Si je n’étais pas allongé, j’écoperais de ses olives. L’une d’elles, d’ailleurs cigogne la pointe de ma godasse.
Un clic ! m’annonce que son barillet est vide. A mézigue, donc, pour le ballet final. Cette garcerie de flèche bloque mes mouvements. Pas mèche de chiquer les fringants avec cet acier fiché dans le burlingue. Bon, ben, on va s’arranger autrement, Armand !
Je bande mon corps (qui ne rechigne jamais à accomplir ce genre de performance). Je prends appui sur mon occiput, histoire de relever la tête et de pouvoir regarder en arrière. Buffalo Bill !
« Braoum oum oum oum ! » « Braoum oum oum oum ! » « Braoum oum oum oum ! » « Braoum oum oum oum ! » Tout le potage ! Posément. Grandes manœuvres de printemps.
L’homme a valdingué en arrière. J’ai vu gicler du sang de sa personne. De sa gueule, peut-être bien ? Et d’ailleurs, aussi. De partout, quoi ! Passoire !
Maintenant, va falloir continuer à exister, les gars ! Pas fastoche après une telle nuit. Me mettre sur mon séant, avec la flèche qui me pendouille sur le devant en arrachant ma bidoche à cause de son poids, voilà qui implique un colossal effort.
J’y parviens pourtant. Puissance de la volonté. Première pause : assis. Deuxième : debout ! Au secours, maman ! Voilà ! J’ai l’air finaud, moi, avec ce truc planté dans la poitrine. Je ressemble à un cadran solaire ! Que faire ? L’arracher ? Trop dangereux. Ça nécessite une intervention. J’ai pas envie de me dépoter une livre de barbaque ! Alors, je soutiens la flèche de la main gauche et me mets en marche.
Le doc a été planté salement : en pleine gorge. Carotide sectionnée. Le couteau a été lancé avec une telle violence qu’il a la tronche à demi décollée. Pour lui, c’est finitos, en plein. Le cœur grondant, je m’approche de Béru. Il se tient tout bizarrement, l’Enflure. Tu croirais une pauvresse sous le porche d’une église, kif les gravures du siècle dernier dans La Petite Illustration .
Il respire encore, par légères saccades. Sa tête est appuyée contre le perron de ciment. Lui, il a morflé le ya entre les épaules. Il paraît si démuni, si plus rien, mon gros Béru, que j’en ai l’âme recroquevillée comme tes panards dans des pompes vernies trop petites de trois pointures. Il ressemble à un énorme petit garçon abandonné.
— Tu m’entends, Alexandre-Benoît ?
Un léger râle me répond.
— Tiens bon, mon mec, je vais appeler du secours. Economise-toi à bloc !
Je regarde alentour pour voir dans quel état se trouve de Sotto le tueur. Je ne découvre qu’une flaque de sang. Et puis une traînée rouge s’en allant en direction de la grille. Eh, dis voir, c’est Raspoutine, ce type ! Faut quoi pour le mettre aux absents ? Lui tirer dessus à bout portant avec un missile (dominicil) terre-terre ?
J’aimerais filer sa piste. Il n’a pu aller loin. Truffé de plomb comme le voici, il doit agoniser un peu plus loin, dans les fougères fricheuses.
Du secours ! Vite ! J’en ai promis à Bérurier. Moi-même j’en ai grand besoin. Alors je me rabats sur la villa. Elle a fatalement le bigophone : un médecin, tu penses ! Je place péniblement un nouveau chargeur dans mon casse-noix et je craque la serrure de deux balles. Pas le temps de m’atteler au jeu des sept erreurs avec mon sésame. Je ne fais plus dans la dentelle, le temps presse !
— C’est grave, docteur ?
— La moindre émotion peut vous tuer !
Poum !
— C’est grave, docteur ?
Un jeune interne brun corbeau, avec des sourcils en astrakan et des yeux à transpercer n’importe qui, voire n’importe quoi, pis qu’un laser.
Cette question s’applique à Béru, naturellement. Il me fait deux trous dans le front avec son regard, puis deux autres dans les joues, toujours par le même procédé, et enfin m’énuclée (je préfère être énucléé qu’écouillé).
— Très ! me répond-il.
— Il peut s’en tirer ?
— Improbable !
