Je lui désigne la timide, mais ravissante personne qui continue de le suivre docilement.
— Espèce de sale menteur, avec un petit sujet comme celui-ci, vous ne deviez plus penser à grand-chose !
Il se marre comme une apple-pie entamée.
Je n’ai pas le cœur de l’imiter. Je voudrais Béru, moi ! Mon Béru !
Qu’en ont-ils fait, ces sagouins !
On a beau les questionner, leurs réponses sont unanimes : Béru leur a glissé des mains.
De guerre lasse, je quitte les grands magasins Masturb’s, car c’est d’eux qu’il s’agissait, et l’enquête devait démonter postérieurement que leur P.D.G., un certain Henry Eight dirigeait la section londonienne des nazis britanoches.
Le jour se lève sur la capitale anglaise, gris et poisseux. Les loupiotes des lampadaires pâlissent. La rue a presque repris sa physionomie normale. Il ne reste que deux employés de la voierie occupés à balayer les débris de verre sur la chaussée. Je longe la vaste bâtisse, ravagé par l’absence du Gros. Faut que je me dégauchisse un bahut. À cette heure ça représente une royale performance.
Mais que se passe-t-il ? Là-bas, devant l’entrée principale des grands magasins, à nouveau la foule. Elle se coagule, se triture. Cinquante personnes, puis soixante-trois, puis quatre-vingt-quatre et demie (il y a un cul-de-jatte matinal dans le Lot-et-Garonne) sont sur le point de se chicorner pour voir quelque chose.
Mon instinct me virgule un cigare allumé dans le prosibus. San-A. bondit, le cœur tortillé par un pressentiment.
Je me coule dans la mêlée, jouant des pieds et des coudes, malmenant tout un chacun pour pouvoir accéder au premier rang d’orchestre.
Et que découvré-je alors ?
Attendez : d’abord vous situer le décor. En ce moment, chez Masturb’s ils font une campagne publicitaire pour leur sanitaire. À l’intérieur de la grande porte tambour, la noye ils placent un petit complexe représentant une salle d’eau.
Assis, dos à nous, sur la cuvette des cagoinces, le futal tombé, la limouille haut-remontée, Béru souscrit à des exigences intestinales, sans se gaffer qu’il est en vitrine, le Gueux ! Isolé par les épaisses portes vitrées, il ne perçoit pas le grand murmure de la populace en délire. Nous le regardons, mourant de rire, se débloquer la boyasse, puis cueillir un paquet de faf-à-train plus épais que l’annuaire des téléphones pour se torchonner le baignouzoff, longuement, feuille après feuille.
L’opération accomplie, le Mastar veut actionner la chasse d’eau, mais, naturellement aucune trombe ne vient balayer ses détritus, vu que le sanitaire n’est là que pour la montre.
Irrité, il se retourne afin de filer des coups de poing déclencheurs de cataractes dans la chasse d’eau récalcitrante.
Ce n’est qu’à sa troisième tentative qu’il décèle un mouvement ondulatoire vers le fond de sa salle de bain illusoire. Lui qui avait pris, dans l’obscurité, la vitrine pour une glace, il demeure abruti de surprise, son gros bide poilu pointé dans notre direction.
Enfin il réalise l’incongru de sa position. Son premier réflexe n’est pas de pudeur, mais de rogne. Flamberge au ventre, il se rue dans notre direction, réussit un pas, culbute à cause de son bénard baissé et s’écroule dans une grande apothéose de faïence concassée.
Bravo, Béru !
C’est mieux que le cinéma muet. Décidément, tu te surpasses.
CHAPITRE XVI
QUATRE PAS DANS LE PASSÉ
Dans le taxi qui nous trimbale à Chelsea, le Gravos se met à jour d’explicances.
— J’ai z’eu un fion terrible, Mec, lors de ma sortie intrépide…
— Raconte…
— Pendant qu’ils défouraillaient à outrance sur mon mannequin à roulettes, mécolle j’ai renversé un comptoir plein de mignons pingouins marcheurs. Ces gentils petits loufiats se sont mis à vadrouiller dans les travées, si bien que les gestapistes ont effacé un gros moment d’indécision. Ça trottinait de partout dans mon coin de magasin. Pendant ce temps, l’Alexandre-Benoît gerbait en direction d’un grand présentoir où qu’y avait un avion de tourisme en devantrine. Un petit zinc jaune, tu l’as pas aperçu ?
