— Douille-le ! crié-je au Gros en bondissant hors de la tire.
— Combien je lui attrique ?
— Deux livres ça les vaut !
— Tiens, mon pote, v’là un kilo, entends-je dire au Gros, t’attaques magistralement ta journée non ?
La grille de fer-forgé… L’escalier… La lourde dégondée qu’on a rajustée tant mal que bien… J’entre comme un dingue dans l’appartement. Ce que j’avise en premier, c’est le misérable Sam Gratt, vautré sur la moquette du salon, débraillé, puant l’alcool et ronflant comme un réacteur. Il est seul dans la pièce. Je l’enjambe pour visiter la chambre ! vide également ! La salle de bains, maintenant ! J’y trouve la môme Molly, ligotée et bâillonnée dans la baignoire.
Mais de Marie-Marie, pas la moindre trace !
Flageolant d’appréhension je me rabats dans le livinge comme Bérurier y débouche.
— Alors ? il croasse.
— La petite n’est plus là !
— Bouge pas…
Il ajuste un coup de tartine dans les côtelettes du clochard, de quoi lui faire sauter trois cerceaux d’un coup.
Sam Gratt pousse un cri de douleur et bat des stores. Un nouveau shoot du Gros achève de le dévaper.
— Ben quoi, fils de pute ! grommelle-t-il. En v’là des façons…
— La petite fille ? Où est la petite fille ! hurlé-je en le soulevant par le col ? Qu’en as-tu fait, misérable déchet ?
— But… (dit-il).
— Y a pas de but ! tranche Béru d’un troisième satonnage.
— Qu’est devenue l’enfant, goret putride ?
— Je… je sais pas. Elle est plus là ?
— Non, elle n’est plus là. Dis-moi ce que tu as fait d’elle avant que je ne réduise en purée !
— Oh quoi, le défoncez pas, dit une voix, c’t’un vieux cochon, mais il est gentil !
Nous levons les yeux. Allongée sur le faîte d’une armoire, Marie-Marie est là, qui nous considère d’un œil clignotant en bâillant comme une entrée de métro.
— Qu’est-ce tu fous là-haut, morpionne ? s’enquiert son tonton.
— Votre vieux piège à rat voulait se permettre des privations av’c moi, explique-t-elle. Vous pensez comment que je m’ai dégrouillée d’escalader l’armoire. Mémé m’avait bien prévenue : Quand un salingue cherchera à te faire du gringue, elle me disait, cours te filer à l’abri avant que ses choses se gâtent.
Elle brandit un gros tisonnier de cuivre ouvragé.
— Reusement que je m’étais munie de ça avant de grimper. Ah ! il a pas essayé longtemps de me déloger, le vieux pou ! Quèques coups sur la noix, ça lui a calmé la tendresse…
— Bougre de satyre ! gronde l’Hénorme. Mon ami San-A. t’évade et t’as rien de plus pressé, en remerciement, que de vouloir désaffleurer ma pupille. Allez, barre-toi, insuqué ! Va sous les bridges de la Tamise filtrer les pionardes de ton âge.
— Je voulais pas ennuyer, sanglote le débris, c’est la malédiction de ma vie, ce penchant que j’ai…
La godasse du Gros, un même fois appliquée dans sa partie pile, lui fait dévaler l’escadrin.
— T’aurais pas dû, reproche la compatissante Marie-Marie, c’t’un pauvre homme. Y me disait rien de bien méchant tu sais, et à mon avis, m’n’onc, y serait même moins dégueulasse que toi qu’est toujours à faire le mariolle devant la première vache en tablier que tu rencontres !
— C’est ici ? demandé-je à Molly.
— Oui.
Je vire sur la gauche. Le nom de la rue me fait tressaillir : Elephant Road.
Éléphant ! Je repasse en mémoire le curieux message trouvé chez Moïse Assombersaut et qui m’alerta au tout début de cette affaire.
« Un éléphant, ça trompe. »
Notez que, maintenant que la miss Molly Rex s’est allongée à propos du grand secret, sans trop de difficultés, je dois le dire : une nuit dans une baignoire portant conseil, plus rien ne m’étonne.
