Le sommet de l’horreur, c’est qu’on a placé la tête sur le ventre du mort, en biais. Une tête de con à cheveux poivre et salt aux yeux exorbités et déserts. Aux plus grandes heures du Grand-Guignol, y a jamais eu un tel spectacle de super-gala. Le travail a été rondement mené. Et — tout étant relatif —, proprement exécuté. La section est presque aussi nette que si on avait décollé Harry Cower (car, tu l’as bien compris déjà, gros malin, c’est de lui qu’il est question !) à la guillotine. L’instrument du crime n’est plus sur les lieux, ce devait être de l’outil de haute précision. Chirurgical.
Je me tourne vers la pauvre veuvasse. Pas étonnant que cette vision sauvage l’ait plongée en une espèce de catalepsie verticale. Si je la touchais, je suis certain qu’elle basculerait. Alors je me plante entre la table et elle et, comme le font les hypnotiseurs pour réveiller leurs sujets, je place ma main à dix centimètres de son pif de cantinière et fais claquer mes doigts.
L’effet finit par se faire sentir. Elle a un léger sursaut, un papillotement de paupières. Un beau sourire retrousse sa bouche de pompeuse.
— Hello, darling ! qu’elle me fait, d’une voix harassée mais joyeuse pourtant.
En plein sirop, mémère. Le court-jus intégral. Tous ses plombs ont sauté en même temps ; c’est le schwartz total sous ses tifs.
J’en profite pour la saisir aux épaules et l’obliger de décrire un cent quatre-vingts degrés. A présent que la voilà tournée vers l’entrée, je lui biche le bras, direction l’escadrin. Nous montons, bras dessus, bras dessous, comme un couple qui vient de s’engouffrer dans un hôtel de passe pour la tringlée de l’après-midi (la meilleure !).
Elle semble avoir banni de son esprit la vision du bas. Lorsque trop c’est trop, le cerveau te propose la nuit de l’oubli. Elle fredonne Strangers in the Night en faisant comme ça : « Babibobabi babinaèère ». Ça ajoute au terrific du moment.
De mon côté, je phosphore comme toute la rédaction du New York Times un soir de bombe atomique soviétique sur Washington. Dis voir, il s’en passe des choses excessives dans ce pays ! Les Mystères de Nouille York , j’intitulerai mon book quand je l’aurai fini. Quoique, à bien réfléchir, c’est pas suffisamment racoleur. Ça fait trop « Pléiade » ; y en a qui clameront comme quoi je m’académise. Peut-être que je l’appellerai « La tour Eiffel dans le train », plutôt. Ça reste sobre, mais ça implique un petit côté dégueulasse qui va avec mon style. Ne jamais faillir à sa légende, sinon tu déçois tout le monde : tes amis comme tes ennemis.
Voilà ce à quoi je pense en aidant mémère à monter son escadrin. Lorsque nous sommes parvenus at the first floor , elle va droit à une porte qui est celle de sa chambre. Elle entre, se retourne et me dit de « cominer, baby ». Ce que je.
La voici qui ôte son manteau, le jette sur un fauteuil et fait une grâce d’effeuilleuse, les bras levés comme si elle allait s’étirer la flemme, mais juste elle joue des coudes kif un pingouin faisant croire qu’il sait voler.
Elle s’assied au bord de son grand plumzing recouvert d’un couvre-lit en peau de loup, croise les jambes pour me déballer deux Bayonnes qu’on devine roses à souhait sous les bas fumés (car la chérie porte des bas). Sa robe noire, semée de tulipes jaunes à queues vertes, contient mal ses planturades débordantes. Faudrait une armure dans son cas, ou au moins ces bons vieux corsets de nos arrière-grands-mères à laçage en quinconce. Quand elles allaient à la pointe, ces chéries, leurs amants devaient compter une plombe de mieux pour réharnacher médème. C’est un luxe plus possible de nos jours où on va brosser en laissant sa voiture en double file avec un écriteau bidon sur le tableau de bord marqué « Livraisons ».
Elle tapote le pelage du loup pour m’inviter à la rejoindre. Si le loup vivait encore, elle se montrerait moins familière avec lui ! Je m’approche.
— Tu es très beau, darling, darling ! elle me dit.
