermait.
C’était ainsi. Depuis cinq ans.
Surtout, ne pas risquer d’avoir mal.
Il avait déjà perdu trop de sang, ne survivrait pas à une blessure supplémentaire. Alors, il s’était forgé une armure sans faille. Qu’aucune femme ne saurait briser.
Vers 11 heures, il décida de continuer son chemin, sans but précis. Au lieu de redescendre vers l’Herbe Blanche, où sa voiture était garée, il entreprit de continuer vers le col de l’Encombrette. Personne ne l’attendait, après tout. Libre d’aller où bon lui semblait.
Libre.
Vincent aurait aimé l’être totalement. Mais on n’est jamais vraiment libre. Enchaîné par ses sentiments, ses passions, ses pulsions. Ses besoins, ses envies. Les devoirs qu’on s’impose, les prisons dont on perd la clef. Les souvenirs et les rêves.
Tout ce qui fait qu’on est vivant.
Pourtant, lorsqu’il était avec elle, qu’il vagabondait sur ses courbes charnelles, qu’il respirait à l’unisson avec elle… Lorsqu’elle le prenait, il effleurait ce sentiment à nul autre pareil. Cette sensation divine…
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