Allons bon ! La voilà avec les yeux plus mouillés que des noix fraîches [17] Depuis que j’existe, les négociants mouillent les noix fraîches pour en augmenter le poids ! Moi qui suis originaire d’un pays de noyers, j’enrage !
. Impressionnée par ma colère, elle est, la miss !
Je reprends, un ton au-dessous :
— Ce que je te demande là, c’est uniquement pour gagner du temps. Tu penses que si je fous deux inspecteurs là-dessus, au bout de trois ou quatre heures, ils m’écrivent un rapport long comme « Les Trois Mousquetaires » sur la question Malaisie.
Elle opine, convaincue.
— Alors on y va gentiment, petite. Je sais que ta mother a eu une histoire désagréable à cause de Victor Malaisie, exact ?
Acquiescement de Nathalie.
— Elle a contrevenu à la déontologie de sa profession en lui vendant de la morphine ?
— Il paraît.
— Grâce à vos relations, on a pu écraser l’affaire, mais Mme mère a eu chaud aux plumes, je suppose. Elle a dû se farcir pas mal de nuits d’insomnies.
Nouvelle approbation de la petite, tout à fait domptée.
— La question qui me turluqueute et à laquelle tu vas devoir répondre est celle-ci : qu’est-ce qui a amené une femme aussi irréprochable que ta mother à commettre pareil faux pas ? Plusieurs hypothèses s’offrent : l’amour, une grande amitié, l’argent, ou la peur.
Nathalie m’écoute, bien droite, ses mains croisées entre ses genoux. Dieu comme elle est ravissante, comme elle est tentante dans sa jeunesse en fleur.
— Je ne sais pas quoi vous dire, finit-elle par articuler.
— Maman a bien dû vous fournir une explication quand l’histoire a crevé la surface du secret [18] Il m’arrive, par goût du risque et aussi quand ma vésicule biliaire déconne, de lâcher des phrases aussi tarabiscotées. Ceux qu’elles font chier n’ont qu’à les sauter.
.
— Elle a simplement prétendu avoir agi par pitié.
— Tiens, c’est vrai : j’ai oublié cette rubrique en dressant ma nomenclature. Pitié ! Hum ! Les quantités de came étaient bien fortes pour avoir été délivrées dans un moment d’apitoiement.
Elle hausse les épaules.
— Je ne sais que vous dire, répète-t-elle.
— Avant le… le pépin, maman vous a parlé de ce type ?
— Non.
— Tu n’en avais donc jamais eu connaissance ?
— Si. Un jour que ma mère était au lit avec une angine, il a appelé à la maison. C’est moi qui ai décroché. Il m’a dit qu’il voulait s’entretenir avec ma mère ; j’ai répondu qu’elle se trouvait alitée, alors il a déclaré sèchement : « Dites à Mme Masson que c’est Victor Malaisie qui la demande, elle me prendra sûrement, malade ou pas ! » Effectivement, lorsque j’ai rapporté le propos à maman, elle m’a demandé de brancher le téléphone dans sa chambre.
— Elle a fait une allusion à cette communication, ensuite ?
— Je lui ai demandé qui c’était, elle m’a répondu qu’il s’agissait d’un fournisseur.
— Autre chose, depuis, concernant ce quidam ?
— Non.
Le regard est limpide comme du cristal de roche.
— Je souhaite ton opinion à propos de cette lugubre affaire de corps morcelé, tu t’en es fatalement forgé une ?
Elle fait la moue (pas la guerre).
— Je ne sais pas trop. Un instant, j’ai cru à un coup de cœur. Mais, avant que vous ne surgissiez dans notre existence, j’imaginais si peu maman avec un amant !
— C’est toi qui m’y as fait pénétrer dans votre existence, ma fille, en me branchant sur l’histoire d’irradiation de ton dabe.
— C’est vrai, admet Nathalie. (Qui ajoute, avec un petit sourire désenchanté :) Vous n’avez pas perdu votre temps ! Votre enquête progresse ?
— Pas mal, merci. J’entrevois le bout du tunnel. Je sais déjà qui est la victime dont on sème les morceaux.
— Vrai ?
