Elle a dû lire ça dans un bouquin de M me Christie.
— Au fait, vous avez raison, approuvé-je en jetant le flingue sur un canapé, mes poings et ma vaste intelligence me suffisent.
Je roule les manches de ma limace et fais jouer mes pectoraux. La mise en condition, c’est tout le secret de l’athlète. Molly me regarde gymnastiquer complaisamment.
— Vous savez, darling, me dit-elle, quand je vous regarde vivre je finis par me dire que vous êtes probablement innocent, en effet…
Je laisse retomber le rideau de la chambre.
— Vous pouvez rallumer, mon cœur : c’est lui et il est seul.
Effectivement, je viens de voir radiner Hébull-Degohom au volant de sa vieille Morgan. Il a remisé son teuf-teuf derrière la bagnole d’Harryclube et, sans l’ombre d’une hésitation, a traversé la rue pour pénétrer dans la maison (en anglais : in the house).
— Alors c’est bien compris : vous m’attendez ici en écoutant la radio, hé ?
— Promis, répond-elle en m’envoyant un baiser.
— Et plus nous ferons du chahut, plus vous montez le son ?
— Comptez sur moi, chéri.
Driiiing !
La sonnerie de la lourde se plante comme une fléchette dans le silence de l’appartement.
Molly appuie sur le contact du poste à transistor. Aussitôt, une musique endiablée retentit. Satisfait, je passe dans la partie studio et me dirige vers la porte.
CHAPITRE XII
LE VENT TOURNE
Je crois pas qu’on puisse neutraliser un gus plus vite ! D’accord, l’élément de surprise joue en ma faveur, mais tout de même… En moins de dix secondes j’ai délourdé, chopé le petit têtard aux revers, donné une secousse au veston pour lui emprisonner les deux bras, filé un coup de boule entre ses yeux et un coup de genou dans les régions moelleuses, je l’ai balancé dans un fauteuil, et j’ai refermé la porte à clé. Qui dit mieux ? Vous pouvez essayer sur votre belle-doche, lorsqu’elle viendra en visite chez vous. Si vous parvenez à l’usiner selon le procès suce ci-dessus en moins de temps, je vous paie une croisière en fusée spatiale.
Dodelinant et sanguinolent, le petit homme me regarde d’un œil désemparé à travers des épaisseurs de brume.
— Pour un entraîneur, vous n’êtes pas tellement entraîné, plaisanté-je en posant le pied sur l’accoudoir de son fauteuil.
Je palpe ses fouilles d’une main rapide : il n’a pas d’autre arme qu’un cure-pipe.
— Le jour où vous recenserez les grosses surprises de votre vie, je suis prêt à parier que celle-ci figurera en bonne place, non ?
Il ne répond pas. À croire que ma brève séance l’a déguisé en crétin à part entière.
Je biche un flacon de scotch sur un bar roulant et lui en verse une copieuse rasade.
— Tenez, petite fripe, gobez cette potion, elle vous redonnera du tonus.
Il avale l’alcool sans même s’apercevoir que son pif tuméfié raisiné dans le godet.
— On peut discuter, maintenant ? lui de-mandé-je.
Il a une petite contraction du visage dont l’interprétation est assez lâche. Elle peut aussi bien signifier son accord que son désaccord. Je lui file une tarte monumentale, style Béru, qui ferait glavioter ses défenses à un éléphant.
— Un simple acompte sur la raclée qui t’attend au cas où tu ergoterais, déclaré-je [21] Vous m’objecterez que, lui parlant anglais, je ne peux le tutoyer. Je vous répondrai (car je suis poli) que je lui dis « vous » en pensant « tu ». Or, l’intention vaut l’action, n’est-ce pas ?
. Je veux à mes questions des réponses claires et précises.
O.K. jockey ?
Il grommelle un truc inaudible, mais sur le mode rouscailleur. Décidément, y’a des petits récalcitrants qu’on doit mettre au pli avant de s’en servir.
