Et je lui narre mon intervention téléphonique, depuis la Porsche, pour paniquer Cecilia et ses invités.
— Des forces nocives sont en préparation contre nous, Rouillé, mises en route par ma pomme. Crever l’abcès, you see ?
Il apprécie, en amateur éclairé.
— Bien cadré, commissaire. Je crois que vous avez agi sagement.
— Tu devrais essayer d’accélérer un brin, mon grand, ou alors me passer le manche.
Il freine et stoppe sur le bas-côté de la route.
— J’opte pour la deuxième solution, commissaire, je n’ai jamais été un fou du volant.
Il nous faut carillonner longtemps à la grille du château pour qu’on nous ouvre.
Et c’est Béruroche qui le fait, en cul de chemise (de jour), la biroute dépassant le pan antérieur d’une vingtaine de centimètres (je rappelle ce fait hystéro-historique que Sa Majesté est chibrée à quarante centimètres virgule deux ! Bonjour les dégâts !).
Comme c’est un homme de principes, il a coiffé son incroyable bitos pour venir déponner, à croire que, pour lui, le siège de la vraie nudité c’est son crâne en déplumance.
— Ah ! c’est vous, les mecs ! J’avais beau roupiller, j’commençais à me faire du mouron.
— Personne n’est venu vérifier le micro en rideau ?
— Non, monseigneur, personne !
— Où est Betty ?
— J’y ai cloqué un p’tit coup de guiseau, pour dire d’ lui dérivatifier l’ chagrin. Là, elle s’est laissé emplâtrer princesse avec plaisir. Ou alors elle m’a fait semblanc impec, et j’y en demande pas plus.
— D’où vient qu’elle n’ait pas répondu à mes coups de sonnette ?
— L’était vannée, la pauvrette. Son deuil plus mon braque, dans un’ même journée, c’est beaucoup ! Et pis faut dire qu’ dans ma carrée, on entend moins bien la sonnerie qu’ dans la sienne. Une servante, surtout noirpiote, sitôt qu’ t’ y changes les habitudes, elle est perdue. Et alors, Mathias, où c’est-il qu’ t’étais passé, mon beau blond ? Tu laisses morfondir les potes, qu’on s’ demande si t’ serait pas survenu une couillerie quéconque.
— Nous te la baillerons plus tard, Gros, tranché-je à l’aide de mon couteau suisse multilames sans lequel l’armée helvétique ne serait pas ce qu’elle est. Saboule-toi d’urgence, on se taille. Nous deux, pendant ce temps, nous allons alerter Jérémie.
— Y a l’ feu ? plaisante Sa Majesté.
— Pas encore, mais la torche chargée de le bouter est déjà allumée. Allons, fissa, Alexandre-B. !
Nous grimpons jusqu’au dernier étage, là que se trouve le studio du vilain Boggy. Il est resté des reliquats d’homme de la brousse, chez M. Blanc. Il nous suffit de tricoter la lourde trois secondes pour qu’elle s’entrouvre de trois centimètres (pas plus car elle comporte une chaîne de sécurité).
— Qu’est-ce que c’est ? demande le grand Noir avec des chaussettes blanches.
— Sana et Mathias !
Il nous accueille, frais comme la tulipe noire, chère à Alexandre Dumas d’artimon.
— Tu ne dormais pas, Jérémie ?
— Non, j’étais en train de lire un bouquin vachement passionnant sur les guerres puniques. Dommage qu’il soit écrit en anglais, certains mots m’échappent !
Et dire que quand je l’ai découvert, ce mâchuré, il était balayeur dans le sixième !
— Tu l’as déniché où, ce book ?
— Ici. La bibliothèque de Boggy ne ressemble pas à celle de son patron, sans vouloir te vexer.
— Tu sais que Liloine est décédé ?
— Première nouvelle. Ce con de Bérurier massacre Boggy puis me dit de le veiller et me laisse royalement quimper. Je suis fâché pour toi, Antoine. Je sais que tu aimais beaucoup ton copain. Qu’est-ce que tu comptes faire ?
— Le venger, non ?
— Ça me paraît évident. L’enquête avance ?
