Et voilà ma brave doudoune qui me goinfre, que ça lui fait les joues d’Armstrong interprétant « Sainte Louise Blouse » ! Et puis, experte malgré son bon point, comme dirait le Mammouth, qui s’entreprend le décarpillage de printemps avec sa main disponible. La tirette Eclair dans le dossard. Le trémoussement pour l’éviction de sa robe. Une mue de boa qu’aurait bouffé un hippopotame, j’assiste !
Non, mais tu sais que ça ne met pas de soutien-gorge, ces tombereaux ? Cinquante bougies ! Des loloches pareils à deux sacs de patates ! et ça se promène avec les glandes en liberté ! Faut oser ! C’est du culot ! La témérité — ou l’inconscience — ricaine, quoi ! Et ça tient à peu près d’aplomb, bongu de bois ! Vingt kilos chacun, j’estime.
Oh ! c’est pas la fermeté absolue, hein ! T’as des affaissements, de-ci, de-là, des fluidités sur les pourtours, des choses qui flanchent, d’autres qui déclarent forfait, certaines qui penchent et des velléités de reddition sur les arrières. Mais quoi, merde, à cinquante balais, elle continue de faire le coup de polochon avec, mémère ! Et vaillamment, espère ! L’est encore capable d’assurer les beaux soirs d’un boxon de sous-préfecture, quand la négresse est en vacances et que l’Alsacienne a ses histoires. Faut avoir une pétroleuse de ce tonneau dans ses effectifs quand on se lance dans le pain de fesses. Avec une telle virago, t’es jamais pris au dépourvu. C’est le S.V.P. du prose, la vioque ! Pas d’esbroufe, de tintamarre, mais du solide. Sa prestation, y a rien à redire. T’embarques, tu traverses, t’arrives à bon port.
La manière qu’elle m’investit, me dévêt, me fornique, me dégoupille ! Bon, je suis pas bégueule. Je me rends. Qu’elle vive un dernier beau moment avant de réapprendre la dure réalité, Maâme Cower. Alors je lui vote les crédits pour une troussée du style bistrotière de campagne. A l’énergie, la bonne volonté. Pas d’éclats ; du nerf ! Une bonne ardeur pour parcours moyen. Sans embûches. Franco ! Hardi !
Elle participe en toute frénésie, Mammie. Feux de la Saint-Jean ! Sunset Boulevard ! Eté indien ! Sa première tournée d’adieu. Ce n’est qu’un au revoir, mes brothers ! Tringlette is good for me !
N’ensuite de quoi, après quinze ou vingt soupirs évoquant une machine haut le pied, elle trottine menu jusqu’à sa salle de bains. Moi je lui fais un bout de conduite, puis tandis qu’elle pratique sa chevauchée héroïque, je me remets dans mes fringues et m’esbignes.
Tu veux que je fasse quoi d’autre ? Que j’alerte les draupers d’ici ? Ceci cela ? Va-t’en leur expliquer pourquoi j’ai poireauté des temps infinis devant la crèche des Cower. Pourquoi j’y suis entré par mes fractions (Béru dixit) ; pourquoi, enfin, j’ai embourbé la fraîche veuve au lieu de lancer les signaux de détresse. Faut pas tenter le diable, mon drôle. Je suis suffisamment mouillé comme ça ! Ma conduite est inexplicable. Considérée depuis l’extérieur, n’importe qui perd son latin à tenter de la comprendre. Ou plutôt, il n’essaie même pas. Il voit le louche d’emblée.
Un dernier examen de mister Harry Cower coupé en deux dans son salon. Ils se sont mis à plusieurs pour obtenir ce tableau champêtre. Deux qui le maintiennent sur la table de marbre et un troisième qui lui sectionne la tronche. Mon côté enquêteur reprenant le dessus, je ne peux m’empêcher de mater attentivement les lieux. Quand tu tranches une gorge, un flot de sang jaillit. L’exécuteur des basses œuvres a dû se protéger à l’aide d’une blouse, voire d’un drap. Comme je n’avise rien de pareil dans la pièce, je conclus que le meurtrier a emporté tous ses accessoires.