— Tu sais, j’ai pas eu l’opportunité [31] Vachement marqué par la forme anglaise, maintenant, le San-A. !
de musarder à tous les rayons.
— Ce zoziau, continue le Mastar, était partiellement caché par un décor de contre-plaqué représentant un arrêt au drome. Ça m’a donné le temps de grimper dans le coucou sans être retapissé. Au passage j’ai chouravé le bonnet d’aviateur d’un mannequin placé dans le décor. Je m’en ai chaussé la tête et je suis resté immobile sur le siège du pilote, avec un grand sourire glandu, comme si je préconiserais à outrance les joies de la crobatie aryenne. Ces tordus draguaient avec tellement de fureur qu’ils sont passés devant l’avion sans me voir… Ensuite, poursuit-il, j’ai entendu ton chprouf, là-haut, et je m’ai dit qu’il restait plus qu’à attendre. Alors je m’ai glissé dans le fond de la carlingue et je m’ai endormi vu que j’étais drôlement vanné.
Il ajoute :
— C’est un peu d’embarras castriste qui m’a réveillé, vu que, soit dit entre nous, j’accommode mal la bouffe anglaise. Le reste, tu la connais ?
— Je la connais, pouffé-je en ramassant le Daily Mail du jour oublié dans le bahut par un client matinal.
Ma photo s’étale en première page.
L’évadé de Swell-the-Children ! Vivement que la prochaine édition me réhabilite. J’ai pas la vocation pour jouer les rôles de malfrat en cavale.
— C’est toi, là ? remarque le Déféqueur public.
— C’est moi.
— T’as l’air d’un convive en rupture de chaise [32] Sans engagement de notre part, nous croyons pouvoir vous traduire cette phrase sibylline, par « Convict en rupture de banc ».
récite Béru en proie à des réminiscences.
« Qu’est-ce qu’ils bonnissent à ton sujet ?
Je parcours l’article d’un œil blasé.
— Pff, ils racontent mon évasion…
— On ne cause pas de mézigue ? espère l’immonde ; ça serait joyce de rapporter à ma Berthy un baveux d’ici avec mon blaze écrit en angliche.
— Non, on ne parle pas de toi, Gros. Par contre, le vieux Sam a droit à un petit digest de son curriculum…
Mon sourire s’étiole, puis fait place à un spasme.
— Oh, bon Dieu !
— Quoi t’est-ce que ? s’inquiète Dulardon.
Je fais coulisser la vitre de séparation isolant le driveur de ses passagers.
— Vite ! Vite ! supplié-je, appuyez au maxi, vous aurez un pourboire princier.
— Mais qu’est-ce qui te prend ? rogne Béru, pourquoi tu te mets à engueuler le chauffeur ?
— Je l’engueule pas, je lui dis d’aller plus vite ! « Tu sais pourquoi le vieux Sam Gratt se faisait de la taule ?
— Vol de clapiers, ivresse publique et tapage nocturne ? récite mon aminche, à l’estimation, vu la morpho du personnage.
— Des clous, Gros. Attentat à la pudeur ! Il a essayé de s’embourber une fillette. Il a déjà été condamné trois fois pour ça !
Béru rigole à plein râtelier.
— Ô le vieux salingue, on dirait pas à le voir. Il ressemble plus à un épouvantail qu’à… Nom de Dieu ! Marie-Marie ! rugit-il.
— Eh oui, Marie-Marie, v’là le gentleman à qui tu l’as confiée, espèce de parrainticide !
— Je pouvais pas me gaffer d’une chose pareille, San-A. Il a l’air d’un bon-grand-père clodo, Sam. Je te jure bien que s’il a fait cette abomination je lui découpe les clochettes avec un ciseau de brodeuse.
Le bahuman vire sur les rachot de pou (pardon, sur les chapeaux de roue) et enquille Chelsea Manrea Road à une allure jamais égalée.
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