— Elle vole ! Marc a été victime d’un complot. Je n’ai pas encore découvert la fameuse Térésa qui lui a inoculé le Sida, mais cela ne saurait tarder, on te racontera tout par le menu en cours de route, pour le moment il s’agit de filer car il va probablement se produire un coup de chien.
M. Blanc se frotte le bout du tarin.
— Ça m’embête d’abandonner Boggy, tu sais que ton gros con l’a complètement démoli sous prétexte qu’il le taquinait avec un poignard. Il est totalement à la masse maintenant.
— Inconscient ?
— Plutôt amnésique. Faut dire que le Goret lui a placé un atout à la tempe qui aurait fait un trou dans la coque d’un cuirassé. Venez le voir, on dirait qu’il gâtouille.
On pénètre dans la partie dorme du studio et, fectivement, nous découvrons Boggy avachi sur des coussins, la tête pendante, le regard vague. Sa bouche entrouverte laisse dégouliner un filet de bave et, par instants, il émet des sons nasaux comme s’il entendait fredonner quelque chose.
— Tu crois qu’il peut marcher ? demandé-je à l’infirmier occasionnel.
— A condition qu’on le soutienne.
— Bon, prenez-le chacun par une aile, Mathias et toi, et descendez-le chez Liloine, on va le confier à Betty en lui disant qu’on l’a trouvé dans cet état et qu’elle mande un toubib.
Nous avions laissé la porte de l’appartement incomplètement fermée pour ne pas avoir à carillonner derechef. Je la pousse en grand et la tiens ouverte afin de permettre au trio d’entrer. Voici mes deux potes et le délabré dans le hall. Mes aminches déposent Boggy dans un fauteuil et se redressent pour souffler car ils ont dû pratiquement le coltiner, l’autre n’étant plus foutu d’avancer un pied devant l’autre et de réitérer l’opération jusqu’à ce qu’il soit parvenu à destination.
Et voilà que M. Blanc étend ses deux bras, tel le Christ du Corcovado qui domine l’abbé de Rio.
— Un instant, chuchote-t-il.
Je l’interroge du regard et de la voix :
— Quoi donc ?
Il renifle puissamment, ce qui ne lui est pas difficile avec le double pavillon d’hélicon qui lui sert de nez.
— Ça sent bizarre, déclare-t-il.
Nous deux, Mathias et ma pomme, on pompe l’air à tout-va, de nos chétives narines occidentales. Franchement, j’ai beau humer, je ne perçois rien de particulier.
— Tu te berlures, fais-je dans un souffle.
— Chez vous autres, cons de Blancs, c’est l’atrophie généralisée, murmure le Noirpiot.
Et moi de rebuffer, du tact au talc :
— C’est vrai, le développement de notre intellect nous a fait perdre l’instinct animal. Aide-nous, ça sent quoi, grand fauve des savanes ?
Il n’hésite pas :
— Le Chinois, dit-il.
Alors là, je ricane plus.
— T’es certain ?
Le regard de mépris dont il m’accable est la plus véhémente des réponses.
Je tire mon feu et m’avance vers la porte du salon. Je tends l’oreille : rien !
Alors, comme dans les commandos de choc qui sont les premiers à investir une agglomération supposée évacuée, je fais signe à mes deux flics de se garer des taches. Ensuite je m’agenouille sur la banquette et j’ouvre à la volée. Puis, illico je plonge sur le côté. Et bien m’en prend. Le crachotement d’un Raskolnikov éclate. Râpeux, sec, malgré le silencieux qui essaie de la débruyanter.
Une salve de bastos perfore des boiseries, des meubles et la carcasse du malheureux Boggy que mes amis avaient imprudemment déposé face à l’entrée du salon.
Dis donc, cette fois c’est du sérieux ! La grande guerre, avec l’artillerie de campagne ! J’ai mon feu en pogne et j’attends la suite des opérations d’un cœur trempé, en héros quotidien que je suis.
Un léger bruit de lèvres me fait tourner la tête. De l’autre côté du chambranle, Mathias me fait signe de ne pas broncher. Toujours le magicien de service, cézigus. Il me montre une espèce d’ampoule en forme de minuscule grenade. Il en casse une extrémité et la propulse dans la grande pièce.
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