— Je crois bien que Marc Liloine m’a parlé de vous ! assure la jeune femme.
— Vraiment ?
— Vous êtes policier à Paris, non ?
— En effet.
— Et il vous a demandé de venir pour tenter de retrouver les misérables qui…
Elle se tait. Me porte un toast muet auquel je réponds pareillement.
— Les misérables qui ont fait quoi, madame Heurff ?
— Vous le savez bien, Marc a dû vous le dire, fatalement.
Marc ? Holà ! qu’est-ce à dire ! On est familier avec le patronat dans cette contrée, mon vieux ! A moins que mon pote ne m’ait chambré et qu’il ait bel et bien filé son coup de guiseau à la mère Heurff ? Mais pourquoi m’aurait-il berluré, le Dauphinois ? On s’est jamais caché nos calçades géantes et emplâtrades express, les deux. Pas non plus qu’on se vante, mais on ne se fait pas mystère de nos prouesses équestres, quoi !
— J’aimerais que vous me les répétiez, madame Heurff.
Elle boit délicatement et sourit.
— Pour vérifier ce que je sais et ce que j’ignore, monsieur le détective ? Rassurez-vous, Marc Liloine m’a, je pense, tout dit : cette bonne fortune d’un soir qui lui inocule le Sida, et ces gens qui, dans le parking, lui infligent le plus odieux, le plus déshonorant des sévices.
— Très bien, en ce cas nous allons pouvoir parler net, madame Heurff.
— Appelez-moi Cecilia.
Ils sont marrants, ces Etats-Uniens : cette marotte, à peine se sont-ils dit bonjour, de s’appeler par leur prénom. Qu’à quoi sert un patronyme, chez eux ? Juste pour partir guerroyer au Vietnam et écrire ça, au retour, sur les pierres du cimetière d’Arlington ?
Elle possède un regard vachetement intelligent, la mère. Qui devine tout. Je sens qu’une fois encore, mon pif ne m’a pas chambré et que j’ai bien fait de venir la voir en premier.
Sa fifille déboule de l’escadrin, calmée, branlée et saboulée à mort. Elle porte, en guise de jupe, une espèce d’abat-jour froncé, en taffetas bleu Nil et un bout de bustier noir pas plus large qu’une bande Velpeau (de chambre). Fardée pire qu’un masque de carnaval allemand, la voici peinte en guerre pour aller sauter sur des bites plus dociles que la mienne. Elle secoue un sac à main, genre aumônière à chaînette, tel un encensoir.
— Ciao ! qu’elle nous lance sans un regard.
Et puis elle ajoute un truc qui, selon moi, doit signifier « bonne bourre », mais l’américain c’est pas ma langue maternelle, Dieu merci, et certaines de ses subtilités m’échappent, faut pas m’en vouloir.
— Charmante jeune fille, dis-je à la maman, manière de lui faire plaisir pour pas chérot, car enfin, une botte de roses, voire de radis, la rendrait moins joyce et me coûterait de l’osier.
Contrairement à mes espérances, elle tord son nez, la Cecilia.
— Elle me donne beaucoup de soucis, soupire-t-elle.
Je m’abstiens de questionner, pressentant que si on aborde le délicat sujet, y aura séance de nuit à la Chambre. Néanmoins, elle ajoute :
— Il lui aura manqué un père.
— Vous êtes divorcée ?
— Non, mon mari est mort accidentellement alors que Melody avait cinq ans.
Bon, allez ! On va pas péter une pendule sur ses misères familiales, Cecilia ! Le refrain de sa goualante, je le sais par cœur et peux te le chanter a capella. Elle, accaparée par son job, négligeant de ce fait ses devoirs pédagogiques. Melody, livrée pieds et poings liés à elle-même. Pompant des pafs amis dès quinze ans, se sniffant à seize, partouzant à dix-sept. La tragédie des étangs modernes ! Et maintenant, indomptable, moulant des études sans pour autant travailler, envoyant maman chez Plumeau et ne rentrant qu’aux grises aurores, pleine d’alcool et de foutre. Pas rose, tout ça ! Le chemin des dépravations s’élargit, la pente fatale devient de plus en plus raide. Tout finira en clinique, en taule ou dans un claque sud-amerloque, selon les vacheries du hasard.
