Bon, grand temps de soigner ces pauvres gens. Je tubophone à la police.
— Moi je ne veux pas aller à l’hôpital ! déclare tout net le petit Léopold.
— Ça te dirait que je te paie un chocolat et des gâteaux ?
— Oui, monsieur, je préfère !
Les gosses, ça ne regarde pas la vie de la même manière que les adultes. Ils la prennent comme une aventure, un peu. Ainsi, lui, il vient de vivre un film. Le danger, il n’y a pas cru ; c’était « pour de rire ». Et même au final, quand de Sotto a charcuté le comte et puis qu’il a égorgé l’inspecteur et s’est laissé enfin dessouder par lui, même au sein de cette sanglante tragédie, il continuait de percevoir cette hécatombe comme un épisode violent de feuilleton télé.
La pâtisserie-salon de thé Branlmann nous accueille, superbe dans ses marbres blonds et ses banquettes recouvertes de velours saumon. Les serveuses y sont choucardes, fringuées Musset, avec des rires avenants et des culs plus avenants encore.
Léo se sélectionne une montagne pas dégueu de friandises où dominent l’éclair chocolat et la tartelette aux fraises des bois. Son Ovomaltine onctueuse lui fait déjà une moustache de grand-père.
— T’es un vrai petit julot, Léopold, je lui assure. T’as peur de rien, hein ?
— Si, dit-il, la bouche pleine, j’avais peur de mon père, mais maintenant que je l’ai vu chier dans son froc, il me fait marrer !
Il ajoute après un rot de bon ton, mal étouffé par le dos de sa main :
— Dis donc, tu t’es pointé pile, toi !
— Je pense, oui, mais pourquoi dis-tu ça ?
— Parce que comme le vieux lui avait dit tout ce qu’il voulait savoir, il allait plus avoir besoin de nous, tu comprends ? Et alors, tu parles qu’il nous aurait tués !
Pas mal déduit pour un morveux, non ? Heureusement que l’avenir appartient à la jeunesse. Elle est tellement moins conne que nous !
— Qu’est-ce que tu entends par : « le vieux lui avait dit tout ce qu’il voulait savoir » ?
— Il lui a posé des chiées de questions, quoi.
— Tu saurais me répéter lesquelles et les réponses que le vieux lui a faites ?
— Ben, évidemment, tu me prends pour un Belge ! Mais soye gentil : laisse-moi d’abord finir mon goûter : mon vieux m’interdit de parler la bouche pleine, ce con de pétochard !
Au lieu des U.S.A., je communiquerais avec le 22 à Asnières, la liaison ne serait pas plus claire. Tu jurerais qu’il est perché sur mon épaule, le fameux Ron Silvertown, et qu’on se jaspine dans le tuyau des feuilles, les deux.
Pour l’obtenir, crois-moi (mais si tu ne veux pas me croire, t’es libre, j’en ferai pas une coqueluche), ça n’a pas été fastoche. Y a fallu passer par haut lieu. Ni plus ni moins que le grand dirluche, dans un premier temps avant-coureur, pour prévenir que j’allais appeler depuis Zurich. Ça chiait des ronds carrés, je t’avertis. Les « injoignables », moi, je m’en sers comme cuvette de gogues. Alors, à présent que je le tiens, l’Immense, le Sur-puissant, le Parrain des Parrains, je prends mes aises. La voix glacée et pourtant marquée de petits relents latins, peu compatibles avec le blaze typiquement anglo-saxon, me demande ce que je désire.
— Vous annoncer deux nouvelles, monsieur Silvertown : une mauvaise et une bonne.
— L’on m’informe que vous êtes un officier de police, interrompt mon terlocuchose sans s’émouvoir.
— Exact, mais mon Service est spécial, très très spécial. Je dispose de pouvoirs et de libertés qui ne sont généralement pas tolérés de la part de mes confrères.
— Intéressant.
— Vous allez voir à quel point !
Un silence. Il ne me questionnera plus. Bras de fer silencieux. A qui cédera, à qui prendra l’initiative de la converse. Comme les courses de poursuite dans les vélodromes : c’est celui qui démarre en premier qui a la plus mauvaise position. Alors on s’observe.
