Mais pour l’instant, finito la grande vadrouille intersidérale. Ils sont intersidérés, les Ricains. Inquiets d’être amerloques, on dirait, tout à coup. Pris au dépourvu par leur yankerie. Ils y croyaient dur comme ma bite, quand je l’emmène promener avenue de ta raie culière, à leur suprématie, pensaient avoir atteint, par grâce du ciel et de nature, la plénitude absolue. Et que voilà qu’ils sont shootés de leurs expéditions guerrières, que leur dollar a mine de papier mâché coulapique, que leur SIDA propage, que leurs nègres supplantent, que leur navette ne navette plus. Sale temps pour les guêpes ! Gode save the kingburger !
Voilà que j’ai déliradé. C’est mes restes d’acné qui percent. Je presse : tchloc ! Ça part. Giclette foutreuse dans le lavabo de nos relations.
Le Grand Valdingue , j’en étais.
Une notion de l’horreur. Le noir, le monde, le vacarme, pestilence ! Tout cela réuni pour composer l’enfer. Pourquoi les individus puent-ils à ce point quand ils sont en groupe, bordel ? Ils se lavent pas, hein ? Ils sécrètent ! Leur sueur est insoutenable, pis que le trou de leur cul. La merde, on connaît : c’est la vie. Mais la sueur, c’est la rancerie, la décomposition, la mort !
Je suis happé par le monstrueux intestin. Je pars en boyauterie dans le gouffre noir zébré de lumières assassines. Lueurs laser comme coups de rasoir ! Aveugle, titubant, assommé de musique, je tente de me repérer. Doit bien y avoir un bar, quelque chose d’horizontal à quoi s’agripper ? Une zone de beuverie qu’on se tient debout ? Des grappes humaines sont vautrées sur des sièges rase-mottes, autour de tables rondes emboissonnées. Ça crie au lieu de causer. Ça hurle au lieu de rire. Ça s’entremêle, se compresse, se mélange, se transmet.
J’enjambe, je marche sur. Ceux que je foule s’en aperçoivent même pas. Profitant des éclairs insoutenables, je finis par me faire une idée de la topographie.
Vague, bien sûr. Celui qui aime les bains de foule, il peut venir faire la brasse coulée ! Bains de foule et bains d’obscurité, le super-pied géant pour les tordus ! Y a des couples qui se misent en sourdine. J’entredevine même un julot, avec une bite longue comme la rue de Vaugirard, en train de se monter les blancs en neige.
Tout au fond de ce bordel en délire, je crois distinguer une zone boréale. Le bar ! « Terre ! Terre ! » que clamait la vigie à Christophe (pas Lambert : Colomb !).
Gagner cette auge constitue une gageure. Rien de plus harassant que de se frayer passage à travers des corps, surtout lorsqu’ils sont vivants, grouillants, éperdus. L’alcool, la folie engendrée par la promiscuité et le vacarme, la schnouffe sous ses différentes formes, y compris celles qui sont odoriférantes, font de cette foule une hydre, comme n’aurait pas manqué de l’affirmer mon excellent camarade Hugo qui ne chipotait jamais sur l’épithète (épithète qu’il avait raison !).
Au bar, c’est presque plus pire qu’ailleurs. Les buveurs verticaux y sont stationnés sur plusieurs files. Que c’est à se demander comment les mains qui se hasardent à travers des hanches et des bras, parviennent à choper le verre de leur propriétaire ! J’observe un instant l’organisation du lieu. Le rade mesure au moins dix mètres centigrades de long et forme un îlot. Il a la forme d’un atoll. En son centre, y a des loufiats hâves, en tenue blanche brandebourrée. Espèces de zombies blasés, aux gestes automatiques ; soutiers d’un étrange vaisseau naviguant dans la nuit de l’espèce. Ils s’activent à des établis garnis de boutanches et de verrerie. Çà et là, un bac à plonge « tenu » par un Arbi nyctalope. C’est la même eau qui ressert. A la longue, elle est devenue un long drink , cette flotte ; une espèce de cocktail écœurant composé de fonds de verres.