Mister Hébull-Degohom (quel blaze, je vous jure !) a droit à mon badaboum des grandes occasions. La super-purée de marrons ! Le feu d’artifice du gnon ! Le Niagara de la décoction. Tout à la manchette. Vous verriez votre San-A. dans ses exercices, mes aminches, que de la fumée sortirait par la bouche d’aération de votre slip. Vzaoum ! Floc !
Je le taille en pièces. On commence par la petite monnaie, on continue par les grosses coupures. Ses oreilles se déjantent, son nez s’accordéone, ses dents se déchaussent comme au seuil d’une mosquée, sa mâchoire prend de la gîte, ses os mosaïquent. Il se ratatine dans son fauteuil tel le sanglier forcé dans sa soue. Il exhale des :
— Non, sir, je vous prie, arrêtez, par pitié…
Mais je continue de le mener à bien. Je le veux vaincu, soumis, réduit (quitte à ce que ce soit en bouillie). Lorsque je le sens dans les faubourgs de la syncope, j’interromps le massacre.
— On cause, petit gars ?
— Oui, monsieur.
— Et tu promets de tout dire ?
— Tout ce que je sais, oui, monsieur.
— Ah ! la bonne heure ! Toi, t’es comme les tambours : faut te cogner dessus pour que tu raisonnes !
Il sourit [22] Sans raison particulière, car l’astuce en question n’est pas très valable en anglais.
.
— Je suis à votre disposition, sir.
J’allume un cigare. Il en possédait un plein coffret d’acajou, feu Rot Harryclube. Des Rafael Gonzales, s’il vous plaît.
— J’ai tellement de choses à te demander que je ne sais par quoi commencer, avoué-je en lui soufflant au visage un rond de fumée plus parfait que l’anneau de Saturne. Aussi on va plonger, hein ? En vrac, ça permettra toujours d’assainir la situation. Qui a tué le lord-maire de Swell-the-Children ?
— Rot, dit-il.
— Où ?
— À l’hôtel de La Livre dévaluée et de la Licorne d’abondance.
— Drôle d’endroit pour buter le premier magistrat de la ville !
Hébull-Degohom a un haussement d’épaules qui le fait grimacer de douleur.
— On tue comme on peut ! philosophe-t-il.
Belles paroles, certes, mais sur lesquelles toutefois je ne m’attarde pas.
— À quel moment l’a-t-on tué ?
— Une heure avant que vous ne débarquiez à l’hôtel.
— Pourquoi ?
— Parce qu’il avait tout découvert et qu’il s’apprêtait à appeler le Yard. Rot a perdu la tête et a tiré sur Frottfor F-E Relhuyr [23] L’état-civil anglais, franchement, c’est quèque chose !
.
Le lord-maire avait tout découvert. Tout découvert quoi ? Je m’écrase un peu pour l’instant, car dans ce genre d’interrogatoire, il convient de donner au questionné l’impression qu’on en sait plus que lui et qu’on le cuisine uniquement pour tester sa franchise.
— Et le corps ?
— Rot l’a mis dans sa malle…
— Et puis ?
— Je suis allé en prendre livraison avec Teddy.
— Le valet de chambre des Frottfor ?
— Valet de chambre si on veut, ricane l’asticot d’Ascot.
— C’est-à-dire ?
— Disons que la femme du lord-maire a des bontés pour lui.
— Avec la bouille qu’elle trimballe, c’est plutôt lui qui en a pour elle ! Où avez-vous coltiné ce digne homme ?
— Dans une dépendance du château, en attendant…
— En attendant quoi ?
— Eh ben, qu’on trouve une solution…
— Et vous l’avez trouvée en ma personne ?
— Oui : une idée de Rot et du père Assofy. On leur a objecté que c’était drôlement gonflé, mais ils ont insisté. Faut avouer aussi qu’on vous prenait pour un autre…
J’ai un trait de lumière.
— Pour le journaliste français ?
— Oui. Ils ont cru que vous étiez venu en Angleterre afin de les faire chanter, vous aussi !
Moi aussi !
Donc, d’autres Français ont fait chanter ces étranges personnages. Mon petit doigt me chuchote les noms du sieur Assombersaut et de sa dentiste.
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