— Et une fois à Londres ?
— On s’annonce pour dégauchir une lourde défoncée. J’entre, une chouette môme était dans la chambre à téléphoner. Elle racontait ce qui venait de s’opérer, comme quoi un dénommé Black Handwith était venu te cueillir comme une rose pour t’emmener au « Centre ».
— Comment as-tu pigé ce qu’elle disait, tu ne comprends pas l’anglais ?
— Primo, je cause l’anglais, proteste le Polyglotte. Deuxio, Sam nous accompagnait, je t’ai dit, et il a su m’espliquer par la suite ce dont au sujet de quoi il était question.
« Tu m’aurais vu bondir sur la gredin, à peine elle eusse raccroché. Je me sentais en verge, comme on dit [29] Béru veut dire « en verve », vous avez rectifié.
.
« Ah ! m’a pas fallu longtemps pour lui faire cracher l’adresse de ce fameux Centre. Dès lors, je l’ai ligoté et mis dans la baignoire et je me suis rabattu ici. J’ai fait trois fois le tour du paquet de maisons avant de pouvoir entrer ; tu sais qu’il est plus grand que le château de Versailles, ce magasin ? À la fin, j’ai trouvé une porte pas trop farouche et j’ai pu venir t’interpréter mon petit numéro de Cul-Bidon [30] De même il parle ici de Cupidon.
avec mon arc.
— Et Marie-Marie ?
— Toujours chez le journalisse, mon pote. Bon, à présent qu’on a repris not’ souffle et dégrossi un peu tes lecteurs, si on passait à un autre genre d’exercice ?
— Lequel ?
— N’importe. On va pas attendre que ces messieurs nous piègent comme des rats-mulots ?
Il hasarde un bout de bouille prudent hors de notre réduit (grand) Breton. Précipitamment il retire son chef.
— Je viens de les retapisser, ils procèdent en techniciens. Une vraie battue. Ils sont partis des quat’ bouts et ils purgent rayon par rayon…
— Il faudrait que nous puissions gagner le premier étage, Gros.
— À cause d’à cause ?
— À partir du premier, les vitres n’ont plus de rideau de fer. Il suffirait qu’on en casse une pour donner l’alerte à l’extérieur.
Bérurier se cueille délicatement un poil du nez et l’arrache d’un coup sec. Du dos de la main, il essuie le pleur occasionné par cette ablation. Chez lui cette épilation est l’indice d’une farouche détermination.
— J’ai trouvé, dit-il.
Ce disant, il décroche silencieusement de son support un rouleau de ruban servant à confectionner les paxons.
— Qu’est-ce que tu vas faire ?
— Les rassembler sur la droite pendant que tu gerberas par la gauche, Mec !
— Tu es fou !
— T’aimes mieux qu’on se laisse arquepincer comme deux cavillons. Quitte à me faire perforer la paillasse, je préfère que ça soye en tentant quèque chose. Reste bien planquousé ici en attendant le passage de la brigade sauvage.
Il noue l’extrémité du ruban aux jambes d’un mannequin monté sur roulettes. Ce mannequin représente un bel homme, bien découplé : mon genre, quoi !
— Tchao ! me dit Pépère. Et il se met à ramper dans la travée en déroulant le ruban.
CHAPITRE XV
BÉRU, IN EXTENSO
Je ne sais pas s’il a déjà vu des courses de lévriers, le Dodu, bien que la levrette n’ait pas de secrets for him. Toujours est-il que son plan d’action est délibérément inspiré des cynodromes.
Quand il est au bout de son rouleau de ruban, il commence à haler le mannequin. Le gus de cire décarre en souplesse sur ses roulettes de caoutchouc. J’espère que tout va bien haler, dirait Breffort. Illico des valdas commencent à plouf-ploufer dans le dos du camarade en imper. Je vois l’impact (de Varsovie) des balles sur la gabardine beige. La grande porcif de plomb, mes drôles. Un gus qui effacerait cette série pour de bon aurait les soufflets déguisés en arènes de Nîmes.
