Très vite, elle me refoule pour se placer à genoux, mains à plat, dans la posture bébête qui constitue, crois-je-t-il, une manière de summum dans l’acte de chair (à appâter). Et alors là, c’est le déferlement ! N’insiste pas, je ne te raconterai pas cette charge héroïque, cette fantasia éperdue, cette chevauchée cosaque dans la toundra enneigée. Toujours est-il que c’est une superbe manifestation de l’instinct de reproduction. Bien qu’étant bas et neuf, le lit craque, la verrerie tintinnabule, le fond de l’air effraie. Assez dantesque sur les bords. Wagnérien ? Ça, sans aucun doute ! Le vaisseau fantôme qui prendrait l’eau !
Pointée à mort, « l’élève » d’Achille rameute à tous les échos, appelant indistinctement : sa maman, sa vieille grand-mère, son parrain qui est maréchal des logis, le président Mitterrand et Jacques Attali, son précieux gardien de but, le docteur Gaitautroux, son gynéco, la musique de l’hagarde républicaine, M. Haroun Tazieff de l’Académie française (hein ? il est pas de l’Académie ? ben il devrait !), l’adorable Jean d’Ormesson (qui lui en est, par contre), Bérurier, le comte de Paris, Fidel Castro et moi ! Oui : moi, tu as bien lu. Elle m’appelle alors que je suis là ; mieux que présent : in ! Ça ne rigole pas, le cul, mon vieux ! Ça déménage et ça t’embarque.
Superbe prestation dont je ne saurais te préciser la durée ayant omis de déclencher mon chrono. On arrive ensemble, gavés, comblés, exténués, radieux.
On chancelle mollement, puis on glisse sur le côté sans se désenchevêtrer, notre enfilade monstre continuant de courir sur son erre (d’en avoir deux !). Quel-ques ultimes aller-retour mouratoires. On spasme en camarades, essoufflés mais victorieux. Somno-lence d’après baise. La meilleure ! On croit rêver. On rêve ! Merci, Seigneur.
Mais j’ai mal à la tête. Me serais-je fait sauter un vaisseau menu dans la caberle en suractivant de la baratte bretonne ? C’est toujours ma crainte : craquer un plomb ! Pour, ensuite, me retrouver chanstiqué en long ou en large dans une mignonne voiturette chromée. Même équipée d’un moteur et d’un cerveau machinchose te permettant de la piloter avec ta bite ou le bout de ton pif, c’est pas extra comme mode de locomotion.
Bon, je m’éveille, vraiment mal à l’aise. Je vais pour éclairer ma lanterne de chevet, mais un bruissement ténu stoppe mon geste. A cul de loup, je me mets sur mon séant. Un rai de lumière filtre sous la porte. Il est coupé d’un trait sombre qui remue kif la queue d’un reptile. Je me lève et m’avance vers « la chose ».
Vite je pige. Il s’agit en réalité d’une extrémité de tuyau de laquelle (si on se réfère à l’extrémité) ou duquel (si on prend le tuyau en considération), s’échappe un gaz. Non mais, ils sont marrants dans ce bled ! Voilà qu’on nous asphyxie pendant notre sommeil. Moi, de deux choses l’autre : ou bien je délourde pour m’élancer sur le gazier gazeur, ou bien je reste peinard et me défends contre l’émanation avec les moyens du bord. Je me résous à la deuxième propose. Pour déponner, il faudrait que je tire le verrou et actionne la clé, gestes ne pouvant passer inaperçus du gars qui, de l’autre côté de l’huis, manœuvre la bouteille de gaz.
Alors tu sais quoi ? Je fonce sans bruit à la salle de bains qui, Dieu thank you, se trouve juste à l’entrée de la chambre. J’arrache le tuyau de la douche, reviens au tube, qu’avec des gestes quasiment chinois j’enquille dans le flexible de la douche. N’après quoi, je dérive l’extrémité de ce dernier dans la salle de bains dont je débonde la fenêtre et ferme la porte. Une couverture roulée et plaquée contre celle-ci achève de nous protéger des infiltrations possibles. Bien que notre chambre soit pourvue de l’air conditionné, je me hâte d’ouvrir en grand les deux baies vitrées.
Assise sur le lit, Violette me regarde agir sans proférer un son. Elle a tout pigé et me laisse l’initiative. Je me suis saisi d’une statue en faux albâtre et — j’attends derrière la porte, prêt à interviendre. Pour moi, — l’affaire est claire. Après le départ de Violette du Windsor Lodge, la vieille rombiasse qui le gère a donné l’alerte, comme je le craignais, et ses beaux messieurs ont revalu à Violette sa politesse en la recherchant dans les hôtels d’Istanbul, comme elle-même a recherché le faux ecclésiastique.