Tu crois qu’il va me faire un cours sur la blessure de Pépère ? Zob ! Il est vanné, le zélé. Deux heures d’opération en pleine noye, avec une équipe réduite. C’est pas du saint-honoré d’Eylau à la crème !
J’essaie d’avaler ma salive. Non, ça ne passe pas : j’ai du coton hydrophile au fond de la gargue. Je me contente d’un acquiescement confus. Juste signifier que j’ai entendu et pris note.
Le principal Monin, qui se tient à mon chevet, reste silencieux jusqu’à ce que l’interne se soit cassé. Puis il murmure avec compassion :
— Vous l’aimiez beaucoup, n’est-ce pas ?
Ce temps passé me flagelle jusqu’à l’os.
— Je l’aime ! rectifié-je. Je vais vous demander une faveur, monsieur le principal.
— Tout ce que vous voudrez, San-Antonio.
— L’épouse de mon confrère, l’inspecteur Blanc, se trouve à son chevet à l’hôpital de Chambéry. Je voudrais que vous demandiez à vos homologues savoyards de la faire amener d’urgence au chevet de Bérurier. Cette nuit même, en lui précisant que celui-ci a essuyé la même blessure que Jérémie.
Monin fait taire sa surprise et donne des instructions à son chauffeur qui l’attend dans le couloir. Ensuite il revient à mon auprès.
— Et vous, San-Antonio, comment vous sentez-vous ?
— Je souffre pas mal, merci, mais cela va aller. Le temps de me remettre des vapes consécutives à la petite intervention et je reprendrai la chasse au fauve.
Le principal hoche la tête.
— Nous ne parvenons pas à comprendre comment cet homme a pu se défiler après avoir perdu une telle quantité de sang. Du perron de la villa à votre voiture, il s’est vidé d’un bon litre, selon mes hommes.
— Un hyper-coriace, soupiré-je. Mais je l’aurai. Vous avez diffusé le signalement de ma tire et son numéro minéralogique ?
— Cela vient d’être fait. Avant midi nous aurons fatalement des nouvelles, car les Maserati blanches ne sont pas légion.
— Il le sait, je murmure. Aussi ne va-t-il pas garder ma bagnole très longtemps. A moins bien sûr qu’il ne soit au bout du rouleau.
* * *
Stephen Black abaissa le miroir du rétroviseur intérieur pour se regarder. Il se jugea épouvantable. Il était livide et ensanglanté à cause de sa blessure au cuir chevelu. Une balle l’avait atteint au-dessus de l’oreille gauche, sans toutefois briser le temporal, mais la plaie était laide et n’en finissait pas de saigner.
Black coupa le moteur et se laissa aller dans le cuir souple de son siège, la nuque contre l’appui-tête. Il avait le corps en feu et la fièvre montait en lui. Il fit le bilan de ses blessures : balle à la tête, donc, balle dans l’épaule, balle dans la hanche, plus quelques vilaines zébrures à la cuisse et au ventre. Il s’était laissé arroser d’importance pour la première fois de sa vie. Et le comble c’est qu’il avait dû lâcher « ses positions » et s’enfuir comme un bleu ! Les papiers de service trouvés dans la boîte à gants lui avaient révélé que ce somptueux véhicule appartenait à un flic français et il enrageait. Ce salaud de commissaire San-Antonio l’avait contraint à fuir ! Il tenait absolument à le crever, car il ne doutait pas un instant qu’il se tirerait de ce mauvais pas. Jusqu’ici, Stephen Black avait toujours bénéficié d’une bonne étoile et il continuait de croire en elle. Il sentait que ses blessures étaient graves mais non mortelles. En assistant au guet-apens du docteur Vagiturne, il avait cru que le médecin assassin comptait se débarrasser de lui en douceur ; pas un instant il n’avait pensé à une intervention policière.
Il ferma les yeux, tentant de dominer sa souffrance. Il devait dresser un plan d’action pendant qu’il disposait encore de sa lucidité et de quelque énergie. Black savait que le mal gagnerait peu à peu du terrain et finirait par le neutraliser. Si on ne le soignait pas énergiquement, il allait devenir une loque hagarde. Mais où trouver refuge ? Retourner à Lyon pour « exploiter » sa seconde adresse ? Trop risqué. On devait commencer à rechercher cette foutue voiture italienne, si aisément repérable.
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