On perçoit le petit signal sonore ponctuant les unités téléphoniques. Comme c’est mégnace l’appeleur, je suis en train de me taxer à mort. Bon, je vais quand même pas attendre la Saint-Ducon, qui tombe le jour de ta fête pour enchaîner.
— Bien, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps qu’on me dit sans prix, monsieur Silvertown, aussi vais-je commencer par la mauvaise nouvelle : votre envoyé, le dénommé de Sotto est mort après avoir perpétré un vrai massacre en Suisse et dans la région Rhône-Alpes, l’une des plus belles de France.
Lui, polaire :
— J’ignore de qui et de quoi vous parlez.
— Peut-être parce que l’individu en question disposait d’autant d’identités qu’une vedette de cinéma dispose de toilettes. D’après mes derniers renseignements, il s’appellerait en réalité Stephen Black.
— Connais pas.
— Un blond, crépu, au regard de serpent.
— Je vous répète que je ne le connais pas. Ensuite ?
— J’arrive à la bonne nouvelle : j’ai en ma possession votre statue.
Là, malgré son silence, je sens que je viens de dégoupiller ma grenade. Car le silence est si entier que, pour l’obtenir, il a dû retiendre son souffle, comme dirait le cher Béru. Cette fois, ce sera à lui de piquer la décarrade. Moi, je crèverai d’inanition dans cette cabine, mais je ne prononcerai plus une syllabe avant lui.
Je ne morfonds pas lulure.
— Quelle statue ?
— Vous savez bien, monsieur Silvertown. Trois hommes ont péri en hélicoptère en voulant la récupérer. D’ailleurs, même si le pilote ne s’était pas foutu comme un con dans les câbles de cette ligne à haute tension, ils ne l’auraient pas trouvée. On vous avait gentiment induit en erreur, monsieur Silvertown : ce n’était pas le vieux Dugadin qui vous l’avait volée, mais l’autre, le majordome italien. Pendant son jour de congé, il s’était déguisé en grand blessé pour revenir dans la maison perpétrer son larcin. Ses propres employés ne l’avaient pas reconnu, tant il possédait l’art du grimage. Il voulait, tout en se disculpant du fait de son absence, jeter le doute sur celui, qui, quelques jours auparavant, avait déjà porté le chapeau dans l’affaire du carnet rouge, par fausse fille interposée.
Re-silence intégral. Pas désagréable de tenir la dragée haute à un vilain de cette envergure.
J’attends. L’homme ne parle plus.
— Bon, soupiré-je, j’ai l’impression que mon histoire ne vous intéresse pas. En ce cas vous savez ce que je vais faire, monsieur Silvertown ? Je vais raccrocher et brûler cette statue. Sans doute est-ce dommage de sacrifier cet objet d’un gothique aussi rare, mais je sens qu’elle doit disparaître par le feu. Pardon de vous avoir importuné.
— Non !!!!!!!
Les cris désespérés sont les cris du pied-bot, comme l’a écrit Prévert (à moins que ce ne soit son cousin Marcel).
Cette clameur est une abdication totale. L’immense refus d’une mère dont on s’apprête à égorger l’enfant. Il y a je ne sais quoi de pathétique dans ce « non » immense comme le roulement du tonnerre en montagne.
Conduire ou choisir : il faut boire ! déclare la Prévention routière, toujours pleine de sollicitude. Je choisis d’en finir.
— Silvertown, vous êtes une fabuleuse ordure ! Un grand seigneur du crime, mais je vous tiens ! Vous avez fait tuer mon oncle Thomas Dugadin dans des circonstances atroces. Votre deuxième tueur a grièvement blessé mes meilleurs inspecteurs. Il m’a sérieusement blessé moi-même. Il a salement tué une demi-douzaine de personnes avec des méthodes dont la barbarie flanquerait la gerbe à des tortionnaires cambodgiens. Il a semé l’horreur sur son passage, humiliant et terrorisant femmes et enfants. Seulement c’est terminé. Vous êtes en mon pouvoir. J’ai votre destin entre mes mains. Et il est inutile de me dépêcher un nouvel ange de la mort : ce n’est plus un simple quidam qui détient la statuette, mais une institution composée de milliers de flics. Préparez-vous à suivre mes directives. Je vous appellerai lorsque je le jugerai utile pour vous les donner ! Salut !
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