« Je leur demandais quelque chose, moi ? J’étais sur ma dunette, à driver avec autorité mes services. Je venais de faire la connaissance d’une délicieuse petite journaliste en minijupe, avec des jambes admirables où brillent de délicats poils blonds comme l’or. Et hier soir : la foudre ! Le Quai d’Orsay ! L’Intérieur ! LE PRÉSIDENT ! Vous me recevez cinq sur cinq, San-Antonio ? Le président soi-même avec son ton neutre qui fait froid aux miches. « Mon bon ami, m’a-t-il déclaré, depuis les Malouines, nos chers voisins n’ont pas été aussi nerveux. Ils promettent d’exhiber de vilaines choses si vous ne leur obtenez pas satisfaction. D’ores et déjà, ils posent votre destitution comme a priori à tout ce qui découlerait d’un échec. »
« Dites, vous trouvez cela juste et sage ? Ils laissent buter leur cousin et c’est moi qui dois payer ! Il est vrai que l’Angleterre a tourné en limonade. Le fameux Scotland Yard, l’Intelligence Service sont devenus des clubs du troisième âge où l’on se raconte à voix basse de vieilles histoires d’émirs empoisonnés, de révolutions commanditées, de monarques destitués par des complots d’alcôve. Si l’I.S. existait toujours, vous croyez que des Kadhafi, des Hussein, des ayatollahs Pierre, Paul, Jacques resteraient si longtemps à la verticale ? Je ris ! Jaune ! Mais je ris ! »
Il a une sorte de hennissement qui est le bruit d’un sanglot avorté.
— Antoine, mon tout petit, mon disciple, mon chouchou, vous n’allez pas laisser destituer votre vieil Achille ! Vous n’allez pas permettre à cette racaille dorée britannique, à ces veaux en carrosse, de ruiner l’une des plus nobles carrières de la Police française ?
Vaguement ému par ses suppliques, je murmure :
— Je vais faire l’impossible, patron.
Alors il fulmine :
— L’impossible ! Et quoi encore ? Vous croyez que c’est suffisant, l’impossible, espèce de grand con avantageux ? Je suis là, dans des sables mouvants qui m’engloutissent et tout ce que Môssieur le commissaire Trou-du-Cul vient me promettre, c’est de faire l’impossible ! Ah ! non, mon vieux, pas avec moi. Je connais trop ça : l’impossible ! J’en ai vendu toute ma vie ! C’est pas l’impossible qu’il me faut, c’est le nécessaire ! Vous entendez bien ? C’est clair, net, admis, approuvé ? LE NÉ-CES-SAIRE !
Il raccroche, au bord de l’apoplexie.
Il est dur avec le subalterne, Chilou.
Lorsque je reviens dans notre « morgue », un délicat spectacle s’offre à mes yeux, comme j’aime à répéter. Aimable formule qui prépare bien la suite. Que voici.
Si tu as lu Le bal des rombières , œuvre prépondérante de ton serviteur smigard, dans laquelle nous faisons la connaissance de Violette, tu dois te souvenir que la donzelle aux sens survoltés y montrait (et y développait) des mœurs hétéro et homosexuelles très échevelées. Or, voilà que je la trouve en train de lutiner la secrétaire du consul de France, à la faveur — d’essayages qui m’ont eu l’air de tourner court. Oh ! note qu’il s’agit en fait d’amusettes de pensionnaires. Violette joue à emprisonner le minois sérieux de l’employée consulaire entre ses seins plantureux, ce qui, tu le vois, ne tire pas beaucoup à conséquence. Après quoi, elle la fait asseoir à l’envers sur une chaise, les jambes repliées sur le dossier et lui déguste le Mont Saint-Michel entre les montants dudit, tout en ponctuant d’un médius garnement dans le petit borgne : frivolités vénielles qui ne tirent pas à conséquence. Elles plaisent beaucoup cependant à cette personne qui, coupée de Paris et plongée dans un milieu ottoman peu porté sur de telles réjouissances, trouve là, à cinq heures et quelque du matin, de menus plaisirs nationaux prodigués par une personne très attachée à cet aspect des valeurs traditionnelles.