Les mecs en battue, leur premier réflexe c’est de défourailler. C’est seulement ensuite qu’ils commencent à courir. Lorsque la rafale cesse, c’est la méchante ruée vociférante. Une quinzaine de cinoqués me déferlent devant le pif. Je perçois du remue-ménage à l’autre extrémité du magasin. Le haut-parleur reprend ses exhortations.
« Emparez-vous d’eux vivants, si possible. » Je ne sais pas ce qu’il maquille, Béru, dans son secteur, mais j’ai idée qu’il a dû recommencer à bousculer les comptoirs. Un torrent de trucs ronds se répandent sur le parquet ciré. Bon, et si j’opérais à mon tour ? Chaque seconde compte car nous n’allons pas pouvoir soutenir ce siège longtemps encore.
Je quitte silencieusement ma taupinière… La voie est libre sur la droite. Je trottine comme un lapereau dans la rosée du morninge. Le monumental escadrin qui drive sur les étages est à deux pas, seulement le gravir équivaudrait à m’installer sur un piédestal pour envoyer des baisers à ces pommes. Aussi le contourné-je afin d’aller regarder ailleurs, non pas si j’y suis, mais s’il existe un moyen d’accès plus discret.
Gros chançard, je le repère. L’escalier roulant ! À cette heure nuiteuse il ne roule pas, mais je m’en tamponne. Il est étroit, et les deux parois qui le bordent constituent un abri sûr. Les défourailleurs ont repris leur canardage. Les bastos étouffées à leur déboulé me rappellent le bruit de la farine de lin en train de bouillir.
Quand j’étais chiare, M’man me drapait de cataplasmes étouffants à la première reniflade ou au premier toussotement. J’avais beau me gaffer, me démorver en douce ou déguiser ma toux en rire, elle repérait directo les symptômes, Félicie.
« Antoine, elle disait, soucieuse, tu me fais un rhume. Il faut le soigner avant que qu’il ne te tombe sur la poitrine. » En attendant c’était sa farine brûlante qui me tombait sur la cage à éponges. Ça piquait vachement. Je bramais comme un sauvage et cette substance mollasse que je sentais palpiter à travers le linge qui l’enveloppait me filait mal au cœur.
J’escalade l’escalator (et à travers). Ouf, me voici au first étage. Ici c’est le calme et le repos. L’endroit n’est éclairé que par les lumières d’une grande rue dans ses parties nord et ouest. C’est donc par là qu’il va falloir se manifester.
Je fonce vers les immenses glaces isoplanes. Derrière, c’est London, la nuit. Des taxis des noctambules, des poulagas déambulent d’une démarche nonchalante, une vitre me sépare d’eux, c’est-à-dire du salut. Mais quelle vitre, mes amis ! Pour la briser il faudrait un marteau-piqueur, et encore, je doute…
Je cherche du contondant autour de moi. Je suis au rayon des sports. J’avise une haltère. Elle n’est pas très lourde, mais elle doit tout de même peser une demi-stone, soit trois bons kilogrammes, comme on dit dans les pays civilisés.
Je l’assure dans mes mains. Je me place à trois mètres de la vitre et je l’y propulse de toutes mes forces. Que croyez-vous qu’il arrivât ? L’haltère me rebondit au pif. J’ai juste le temps de faire un saut de côté pour ne pas la déguster toute crue. Le choc a produit un grand baôum vibrant. Probable que les nazis d’en bas l’ont perçu. Me voilà marron. À moins que mon cerveau inventif ne trouve une solution.
M’efforçant au calme, je file des coups de périscope désespérés alentour, sondant la pénombre dans l’espoir d’y découvrir quelque chose susceptible de me tirer du merdier. Si au moins ils vendaient des mitrailleuses lourdes dans ce magasin ! Mon regard caressant tombe en arrêt sur une théorie de motocyclettes rangées comme à la parade gendarmière au rayon suivant. Les rosbifs, faut admettre, s’ils sont zéro question de la tortore, pour ce qui est du motocycle on n’a encore jamais trouvé leur pareil.
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