Va falloir que je trouve un terlocuteur possible au milieu de cette fauverie. Mais comment stopper, ne fût-ce que pendant trente secondes Fahrenheit sur l’échelle de Richter, l’un de ces esclaves tournoyants ? Tout cela constitue une espèce de mécanisme implacable, qui emplit des godets, tape un ticket, sert la conso, ramasse du flouze, le porte en caisse et recommence, le tout sur un rythme de piston en culasse, de paf en fesses, de marteau en pilon !
Pourtant, mon choix finit par se porter sur le plus âgé des barmen , qui m’a l’air un peu chef sur les manches si j’en crois son surgalonnage. Il a le cheveu gris frisé, avec des favoris qui lui descendent jusqu’aux épaules. Second objectif : me porter au premier rang d’orchestre. Je joue des coudes, des pectoraux, voire de la tronche. Quand j’essuie une protestation, j’aboie dans le nez du mécontent : « De quoi, siouplaît » avec l’air d’un kamikaze au volant de sa charge, auquel un agent de police prétendrait faire tenir sa droite. Moi, avec mes tifs gominés rouge, ma boucle d’oreille et mon regard en pleine névrose insoignée, j’inspire une brusque timidité au protestaire. En un peu moins de pas longtemps, me voici accoudé au rade. Lorsque le loufiat convoité passe à ma portée, je balance ma paluchette et l’alpague par le bras. Le mec se dégage d’une secousse.
— Ça va pas ? il me demande.
— Ça ira mieux après deux minutes d’entretien avec toi, mec !
Il riposte, sans même s’arrêter, en hurlant pour se faire entendre :
— Si j’avais deux minutes, je causerais pas : j’irais chier, mon vieux. J’ai bouffé des moules pas franches du collier au dîner et mes tripes crient au secours !
Voilà qui est navrant, surtout pour son Eminence dont la nuit sera inexorable. Faut croire que j’ai du sang de lion dans les pipe-lines car me voilà qu’escalade le bar pour passer dans la partie service de l’atoll.
Les serveurs se mettent à renâcler.
— Hé ! Pas de ça, mon gars ! Sinon tu vas te faire vider !
— Avant que je sois dehors, le plancher sera tellement garni de ratiches que vous aurez l’impression de marcher dans un silo de riz.
Là-dessus, j’empoigne le prédéfécateur par les revers de son spencer (et non de son sphincter !) et lui crie dans une baffle (ce qui reste très confidentiel malgré le brouhaha) :
— Fais pas de pet, mec. Dans ton état ce serait lourd de conséquences. Je ne suis pas ce que tu crois. Dans ce bouic il y a des jeunots qui comptent parmi les habitués et qui se font appeler Fernando, Domino et La Raclette. Tu dois les connaître car ils fréquentent ici depuis longtemps et ils y séjournent jusqu’à la fermeture. Réponse ?
— Arrêtez de me pomper l’air, grogne l’homme aux favoris foisonneurs. Et ressortez du bar, vous gênez le service.
Je perçois une sonnerie de trident, comme dit Béru. Très vite, deux malabars en maillot de marin (ou de bagnard) rayé écartent la foule, soulèvent une tablette aménagée dans le plateau du comptoir et m’enjoignent de dégager.
J’obéis car une nouvelle idée forte me biche.
Les deux gorilles me poussent en direction de la sortie de secours dont la loupiote verdâtre se lit à peine dans les pénombres. Sitôt que nous parvenons devant l’huis, dans un lieu privilégié où il n’y a plus personne, je sors ma carte de police. Ils borgnotent pour en prendre connaissance, l’éclairage étant plutôt faiblard.
— Et alors ? me demande celui qui s’en est saisi. Ça te donne le droit de venir faire le cow-boy ici ?
Tranquillos, j’enfouille mon rectangle plastifié. Il n’est plus aussi magique qu’autrefois. De nos jours, un perdreau, ça fait ricaner, mais pas claquer des dents.
— Ecoutez, les gars, fais-je, dans un élan de conciliation qui attendrirait une bordure de trottoir, il se passe des choses pas belles et il faut rapidement que je mette la main sur trois de vos habitués. Pour cela j’ai besoin de la coopération du personnel.
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