Un ange noir passe, avec un vol de chauves-souris.
Je me démuqueuse le conduit :
— Cecilia, j’aimerais que vous me donniez votre sentiment sur les agressions infâmes dont a été victime mon ami Marc.
La voilà qui s’arrache à ses propres déboires pour se pencher sur ceux de son patron.
— Voyez-vous, Antoine, je n’ai pas de « sentiment ».
— Voyons, asticoté-je, Marc a dû susciter une formidable haine pour subir une aussi formidable vengeance ! Le moins qu’on puisse dire, c’est que ses ennemis ont mis le paquet. Vous qui le côtoyez depuis des années et qui vivez une grande partie de sa vie, vous n’apercevez rien dans son passé, lointain ou récent, qui ait pu déclencher chez des gens un tel ressentiment ?
— Vous pensez bien que je me suis déjà posé ces questions, Antoine. Je n’ai trouvé aucune réponse.
Un silence suit. L’atmosphère est dodelinante, feutrée. Dommage qu’elle ait une grande fifille névropathe, Cecilia, sinon sa vie serait cool . Je pense aux simagrées de Melody, là-haut, dans sa piaule, et je me félicite à deux mains de ne lui avoir pas cédé. C’est un peu une sorte d’infirme, quelque part, cette môme ! Je contemple sa mère. Régime, gym, soins corporels. Pas empâtée, la maman. Sa chatte est-elle blonde comme celle de sa fille ? Il nous vient des bougrement sales pensées, nous autres, les jules. C’est plus fort que nous : elles s’imposent. Dans Quai des Brumes , Le Vigan dit : « Quand je vois un type qui se baigne, je pense à son cul ; à quoi bon lutter ? »
Tiens, pendant que j’écris, y a deux pigeons blancs sur un toit brûlant (tuiles romaines) ; le mâle est en train de penser au croupion de la pigeonne, la manière qu’il traîne de l’aile en lui tournant autour ! La nature, la nature, je te dis ! Et donc, Dieu, s’il y a Dieu ! J’en démordrai jamais, la tête entre les cuisses de Mme Thatcher !
Bon, alors, est-ce que les poils intimes de Cecilia sont blonds ? The question ! Je suis certain, cette femme, intelligente à ce point, je lui poserais la question, elle ne s’offusquerait pas. Elle a un regard à piger toutes les situasses. Tu veux parier ? Je me lance le défi.
— Dites-moi, Cecilia ?…
— Je vous écoute.
— Une simple parenthèse dans notre entretien. Vous me flanquerez à la porte si vous voulez. Votre toison pubienne est-elle blonde ?
Tu crois qu’elle va courir à la cuisine chercher son gaufrier dans le placard et me le tordre sur la tronche ?
— Depuis un instant, je sentais que vous aviez des idées paillardes, Antoine. Oui, je suis authentiquement blonde. D’autres questions ?
— Non, merci. Et pardon.
— Je n’ai rien à vous pardonner. De mon côté, je me demande si vous disposez d’un membre généreux. Je l’espère pour votre orgueil de mâle !
— Le Seigneur s’est montré bienveillant avec moi, Cecilia ; quelques dames pourraient vous le confirmer, enfin par quelques dames j’entends deux ou trois mille à vue de nœud.
Tu juges à quoi j’emploie mon temps, tandis que mon malheureux copain agonise en soupirant après la vengeance ! A papoter popotin avec une dame que je ne connais ni des lèvres ni des dents !
La honte, quoi ! Et ce bon Marcus qui me noie dans les dollars. Et les pieds nickelés qui m’attendent dehors à bord d’une Lincoln longue comme un porte-avions ! Tu sais que je débloque, moi ! J’ai les méninges qui patinent !
— Cecilia, vous avez la chatte blonde et moi un braque de cantonnier, d’accord, c’est chouette et réconfortant, mais ça ne fait pas progresser la recherche contre le Sida dont souffre notre ami. Travaillons ! Sans le savoir, vous détenez la solution.
— Croyez-vous ?
— Fa-ta-le-ment ! Les ennemis de Marc ont gravité autour de vous, ma chère. A nous de les identifier.
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