Elle se trouve chez elle, avenue Raymond-Poincaré, en compagnie de « ma » toute récente Nathalie et de Jérémie. Il est parfait d’autorité, M. Blanc. Et homme du monde avec ça ! Chemise blanche à poignets mousquetaire, cravate Cambridge, costar bleu nuit. Il a déjà noirci des feuillets de papier blanc.
Mon arrivée est bien « perçue » de la pharmacienne qui, dans son émoi, ne songe plus à me snober.
— Continuez, continuez ! invité-je lâchement, car je ne déteste pas ce répit qui va me permettre de me préparer pour la fatale nouvelle.
Je m’assois en arrière du trio et me mets à contempler l’exquise Nathalie. J’évoque son adorable chatte, pur joyau de la nature, de couleur rose comme le sont parfois certains abricots mûrs de la vallée du Rhône. Inoubliable ! Pauvre chérie que je vais dans un instant anéantir d’une phrase après lui avoir révélé la félicité la plus éblouissante.
Merci ! Arrêtez les flashes ! Non, non, mes chevilles ne me font pas mal : je porte des bandes molletières, comme papa qui a servi dans les chasseurs alpins.
Jérémie, en auxiliaire de classe, résume pour ma pomme, sous prétexte de récapituler :
— Donc, madame, ce soir, à 19 heures trente, au moment où l’une de vos employées sortait pour abaisser le rideau de fer de la pharmacie, elle a trouvé un gros paquet enveloppé de toile imperméable sur le seuil de votre officine. Un carton épinglé dessus comportait votre nom, écrit au gros crayon-feutre. A ce moment-là, vous vous trouviez dans votre bureau à signer du courrier. Intrigué par ce paquet de forme anormale, votre auxiliaire, M. Roméo Spinozza, a décidé de l’ouvrir séance tenante. C’est alors que le contenu est apparu aux yeux terrifiés de votre personnel, causant l’affolement chez vos préparatrices. Personne n’a été en mesure d’apporter la moindre précision quant à la personne qui a placé ce relief humain contre votre porte. La vendeuse du kiosque à journaux proche de la pharmacie n’a rien remarqué d’insolite. Je suppose que vous auriez souhaité prévenir notre directeur en premier chef (là, Blanc sourit de ses ruses ; ou bien Blanc de ses ruses sourit, au choix). Mais frappé d’horreur par ce qu’il venait de déballer, M. Spinozza n’a rien eu de plus pressé que d’alerter police-secours, comme son devoir le lui recommandait d’ailleurs.
Jérémie remet la capote (anglaise) de son Bic d’argent (cela existe à l’usage de ceux qui détestent écrire une lettre d’amour avec un stylo de quatre-vingts centimes).
A mon tour, hélas, d’entrer en piste. Cuisante mission. Je refilerais volontiers mon rôle à une doublure.
J’approche ma chaise du groupe.
— Chères Agnès et Nathalie, murmuré-je, cette affaire d’homme dépecé est monstrueuse. Hélas, j’ai bien plus terrible encore à vous apprendre à toutes deux.
Je me lance. Impossible de te retracer ce que je balance. Ce sont des mots, comme ça, au fil de la pensée, au fil du cœur. Des mots les plus « capitonnés » possible, mais néanmoins porteurs d’abomination. Je ne décris pas le macabre : Marianne dans le frigo. Non plus que les circonstances : prise de possession du dernier membre arraché au corps de Malaisie. Je dis simplement que la crapule qui joue à ce jeu sinistre a assommée Marianne si fortement qu’elle en est morte.
Elles ont le chagrin hébété, ces malheureuses. Des momies ! Et pas des fraîches ! Figures de cire couleur de cendre ; regards qui s’enfoncent au point de ne plus affleurer la surface de leurs pauvres visages de tragédie. Blanc est secoué par la nouvelle, lui aussi. Il pose sur moi ses sulfures incrédules dont le motif représente deux yeux.
Et puis son masque intelligent exprime quelque chose d’indéfinissable qui s’apparente au triomphe. Il repense à notre conseil de guerre tenu nuitamment dans le petit square proche de chez les Bérurier, l’autre soir.
— Je veux la voir ! décide farouchement la mère.