Ce grand secret des Nazis, mes petits, je peux d’ores et déjà vous dire qu’il va faire du bruit, non seulement dans le Landerneau, mais également dans le monde entier.
Quand la nouvelle sera connue, les messieurs dames journalistes pourront se remiser les explosions nucléaires, se carrer dans l’oigne la conquête de la lune, mettre dans les tartisses la vie privée de Liz Tailor, la misère du dollar, les flambées raciales et les conquêtes territoriales des capitalo-communistes.
Comme s’il suivait ma pensée, Bérurier murmure, à l’arrière :
— Ça va faire du bruit dans le Landerneau !
— La citation est de circonstance, Gros. Car elle est tirée, si ma mémoire est exacte, d’une pièce intitulée « les Héritiers », dans laquelle un valet la prononce après avoir appris qu’un officier porté disparu refait surface…
— Tu me les casses avec tes tartines littérateuses, c’est pas le moment ! bredouille l’Enflure. Tu y crois, à ce qu’elle nous a révélé, ta sauteuse ?
— On va voir.
— En tout cas, si c’est exaquete, je peux te dire que ça me fera quèque chose.
— À moi aussi, Gros.
— Pourquoi ? gazouille Marie-Marie, je la connais pas, moi, cette personne que vous causez…
Je n’ai pas le temps de l’affranchir. Molly vient de me presser le bras.
— Arrêtez, nous y sommes !
Le cœur battant, je lève les yeux sur un immeuble triste et sale. Malgré ma nuit blanche, je sens courir en moi une énergie toute neuve.
— Alors « il » est là ? murmuré-je.
— Oui.
Elle se voile la face.
— Comme j’ai honte de l’avoir trahi !
— Pas le moment, coupé-je. Les femmes sont faites pour ça, Molly. L’histoire universelle n’est constituée que des tueries des hommes et des trahisons des femelles ! Allez, go !
Nous nous engouffrons sous un porche qui malodore.
Au premier, elle désigne une porte.
— On doit frapper d’une façon particulière, je suppose ?
— Oui.
— Eh bien, qu’attendez-vous ?
Elle replie son index.
Toc toc… toc toc toc toc… Toc !
Un moment s’écoule. Enfin un garçon blond et blême, aux yeux bleus pleins de fièvre, vient délourder. Il regarde Molly, la reconnaît et ouvre en grand. Il salue à l’hitlérienne, mais sans un mot. Machinalement, Molly répond par un même geste de la main.
Nous entrons.
L’appartement est modeste, presque minable. Les murs pisseux racontent des déboires ancestraux. Le freluquet blafard a rajusté la chaîne de la lourde. Il nous introduit dans une salle à manger lugubre où il n’y a personne.
Il appuie sur la moulure du mur. Aussitôt, un vaisselier pivote, nous découvrant un vaste local d’un luxe délirant. Tout brille, tout est opulent : les meubles, les tentures, les objets délicats.
Un vieillard à la mine soufrée est assis dans un grand fauteuil, une peau de zibeline sur les jambes.
En le voyant, Molly éclate en sanglots :
— Heil Hitler ! larmoie-t-elle.
Le vieillard redresse la tête et lève lentement son bras décharné.
— Heil moi-même, chevrote-t-il EN ANGLAIS !
Un fabuleux silence succède à cet échange.
Nous nous défrimons, le vioque et moi. Il s’étonne de pas recevoir nos saluts à nous. Moi je le détaille à m’en désorbiter les lampions. Oui, c’est sûrement lui. Ce nez pointu, ce regard fixe d’illuminé… La mèche est blanche, mais elle est ; ainsi que la moustache fameuse. Adolf Hitler, mes bons biquets. Le Führer ! Il a quatre-vingts carats, mais on le reconnaît parfaitement sous sa couche d’années.
— Qui êtes-vous ? gutturale-t-il.
— Police !
Le jeunet couleur de navet blanc s’écroule. Il allait sauter sur une arme, mais le prompt Béru vient de l’étaler d’une manchette à la nuque.
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