Prenant d’infinies précautions pour ne pas marcher dans le sang répandu, je contourne la table afin de mater le corps de l’autre côté. Harry a perdu une godasse à l’autre bout du salon, près d’un fauteuil. Curieux ! A moins que… Je me penche afin de lui mater la tronche, derrière. Pour cela, je dois la bouger et je te recommande cette sensation rare, l’aminche : remuer une tête humaine décollée en l’empoignant par les tifs. J’aperçois une tuméfiance importante à la base du crâne. Compris ! Cower a été assommé dans un fauteuil. Son agresseur a traîné le corps jusqu’à la table. Cheminement faisant, la victime a perdu l’un de ses mocassins.
Le meurtrier devait avoir un sac, ou un attaché-case. Il a enfilé une blouse protectrice, a sorti un couteau électrique à découper le gigot, l’a branché et a fait son atroce turbin. Et je vais même plus loin : il avait, à toutes fins utiles, apporté un prolongateur de courant pour le cas (qui s’est d’ailleurs présenté) où la prise serait trop éloignée. On aperçoit un sillon qui serpente dans la flaque de sang. M’est avis que l’homme qui a accompli ça est un technicien.
Il y a tueur et tueur. Rien de commun entre vider un chargeur dans la frite d’un mec et la lui découper.
— Hello, darling darling ! Where are you ? crie ma brave matrone depuis le premier.
Je m’abstiens de répondre, gagne la porte sur la pointe des salsifis et sors.
Je suis surpris de trouver une grande enveloppe blanche posée sur la dernière marche du perron. Chose abasourdissante, mon nom s’étale dessus, en caractères d’imprimerie, mais tracé au Stabilo Boss orange.
Je l’empare, évidemment (chacouilles [4] Je raffole de ce calembour. Il me rappelle un prof de maths que j’ai eu et qui, à chaque phrase, usait de l’adverbe évidemment. Toute la classe ajoutait « chacouilles ». Ça faisait manche à couilles, tu comprends ? Non, tu comprends pas ? Bon, tant pis, ça ne fait rien. San-A .
).
A l’intérieur, je trouve une photo polaroïd qui me représente en train de bricoler la serrure de la porte au moyen de mon sésame. C’est pris d’une certaine distance, mais je suis très reconnaissable tout de même et, une fois agrandi, ce cliché, c’est du gâteau !
Une feuille de bloc pliée en quatre. Je la développe fébrilement. Le message est bref, je te le livre in extenso :
Tu as compris ? Alors retourne vite en France, connard !
CHAPITRE QUATRE
Encore plus formidable que le précédent qui pourtant, hein, gagnerait à être lu avec un whisky on the rocks à portée de main, voire, pour les émotifs, une boîte de « Sympathyl ». Se lave à trente degrés, comme les lainages. A consommer avant le 31-12-1999, car ce produit ne traverse pas les siècles.
Mon premier réflexe, instinctif puisque réflexe, est de sonder la rue.
Déserte. Je cherche d’où a été prise la photo et je repère zézaiement l’endroit : un perron assez conséquent appuyé à un immeuble qui part en sucette. Il en est des fagots à N.Y. T’as les fiers gratte-ciel, et puis des maisons foutriqueuses, en briques sales appauvries de ferrailles rouillées. Rien n’exprime davantage l’abandon, la mort des choses que le fer rouillé. Dans les ruines de pierres ou de briques, un espoir demeure. La ruine de métal est lugubre, morte définitivement.
Je glisse photo et message dans ma fouille pour gagner ce qui fut, j’en suis extrêmement convaincu, la planque du photographe. Quelque chose me dit que mes fesses et gestes continuent d’être observés à la loupe ou, du moins, à la jumelle. A tout instant je me volte-face, mais derrière, c’est aussi innocent que devant. Alors je presse le pas, because la pauvre mammie Cower ne tardera pas à retrouver son vieux julot morcelé et qu’elle aura fatalement une grosse crise à la clé avant lulure.
Te dire ma perspicacité, Dorothée !
Derrière le perron pourri tu sais ce que je trouve ? Le cliché du polaroïd ayant impressionné la photo ! Tout noir et luisant, dans une flaque de soleil, avec sa languette verte.
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