Tu le vois : je me sens loquace avec Angélique Mathias.
Vitupérante, elle va quérir l’Anéanti, éveillant pour cela une partie de leur portée.
Mathias se pointe en se grattant les fesses, ce qui produit très exactement le bruit que fait un nonagénaire en grignotant des biscuits secs.
— Pardon de saccager ta nuit, après ta soirée, fais-je.
— Pas de mal, com… Sana !
— C’était bien, l’embroquée de gala de ta cantinière ?
— Inoubliable.
— Tu as mis le vingtième en route ?
— Ne m’en parle pas ! Comme elle se trouve en pleine ovulation, j’ai chaussé un préservatif !
— Tu deviens raisonnable.
— Attendez, comme j’étais surexcité, j’ai enduit ce dernier de vaseline.
— Etait-ce bien nécessaire, après que je lui eusse parlé ?
— Peut-être pas, mais c’était en tout cas une folie, car le caoutchouc se désintègre au contact d’un corps gras. Pas fort pour un chimiste, hein ?
— Elle le sait ?
— Elle s’en apercevra bien assez tôt !
— Tu as eu le Vieux ?
— Non sans mal et au téléphone seulement car il n’a jamais voulu me recevoir. Je lui ai tout raconté, scrupuleusement. Il semblait assez dubitatif et m’a brièvement dit qu’il aviserait !
J’enrage :
— Ça veut dire quoi « aviser » dans un cas pareil ? Il devait se faire congratuler le nougat, ce vieux salingue ! Tu vas le rappeler, car la situation a évolué.
— Oh ! Seigneur ! Vous ne pouvez le faire vousmême du moment que vous pouvez m’appeler, moi ?
— Je sais ce que je fais, Tendeur. Si je lui parle directement, il va me casser les bonbons avec des considérations pusillanimes et se croiser les bras ; passant par ton canal, ma requête prend aussitôt un aspect officiel, tu piges ? Quelqu’un d’important SAIT, alors il ne peut mettre ce dossier sous son vieux cul déplumé !
— Je comprends, Antoine.
— Merci, Xavier.
Il est ému :
— Com… comment, vous… tu sais mon prénom ?
— Je sais tout des gens que j’aime, mon Loulou. Ton premier prénom, c’est Raymond, mais ta brancardière a préféré utiliser le second qu’elle juge plus aristocratique.
— Mon Dieu ! Mon Dieu ! Tu es aussi au courant de cela !
— De cela et du reste. Bon, je t’ai annoncé du nouveau. Ça corrobore mon diagnostic concernant Windsor Lodge , repaire de crapules fameuses ! On vient de se livrer sur nous à une tentative d’assassinat.
Je lui narre.
— Donc c’est fichu, conclut Mathias. Vous allez devoir vous rapatrier d’urgence, sinon…
— Pas le genre de la maison, je sors mon joker avant de quitter le jeu ; seulement, il faut que ce vieux grelot s’agite. Va l’arracher des bras putassiers entre lesquels il ronfle, par n’importe quel moyen, et demande-lui de faire ce que je vais te dire… Ajoute que s’il n’intervient pas sur-le-champ, je le contraindrai à démissionner par des révélations fracassantes aux médias. Les médias, c’est son urticaire chronique, au Vioque ! Sa prostate, son col du fémur.
— Bon, je m’attelle à cette tâche…, Antoine !
C’est parti ! Il ose « Antoine ».
IL EN EST.
ENFIN !
Bienvenue au club, Xavier !
On remet le couvert, à la santé de la vie préservée, si tu me permets cette tournure de phrase peu usitée dans le commerce.
Cette fois, c’est plus la furia bramée, mais la fourrette langoureuse, juste ponctuée de soupirs, avec, çà et là, une légère exclamation de politesse.
Et alors, tout net, j’ai la révélation !
T’as des gus, c’est quand ils sont aux chiottes qu’ils pensent efficacement, d’autres c’est quand ils sont seuls en voiture. Moi, dans certains cas, c’est pendant que je brosse une gerce. Attention, va pas conclure que je la néglige. Mais quand on en est à la seringuée voluptas, sans lancer d’escadron, des idées « intenses » me percutent le bulbe. A la première ramonée, j’eusse été incapable de réfléchir, mais là, dans le climat suave, très Valpurgis malgré les ultimes remugles du gaz assassin, mon cervelet fait de la chaise longue, ce qui revient à dire qu’il puise dans le subconscient, do you see ?
