Ces entretiens nuiteux ont du bon, car ils prennent les gens au débotté, débarrassés des harnais de la convention. De jour, loquée, coiffée, elle me répondrait prudemment, la gosseline, avec méfiance, en se regardant parler dans une glace. Là, dans le désordre de la nuit, elle laisse quimper toute retenue : à preuve, elle se rend parfaitement compte que j’ai un œil sur sa cressonnière et ne ferme pas ses jambes pour autant.
Son frifri ? Bon, il est plus marrant à regarder que celui de la reine Queen, mais il ne mérite pas le voyage, vraiment. Imagine une petite crinière blondasse-filasse clairsemée, chattoune, sans grande expression, de sommelière suisse alémanique.
Mon regard la trouble, mon léger sourire la gêne. J’ai ôté l’un de mes mocassins pour, du bout de mon panard, titiller le sien. Alors elle répond à mes questions en toute spontanéité, la petite potarde. Se laisse aller sur les vagues onctueuses de mon envoûtement. Pourtant elle s’est fait tirer y a pas longtemps, la mère. Mais peut-être que son hussard de la mort bouillave en égoïste, qu’il fait partie du salon des indépendants ? Il procède à son lâcher de ballons sans prévenir, ce gus ; la reluisance de sa partenaire ne l’intéresse pas. Moi j’en sais des pleins wagons à bestiaux qui se mettent à foisonner de la virgule sans seulement prévenir Ninette que le repas va être servi. Si bien que les frelottes doivent se contenter de hors-d’œuvre ! Tu sais, la vie, faut aller la chercher en profondeur, si tu veux parfaitement l’identifier. Au-delà des petites culottes à dentelle, il s’en passe des choses navrantes.
Bien chauffée comme la voilà, elle répondrait aux pires questions. Ses glandes de Bartholin sont à pied d’œuvre pour une hydrorrhée carabinée.
A mesure que j’avance dans le toucher, mon questionnaire progresse de paire (paire de quoi ? je ne veux pas te le dire, on me traiterait d’auteur insérieux). J’apprends tout sur la vie de la pharmacie d’Agnès ainsi que sur les êtres qui la font fonctionner. Les coucheries de celle-ci, les lubies de celle-là, les règles douloureuses de telle autre ! Elle me révèle sans barguigner les coups de cœur et les coups de rapière, les indélicatesses, les combines, les drames secrets, les emplois du temps. Ah ! tu peux le croire : j’ai eu l’index heureux en pressant sur la sonnette de Régine. Dire que j’avais six noms alignés sur une feuille de bloc et que j’ai commencé par le sien, ce qui va m’épargner d’aller réveiller les cinq autres. Que m’enseigneraient-elles de plus à propos de ce qui m’intéresse ?
Chère petite. Mon pied chaussetté remonte le long de sa jambe, faufile sous l’imperméable qui bâille comme un député en séance de nuit à la Chambre.
Elle me regarde glauque, me sourit niais, se met à trembler. Je te l’ai dit qu’il s’agit d’une mouilleuse ! Tu lui fais bicher son foot avec une allumette à cigare, Régine. Un instant, je songe que je ne vais pas encore m’étaler sur une dame après avoir tellement donné ces derniers jours. En ce moment, je m’attaque à mon propre record d’endurance, parole !
Faut tout de même que je consulte un sexologue, lui demander si je ne risque pas la surchauffe des rognons, tel que me voilà parti. J’envisage le jour où mes coïts seront à ce point rapprochés que ma vie (ou mon vit) ne sera plus qu’une interminable tringle à rideau.
— Quand vous me regardez comme ça, je ne sais plus où mettre mes yeux, me chuchote la potarde.
— Laissez-les dans les miens, réponds-je-t-il, ils y seront en sécurité.
Bon, que veux-tu que je te dise… Cet imper sur ce corps nu m’empêche de résister. Le veuillé-je, d’ailleurs ?
