Elle l’écoutait avec une attention grandissante, buvant ses paroles comme un délicieux sirop sucré. Il avait une voix si chaude, si sensuelle, une telle passion dans l’expression de ses convictions, tant d’amour pour ce lieu… Elle vivait ses phrases comme une aventure, plongeait dans son univers.
Hypnotisée, envoûtée. Ensorcelée.
Comment ces crétins ont-ils pu dire du mal de lui ? Comment peut-on ne pas l’admirer ?
Elle ne vit pas passer les heures et, lorsqu’il la raccompagna, elle espéra qu’il ne resterait pas en bas de l’escalier. Mais il se contenta de l’embrasser sur la joue et d’effleurer son visage.
Un simple geste, un simple regard. Pourtant, en montant les marches qui menaient à son studio, Myriam se mit à rire comme une enfant. Sentiment étrange, inédit.
Brutal.
Coup de foudre, coup de cœur ou simplement coup de chance.
Sur la route, Vincent écoutait L’Été de Vivaldi. Il n’était pas pressé, il avait tout le temps. Car dans la chasse, le meilleur moment est celui où le gibier vous appartient.
Celui où l’on sait que l’on a gagné.
* * *
Une pluie fine harcelait la vallée depuis le milieu de la nuit, la température avait subitement rechuté. Il devait neiger, en haut.
Vincent sortit sur la terrasse pour saluer son univers ; ce matin, les sommets restaient invisibles, drapés dans un épais manteau nuageux. Même les arbres de la forêt toute proche n’étaient plus que de fantomatiques silhouettes.
Galilée s’élança, la truffe collée à l’herbe mouillée, décryptant les odeurs laissées par la nuit et ses habitants. Vincent retourna à l’intérieur, s’offrit un autre café. Il n’avait pas de projet particulier, aujourd’hui. Et c’était cela aussi, son bonheur : pas de maître, de patron ni d’emploi du temps à respecter. Vivre à son propre rythme, au gré de ses envies. Il n’y avait que pendant les deux mois d’été où il devait s’astreindre à une certaine discipline : répondre à la demande des clients, organiser les randonnées. Gagner suffisamment d’argent pour le reste de l’année. C’est pour cette raison qu’il n’avait jamais voulu intégrer les effectifs du Parc ; pour ne pas perdre ce qui était le plus cher à ses yeux : la liberté. Celle qui n’a pas de prix, qui compte plus que tout.
Brusquement, Galilée le prévint d’une visite. En lorgnant par la fenêtre, il vit se garer le vieux C15 de Ghislaine Mansoni, l’épouse de Julien. Il ouvrit la porte, un peu surpris.
— Salut, Vincent, je te dérange ?
— Pas du tout, entre…
Elle s’avança en enlevant son coupe-vent dégoulinant.
— Un café ?
— Volontiers ! Il gèle, ce matin…
— Tu ne bosses pas, aujourd’hui ? s’étonna Vincent.
— Ben non ! C’est mercredi…
Lapaz avait tendance à perdre la notion du temps. C’était cela aussi, son bonheur…
Ghislaine était institutrice dans la petite bourgade de Saint-André, située quelques kilomètres plus bas dans la vallée.
— Je viens te voir pour une excursion avec mes mômes, annonça-t-elle. J’aimerais qu’on fasse la réserve géologique de Haute-Provence comme sortie de fin d’année… Il faut qu’on fixe une date en fonction de ton emploi du temps.
— J’ai pas grand-chose de prévu, avoua Vincent. Seulement une course d’un week-end en vallée des Merveilles, la première semaine de juin.
Il décrocha un calendrier du mur et ils se mirent d’accord pour un vendredi, avant d’établir un programme sommaire. Pour le reste, c’était le boulot de Vincent. Chaque année, Ghislaine faisait appel à lui pour une ou plusieurs sorties avec ses élèves de CM2. Il lui en était reconnaissant parce qu’il ne roulait pas sur l’or et aimait ce contact avec les enfants. Ils partagèrent un deuxième café, discutant de choses et d’autres. Ghislaine était aussi expansive que son mari était intériorisé. Un de ces couples improbables qui génèrent l’étonnement.