Ecoute, ça m’arrive à un tournant de verge. Je la pratique faiblo dans la trappe de secours, tout en lui clignotant l’entrée des gladiateurs d’une main et le cabochon droit de l’autre. Et poum ! fulgurante, l’image ! Celle du voisin de chambre de Tommaso et de son pote à la pension « Tuflingues ». L’homme au visage « mangé de barbe ».
— Putain ! m’écrié-je.
— Oui, oui, continue, j’aime qu’on m’insulte quand on me fourre le petit ! exulte Violette dont la récente bonne éducation vient de disjoncter.
Je n’ai pas le cœur de la détromper car je pratique la charité chrétienne dans les moments les plus excessifs de l’existence, et le Seigneur qui me sait bien est déjà en train de me le pardonner, alors tu vois !
Par conscience forniqueuse, j’accompagne ce « putain », simple marque de jubilation mentale, de quelques « Salope ! Morue ! Emmanchée ! Sac-à-pines ! » qui la stimulent de l’escarguinche mieux que ne le ferait un poème d’Alfred de Musset.
Mais moi, accouilleur-rabattant de charme, tout en prodiguant à ma partenaire (de profession autant que d’orgasme) des délices sans ambiguïté, je me répète le nom du mec entrevu dans le couloir du Windsor Lodge :
Carlos !
Et alors, ça s’opère in extenso, tel que je te le vais raconter, sans y changer un poil de cul de virgule.
Sur les couilles de cinq plombes ( of the morning ) mon biniou carillonne. J’ai le bon réflexe et ne décroche point. Quelques minutes s’écoulent au cadran de ma dégoulinante et on toque à la porte. Pareille-ment, je reste coi, non sans avoir envoyé le duce à ma compagne. Nous prenons alors des postures très abandonnées sur le lit : elle en travers, moi les bras pendant hors du lit.
Une carouble s’affole dans la serrure. La porte s’ouvre. Des gens entrent : un employé de nuit du Thagada Veutu palace, un policier turc en uniforme, deux infirmiers portant un brancard. Je les distingue à travers mes longs cils charmeurs dont les battements savants viennent à bout des clitos les plus récalcitrants.
Le policier se penche sur nous. Il nous palpe et baragouine quelque chose. Alors les infirmiers développent leur brancard et, à tout seigneur tout honneur, le mâle restant prépondérant dans les sociétés musulmanes, me chargent en premier et me descendent dans une ambulance stationnée sous le péristyle de l’hôtel. N’après quoi, ils vont chercher ma compagne et me l’apportent sur le rail de fixation voisin. Et puis fouette cocher ! La décarrade s’opère.
Tiens, le flic est monté aussi dans le véhicule, ce qui fait qu’ils sont trois, serrés dans la cabine avant.
— Le Vieux a bien usiné ! chuchoté-je. Je n’espérais pas que ça se passerait si vite et si bien !
— Il a de beaux restes, convient Violette.
A quoi fait-elle allusion ? Je me propose de lui poser la question térieurement.
L’ambulance droppe dans la nuit byzantine émail-lée de lumières (toujours, dans les bons livres : « émaillé de lumières », c’est payant). Elle enquille bientôt l’Istiklâl Caddesi à toute vibure, sirène hurlante ; peu avant Taksim Meydani elle freine à mort (pour une ambulance, merci du peu), vire à gauche, et stoppe devant le consulat de France. On nous attend. Un diplomate jeune et mince, agréable, déjà saboulé en « représentant de l’amère patrie », accueille nos inerties. Il nous fait transporter dans une grande pièce qui doit servir à des conférences et où l’on a dressé deux lits de camp. Les brancardiers déposent nos « corps » sur chacun d’eux. Le jeune diplomate leur glisse une liasse de talbins (je perçois le froissement caractéristique des fafs). Les deux mecs se retirent. Ensuite, notre hôte prend le policier à part. Il y a palabre, en anglais. Puis froissement de vaisselle de fouille, à nouveau. Exit le poulet.
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