Je me l’empare à la désœuvrée, après l’avoir fait mettre à genoux sur son canapé rikiki, les coudes confortables sur le dossier, les pans du Burberrys retroussés sur son dos pour faire appareil photographique de studio. Le bord de mes rotules sur celui du siège, c’est la vraie partie de levrette nonchalante. Je fredonne in petto le Beau Danube bleu. Dans les cas d’exception, n’hésite pas à faire appel à Strauss (Johann), que ça soit pour un film de Spielberg ou pour une troussée française, il est toujours adéquat.
Bien sûr, la petite Régine se met à brailler son bonheur indicible à tous les échos et, re-bien sûr, son copain de plumard finit par se réveiller et surgir, hirsute, avec les filaments du sommeil plein sa frime inintéressante. Comme Régine est en train de partir en valdingue dans le cosmos, je fais signe au locdu de différer ses violences et la môme peut décoller sans problème en libérant un cri en comparaison duquel celui de la bête du Gévaudan n’était qu’un soupir de libellule.
Je me rengaine la panoplie trois-pièces et sors non sans tapoter l’épaule de l’ahuri.
— Vous tenez là un sujet exceptionnel, mon vieux. Couvrez-le bien pour qu’il ne prenne pas froid.
* * *
Tu vois, au lieu de tituler cette enquête Faites chauffer la colle (allusion très perceptible à l’homme disloqué), j’aurais pu l’appeler Sexe , comme la Madonna a fait de son album. En voilà une qui aura su rentabiliser ses miches, moi je te le dis. D’ailleurs, je m’explique mal l’engouement général qu’elle suscite. Y a d’autres pétasses plus mieux qu’elle, je trouve. Et puis je déteste les pros du radada. L’amour, ça ne peut pas être une exploitation commerciale, ou alors on n’appelle plus ça de ce doux nom. Mais enfin tant mieux pour elle si les hommes sont des grand cons sous la lune. Je lui souhaite de baliser du temps que les picaillons radinent. C’est pas lorsqu’elle portera ses nichebars comme un tambour et que son frais minois ressemblera à la bordure d’une mare, tellement qu’il y aura de pattes-d’oie imprimées dessus, qu’elle pourra faire des effets de corps, ni que Chibrac l’invitera à prendre le thé, histoire de se reposer la vue durement meurtrie par sa bobonne. Nous autres, grands romanciers (itou poux les grands peintres et les grands musicos), le temps nous incommode moins ; nous en faisons notre affaire, il ajoute un must à notre carrière ; tandis que dans le pain de fesses, hein ?
Oui, j’aurais dû appeler ce machin Sexe , vu que c’est en tirant crampe sur crampe que j’aurai dénoué cette histoire : l’arme à la bretelle et la queue à la main.
Cette nuit n’en finit pas. Il en est de très longues, des qui te font douter du retour du jour. « Si le soleil ne revenait pas », comme l’a écrit Ramuz. Songe qu’après avoir largué la petite Régine et son ours du Bengale (Que dis-tu ? Y a pas d’ours au Bengale ? T’es allé voir, Dunœud ? Non ? Alors écrase !) j’ai bombé jusqu’aux Sommiers. Le chouette, quand tu es arrivé au sommet de la pyramide, c’est que tu peux tout te permettre. Il n’y a plus de services fermés pour toi. Un coup de gueule et ça se délourde vite fait, tu vois radiner les intéressés en bonnet de nuit, le bougeoir en main, leurs pieds sales dans des savates enculées (comme dit Béru).
Donc, les Sommiers. Je trouve ce que j’y cherche. Intéressant, indeed ! N’après quoi, retour chez Agnès Masson. Elle est en tête-à-tête avec Jérémie. Ils boivent du rosé Laurent-Perrier pour se reconstituer un bout de moral. Je m’inquiète de Nathalie. Blanc me raconte que, devant le dénuement moral de l’ado, il l’a emmenée chez lui afin de la confier à Ramadé, sa légitime. Au sein de cette tribu grouillante d’aimables négrillons, Nathalie sera, bon gré mal gré, distraite de son dur chagrin. De plus, Ramadé, dont le père est sorcier professionnel au Sénégal, connaît des tisanes et des sentences africaines capables d’atténuer sa peine et de rendre à son existence ses couleurs naturelles. Belle initiative de cet homme au grand cœur dont le sexe est long comme un tuyau de poste à essence.
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