Puis du temps qu’elle a la bouche ouverte, elle agite sa langue de veau par la fenêtre, bien me fasciner de son agilité.
— Ecoutez, mistress Cower, il serait souhaitable que nous parlions sérieusement…
Mais non, elle m’écoute pas. De ses mains boudinées, elle remonte sa jupe trop étroite. Je découvre alors ma folie mignonne : deux jarretelles ensorceleuses agrémentées de petites fleurettes mauves sur fond blanc. J’ai idée que dans le privé, elle doit pas se priver lulure, la veuve ! C’est la grande fantasia à toute heure, pour elle ! La furia cosaque dans la plaine du Don ! La charge des cuirassiers à Reichshoffen ! Plein les galoches ! Telle est sa devise.
Et moi, tandis qu’elle se met à me caresser l’entrejambe comme une maquerelle détimidant un collégien puceau, je pense au gonzier en bas, sur sa belle table de marbre rouge. Avec sa trombine sur l’estomac ! Et tout son raisin sur le tapis chinois.
Non, mais y a de la barbarie aux Amériques, mon vieux ! On te fout la tour Eiffel dans le prosibus ! On te sectionne le cigare ! Ils sont mauvais, dans leur genre, les forbans U.S.
Passant outre l’indignation qu’engendrent de tels actes, je tisse ma toile de déductions. Si on a décapsulé Harry Cower aujourd’hui, c’est parce qu’on savait que j’allais lui rendre visite ou du moins s’en doutait-on. Qui était au courant de notre rendez-vous ? Lui et moi. Et peut-être d’autres personnes à qui il l’aurait dit, comme sa gravosse par exemple. Et qui s’en doutait ? Marcus, Cecilia, probablement Boggy. Le pauvre Marcus, lui, n’a pu en parler qu’aux trois personnes qui l’approchent : Boggy, Duvalier, la femme de chambre. Alors ?
Les choses se cachent derrière les choses, plus que jamais. Mais je trouverai. Tu me fais confiance ? Bon ! Surtout ne regarde pas la fin de cette œuvre, tu perdrais l’effet de surprise ! Ou alors va lire en douce et dis-moi comment ça finit, ça m’arrangerait à ce point du récit ! Mais qu’est-ce qu’elle branle, mammy Cower, pendant que je pense ? Tu sais quoi ? Popaul ! V’là qu’elle te me l’a dégainé du fourreau. Alors là, j’en suis scié ! Tout à mes profondes réflexions, je ne me gaffais de rien. Et puis je remonte et qu’est-ce que je vois ? Mélanie qui me chipolate le nougat ! En plein deuil ! Tu sais qu’il n’y a que dans mes books qu’on voit ça ? Tu peux tout reprendre depuis les incunables, si tu me montres une scène identique je te paie un voyage à Venise en compagnie de Michel Debré ! Enfin, écoute, c’est un peu raide, non ? Comment ? Ça l’est beaucoup ! Oui, je vois, c’est ma nature, que veux-tu, je vais pas me refaire juste au moment où je suis au point, non ?
Elle m’a capturé par surprise, la blondinette à bajoues. Tu sais qu’elles sont un brin salaces, ces Amerloques ! Sitôt que j’en approche une, c’est la grande scène du viol par toute la troupe ! T’as vu, hier, la môme Melody, en pleine nymphomanie ; d’ensuite sa petite moman que j’ai échappé de justesse. Et maintenant, la pauvre mère Cower qui se rappelle plus ce qu’on a bricolé à son vieux et qui me prend pour un Casanova de passage !
Je la laisse se divertir un peu, sachant que plus dure sera la chute. Toujours mon altruisme latent qui se manifeste, même dans les cas désespérés. Quand t’as l’esprit de dévouement, tu existes pour les autres, mon gars. Cette pauvre dame, ce qu’elle vient de vivre, c’est comme si le Pacific Express, au lieu de rentrer en gare, lui était rentré dans le baquet. Sa raison a volé en éclats. Un traumatisme pareil, elle s’en remettra jamais. La tête de ton bonhomme sectionnée et déposée sur son bide, tu peux pas supporter, quand bien même tu lui fais du contrecarre à longueur de mariage.
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