S’agit-il d’une anesthésie ou d’une exécution ? Je l’apprendrai bientôt. Si on a seulement voulu nous endormir, nos ennemis pénétreront dans la pièce après son gazage. Si au contraire on a décidé de nous carboniser, ils plieront bagage et fileront sans ton bourrin ni ton poète (comme dit Alexandre-Benoît Bérurier).
Attente.
Nous nous sommes habitués à la pénombre, Violette et moi. Maintenant nos regards s’entrecaptent. Le sien est tranquille, pas le moins du monde apeuré.
Du temps passe. J’ai posé le pied sur le flexible de la douche, sans appuyer, me promettant de le faire au moment où nos enfumeurs retireront leur embout.
Un frémissement du bout de tuyau. Je maintiens le flexible plaqué au sol. On retire l’embout. J’ai tous mes muscles bandés (sauf un, parce que j’ai déjà donné). Le rai lumineux se remet à souligner la porte sans autre perturbation. Et maintenant ?
Je perçois un léger flottement dans le couloir et le silence revient, intégral. On se tait encore un moment. Mais non : c’est fini.
— Il s’agissait d’un assassinat, murmuré-je.
— Qu’est-ce qui vous a alerté ? demande Violette.
Je tapote mon pif.
— Ce machin-là. S’il ne fonctionne pas, on meurt jeune dans ce boulot, chérie.
Elle soupire :
— En ce qui me concerne, il sera toujours en panne après qu’on m’ait fait l’amour comme vous venez de me le faire. C’était inouï !
— Merci.
La v’là qui rembrunit.
— Maintenant, nous sommes brûlés, n’est-ce pas ?
Je gamberge à sa question avec d’autant plus d’acuité que j’étais juste en train de me la poser.
— Il y a peut-être encore un brouillon d’espoir.
Je m’asseois près du téléphone et recompose le numéro de Mathias. Ça fait long à répondre. Et puis j’ai la voix de sa femme :
— Ici Angélique Mathias.
Les cent dix points d’interrogation qui succèdent sont toujours d’elle.
— C’est encore moi, ma tourterelle, susurré-je.
— Ah oui ? elle rétorque d’un ton neutre.
Je me dis qu’elle n’a pas réalisé son bonheur.
— Moi, San-Antonio ! précisé-je.
— Ben oui, j’avais reconnu, et alors ? C’est une raison pour réveiller les gens au milieu de la nuit ? Il y a vraiment des individus qui se croient tout permis !
La foudre me « petafine », comme on dit dans mes contrées natales.
Ma psychologie forcenée me permet de comprendre ce qui s’est passé. Ayant conditionné madame par mon discours salace, elle s’est fait étreindre par son époux que j’avais conseillé hardiment. Il en a résulté un coït de force 5 sur l’échelle du bon Richter, lequel coït m’a balayé de ses fantasmes comme le vent d’automne balaie la feuille d’impôt du contribuable anarchiste. Et maintenant, pauvre Cyrano sans récompense, je dois subir les sales houspillances de cette Roxane-virago à matrice féconde.
— Dis donc, la pintade, je ricane, on dirait que ton tyran de sommier s’est surpassé !
— Je vous en prie, espèce de goujat ! Et d’abord cessez de me tutoyer, nous n’avons pas gardé les vaches ensemble.
— Soit, bats-je en retraite. Mais lorsque cette paix des sens qui vous rend si distante sera dissipée, pensez, madame, que je porte devant moi un pénis en ordre de marche de vingt-quatre centimètres et que la dernière ayant droit que je viens d’honorer rameutait tout un palace turc et réclamait l’assistance de ses aïeux, celle de l’abbé Pierre, celle du grand cinéaste Jean-Pierre Mocky (qui a pourtant ses propres chattes à fouetter), celle du charmant prince Rainier, celle de l’excellent Patrick Poivre d’Arvor (qui sera de l’Académie française un jour), et celle, non moins négligeable, de M. le chandelier Helmut Köhl (qui, s’il réunifie l’Allemagne, ne saurait néanmoins baiser sans l’assistance d’un rétroviseur et d’une pince à cornichons). Cela dit, et en attendant l’inévitable retour de votre passion pour moi, passez-moi votre champion, si toutefois il peut encore marcher jusqu’à cet appareil !
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