Elle roucoule de bonheur.
Violette qui m’aperçoit à travers les jambes en « V » majuscule de sa nouvelle amie m’engage à me joindre aux festivités en proposant à la secrétaire un beau joufflu toujours heureux de se laisser revernir le dôme ; mais mes préoccupations professionnelles me poignent avec trop d’insistance, aussi leur laissé-je le soin d’organiser entre elles d’autres féeries variées.
Grâce au consul, on met sur pied, dans le courant de la matinée, une macabre mise en scène qui impressionnerait des êtres moins aguerris que Violette et moi-même.
Magine-toi que nous sommes allongés, roides et momifiés dans des cercueils flanqués de cierges, un chapelet autour des mains croisées, vivant notre futur trépas avec un maximum d’intensité.
L’Excellence a prévenu les autorités et Mustafa Kémal Foutu, qui nous a reçus la veille, vient en personne s’incliner devant nos dépouilles. Il ne souffle mot au consul de notre visite chez lui. Ce dernier joue les innocents avec conviction. Bref une réussite.
Après son départ, lorsque nous « ressuscitons », de Pourçaugnac me dit, presque en jubilant.
— Sans me vanter, j’ai bien vendu votre mort, cher commissaire. Il faut dire que vous étiez parfaits, votre collaboratrice et vous.
— Vous a-t-il posé des questions concernant notre présence à Istanbul ?
— Très peu et comme j’ai fait l’ignorant profond…
— Vous avez entendu parler de la pension de famille Windsor Lodge, monsieur le consul ?
— Absolument pas. Je devrais ?
— Pas nécessairement.
Un temps.
— J’attends une équipe que Paris me promet. Pendant ce temps, j’aimerais pouvoir modifier quelque peu mon aspect ; je suis pressé et j’ai une mission délicate.
Il sourit.
— Je ne savais pas que nos policiers donnaient dans l’Arsène Lupin !
— A l’occasion ; les vieilles recettes des feuilletons de jadis ont toujours leur charme.
— Vous souhaiteriez vous travestir en quoi ? En Turc ?
— Je n’irais pas jusqu’à vous réclamer un turban ou une chéchia ; par contre, si je pouvais obtenir un bon fond de teint et des postiches bruns…
— Cathy, ma secrétaire, va s’occuper de ça. Elle est d’une efficacité rare.
— Je sais, ne puis-je m’empêcher de renchérir : j’ai vu.
— Et moi ? demande-t-elle.
— Vous attendez au consulat, ma douce Violette, car il ne s’agit pas d’aller faire des vagues autour de la pension Windsor Lodge. Par contre, essayez de vous renseigner discrètement, et surtout sans faire appel aux autorités turques, sur sa vieille tenancière.
— A vos ordres, commissaire.
J’ajoute :
— Je sais que vous avez un tempérament de feu, aussi vous conseillé-je de ne pas mettre à sac toutes les braguettes ni toutes les culottes se trouvant dans ce consulat.
Elle rougit ; puis, songeuse :
— Pensez-vous que je devrais me faire soigner, commissaire ?
— Ce serait dommage, réponds-je. Les grandes prêtresses du sexe sont si rares ! Mais vous devriez, nonobstant, essayer de calmer vos ardeurs, ma chérie. Elles risquent de vous valoir des complications peu compatibles avec ce métier qui est devenu le vôtre et dans lequel vous excellez.
— Je ferai mon possible, piteuse la jolie chérie, attendrissante de confusion. Voyez-vous, commissaire, c’est de naissance. Toute petite, déjà, je caressais les testicules des messieurs qui venaient à la maison. A dix ans, je pompais le facteur ; à douze, je léchais la chatte de la jeune fille qui me donnait des cours de piano ; à quinze, je me laissais sodomiser par le teinturier veuf qui avait son magasin au pied de notre immeuble ; à seize, je me laissais prendre à la suite (je n’ose employer l’expression de « queu leu leu ») par les vingt-deux garçons de la chorale mixte dont je faisais partie. Un besoin incoercible ! Une frénésie !
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