— Moi aussi ! conjugue la sœur.
Alors moi, grand chef baiseur mais sagace, je décide brusquement qu’on va régler cette putain d’affaire scabreuse cette nuit même !
Je confie les deux gonzesses ravagées à Jéjé afin qu’il les drive à l’institut médico-réglable (comme dit Béru) et les assiste dans cette pénible épreuve. Ensuite, retour ici. Dans l’intervalle, je vais rendre quelques visites nocturnes. N’importe qu’elles soient intempestives, je te répète que ça va être l’hallali. C’est comme ça, chez nous. Des périodes de stagnation. Tango, un peu, tu vois ? Deux pas en avant, deux en arrière. Et puis la mayonnaise se met à prendre, alors tu tournes la spatule un peu plus vite dans le mortier et le tour est joué ! Merci, M. l’Antonio !
— Agnès, fais-je, il me faut les adresses de tout votre personnel de la pharmacie.
Elle opine sans poser de question, prostrée dans sa peine. Va chercher son répertoire téléphonique et, à gestes automatiques, me désigne de l’ongle les noms que je réclame.
CHAPITRE XVI
OÙ IL EST QUESTION DE PAFS
C’est marrant de surprendre des gens dans leur intimité, en pleine noye.
Pour débuter ma ronde de nuit, je visite une certaine Régine Boursouflet qui crèche dans un modeste logement du XIII e. La cueille dans son premier sommeil puisqu’elle vient m’ouvrir, le visage brouillé comme les œufs aux truffes de ma chère mère Brazier, en chemise de nuit à petites fleurettes qui contient mal sa poitrine en chute libre. Elle sent déjà le plumard (sueur, foutre et pets non ventilés). Je me rappelle l’avoir retapissée à la pharmacie. C’est elle qui, le premier jour, m’a conduit au bureau d’Agnès que j’allais « révéler à elle-même », comme dit une certaine variété de cons angoras à poils noirs.
Elle me reconnaît d’emblée (un physique comme le mien, tu penses ! quand tu l’as renouché une fois, il est imprimé à jamais dans ton souvenir). J’avais préparé ma brème, mais elle n’y prend pas garde, sachant déjà à qui elle a affaire et devinant ce qui m’amène.
— C’est épouvantable, non ? murmure-t-elle. En voyant ce… cette chose, j’ai failli me trouver mal.
— Ce qui aurait été dommage, ne puis-je m’empêcher, car moi je vous trouve rudement bien.
Visiblement, elle est assez bas de gamme, question intelligence, mais le corps est convenablement tourné, le minois mutin et elle sent le plumard qui a servi, toutes choses dont ma sexualité fait volontiers ses choux gras.
Voyant que je la prends sur ce ton, elle a le réflexe d’aller fermer (doucement) la porte de sa chambre où roupille son tireur d’élite du moment.
— « Il » a le sommeil léger ? questionné-je en évoquant l’animal d’un hochement de menton.
— Non, tout le contraire, répond Régine ; il n’a même pas entendu vos coups de sonnette.
— Qu’est-ce qu’il fait dans la vie, en dehors de flanquer des chandelles de foutre sur votre jolie chemise de nuit ?
Elle s’effare, se met en vrille pour chercher les fâcheuses traces que je lui signale, les trouve et passe dans l’entrée troquer sa limouille contre son imperméable, ce qui achève de m’agacer le sensoriel. Une fille à poil sous un imper, je ne sais pas, toi, mais moi ça me fait triquer pire que la photo de Simone Weil. Elle attache la ceinture ; dans le mouvement, sa loloche gauche se fait la malle en solitaire sans qu’elle y prenne garde. Tu dirais qu’elle est décorée de l’ordre de Yoplait, la môme.
Son minuscule salon contient à grand-peine un canapé deux places ainsi que deux fauteuils crapoteux (je n’ai pas dit « crapauds »).
Je choisis le plus stable des deux. Il est tellement bas qu’il me semble avoir pris place à bord d’un kart : j’ai les genoux au niveau des oreilles. Je me dis que si elle m’imite, ça ne va pas être désagréable, biscotte j’aurai une vue imprenable sur son poilu de 14. Ma chance étant ce qu’elle est, Régine prend le second fauteuil…
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