— Comment va Julien ? s’enquit Vincent.
— Ça va… Il a quelques soucis avec ces braconniers de merde… T’es au courant ?
— Oui. J’ai vu un chamois, l’autre jour, avec Pierre…
— C’est vraiment dégueulasse ! J’espère qu’ils vont les choper avant qu’ils ne changent de vallée… Mais paraît qu’ils ont le même problème en Vésubie. Là-bas, c’est les bouquetins qui perdent la tête.
Ils continuèrent à deviser quelques instants puis Ghislaine prit congé. Elle courut jusqu’à sa voiture avant de démarrer en trombe. Piste boueuse, visibilité mauvaise, mais la vieille guimbarde était adaptée à ce genre de difficultés.
Elle reprit la route qui descendait vers Colmars, un peu fébrile.
Comme chaque fois qu’elle partait rejoindre son amant.
Rencontres assez rares, mais tellement agréables. Qui la faisaient rajeunir de vingt ans. Le risque, sans doute.
Ces rendez-vous clandestins avaient lieu dans son logement de fonction qu’elle n’occupait quasiment jamais, sauf en plein hiver quand l’état des routes ne lui permettait pas de remonter jusqu’à Allos. Le mercredi, l’école étant déserte, aucun témoin gênant ne venait les déranger. Elle arriva au bout d’une demi-heure à Saint-André. Elle traversa la petite ville paisible, se gara derrière l’école endormie, à l’abri des regards.
Juste à côté de la voiture de Pierre Cristiani.
* * *
Myriam quitta l’office de tourisme d’un pas rapide. Elle remonta le col de son blouson, cala les mains au fond de ses poches.
Cheminant par les venelles de Colmars, elle ne croisa quasiment personne. Arrivée à l’entrée de la maison de village qui abritait son studio, elle jeta un œil dans sa boîte aux lettres, n’y trouva que du vide. Elle pénétra dans son réduit froid et humide. Pas très accueillant. Le propriétaire n’avait pas prévu de chauffage pour la saison d’été et la vieille bâtisse accusait une température hivernale. Elle trouva malgré tout le courage de se déshabiller pour plonger dans un bain chaud, agréable sensation de délassement. Puis elle s’emmitoufla dans un peignoir et s’étendit sur son lit. Juste à côté d’elle, sur la table de chevet, un petit morceau de papier qu’elle ne pouvait quitter des yeux. Celui où Vincent avait inscrit son numéro de téléphone. Appelle-moi quand tu veux .
Allait-elle le faire dès ce soir ? Ou devait-elle se laisser désirer un moment ? Au risque de le voir s’intéresser à une autre !…
Elle s’attarda longuement sur l’écriture acérée du guide. La nuit précédente, elle n’avait pas beaucoup dormi, trop excitée pour trouver le repos. Le visage de Vincent l’avait poursuivie jusque dans le moindre recoin de ses rêves. Alors que pourtant, il ne s’était encore rien passé entre eux. Mais nul besoin de coucher avec lui pour savoir qu’elle venait de tomber amoureuse.
Pas une de ces idylles sans importance ou sans lendemain. Un sentiment puissant emportant tout sur son passage, une véritable lame de fond.
N’y tenant plus, elle récupéra son portable. D’une main tremblante, elle composa la série de chiffres qui allaient la relier à lui. Mais elle raccrocha avant la première sonnerie, se leva, tourna en rond autour du lit. Avant d’y tomber à nouveau.
Courage, je suis sûre qu’il espère mon coup de fil !
Elle appuya sur la touche bis. Son cœur battait si vite et si fort qu’elle pouvait l’entendre dans le combiné. Jusqu’à ce que la voix de Vincent comble tout l’espace.
— C’est moi, Myriam…
— Bonsoir… Comment vas-tu ?
— Bien… Je voulais juste te dire que j’ai passé une très agréable soirée, hier…
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