— Totalement.
— Je connais ?
— Au moins de nom. Nous venons d’en parler.
Elle a un soubresaut. Un vrai. Elle fait comme ça, regarde : comme ça ! Une décharge électrique ! T’as pas vu un gonzier sur la chaise du pénitencier au moment où on fout la sauce ? Je te le refais cornac ! Et en plus, il se pisse parmi, comme disent les Helvètes.
Nathalie, par contre, n’a pas d’incontinence. Elle porte ses deux mains à ses joues et presse, ce qui lui fait une bouche en forme d’orchidée.
— Oh ! mon Dieu ! zozote-t-elle malgré ses lèvres en fleur de plante monocotylédone.
— Pourquoi es-tu atterrée, puisque tu ne le connaissais pas ?
— Mais ma mère si, et comme c’est à nous principalement qu’on adresse ces affreux débris…
Pas bête, l’orpheline ; belle trajectoire de pensée, presque instantanée.
— Vous pensez que maman est… est impliquée dans cette affaire ?
— Je ne pense rien : j’envisage des choses et j’en vérifie d’autres, c’est cela le métier de poulet, ma poule.
Son brutal désarroi m’émeut.
Alors quoi, je fais ce qu’elle avait annoncé au début de notre entrevue : je vais m’asseoir à son côté, la saisis par l’épaule en un mouvement de tendresse, l’attire contre ma poitrine et me mets à la galocher jusqu’aux amygdales avec une fougue de grand frère incestueux.
« Et de trois », pensé-je, non sans émotion, le cœur aussi épanoui que l’embrasure de mon slip, ce qui n’est pas peu dire.
Certains prétendent qu’il y a de l’obsédé sexuel en moi. Je me permets de leur objecter que les agissements d’un obsédé sexuel s’accompagnent de dépravations dont j’ignore tout. Disons que je suis un « puissant sexuel » que la femme fascine et inspire, et qui peut le lui prouver. Mes pratiques sont variées, mais restent dans un certain classicisme. Je n’ai jamais brûlé de seins avec ma cigarette (je ne fume pas), ni planté d’aiguilles en des fesses rebondies. Je n’ai jamais ligoté de dames aux montants du lit, n’en ai jamais fouetté même quand elles m’imploraient de le faire (elles sont si salopes !). Je ne mords pas de cuisses jusqu’au sang, ne me fais pas compisser ni déféquer sur la gueule ; bref, je n’outrepasse jamais les limites d’action d’un amant ardent, voire impétueux, plus soucieux du plaisir de sa partenaire que du sien propre et qui utilise, pour pratiquer l’amour, les seuls accessoires naturels dont l’a pourvu son Créateur plein de bonté et de miséricorde, que j’aime et veux aimer sans cesse davantage. Je me soucie moins de Sa gloire que de Son existence. Je n’ai pas de preuve qu’Il m’ait créé, mais je sais que moi, je Le crée chaque jour, non pas à mon image, ce qui serait outrecuidant, mais à mon désir. Et nous (N) fonctionnons parfaitement ainsi, Lui et moi sans nous (N) occuper trop de qui a créé l’autre (L).
Or donc, cette oiseuse (elles le sont toutes) digression, pour m’amener à confesser qu’eh bien oui, mon frère, je passe Nathalie à la casserole, en y mettant des gants et une capote et en me comportant en gentleman soucieux de ne causer aucune déprédation chez cet être exquis, doux à lécher, plus difficile à bibliquer, dont l’adorable fumet de jouvencelle m’incite à prier pendant que je la prends. Ainsi, vois-tu, je ne suis pas un obsédé, mais un mystique queutard.
Ordre parfaitement chronologique : maman, la sœur aînée, et pour terminer la cadette.
Des annotations ? Peut-être serait-ce déplacé. Mais puisque tu insistes, je peux t’avouer que la dabuche est la plus performante, l’aînée la meilleure technicienne, et la petite dernière la plus « saisissante ». Fabuleuse troïka qui marquera mon souvenir à tout jamais. Car, les souvenirs impérissables, tu les reconnais au passage dans la frénésie gesticulaire du présent.
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