Pauvre chatte surmenée une vie durant. Chatte en tas, tant de fois malmenée. Chatte à tout faire, héroïque par trop d’acceptations insensées. Chatte à caprices, jaunie sous le « harnois », chatte plus flétrie que chrysanthème d’après Toussaint, chatte qui s’est lentement défaite pour avoir trop servi, chatte de vieille pute qui n’aura connu des hommes que cette basse tige hasardeuse et péremptoire qui les conduit du délice au supplice, chatte de basses œuvres, plante animale obscure arrosée des pires sécrétions, pourquoi le besoin me vient-il de te saluer bas en cette heure dramatique ? Pourquoi un pleur me jaillit-il, tel du foutre vivace, à ta vue, ô chatte secourable et sans convictions ? Que le Seigneur qui sait tout et a tout voulu t’absolve et te bénisse, cher, cher vieux con !
Qui a dit « Amen » ?
Personne ?
Si : ma conscience, tu crois ? Oui, sans doute. Et la vieille pauvrette traumatisée par ces choses effarantes qui lui surviennent alors qu’elle est en fin de carrière, voire en proche fin de vie, la pauvrette flétrie, sentant le louche et l’âge venus, se met à chantonner comme pour conjurer le funeste présent si dur à assumer. Elle possède une voix de petite fille. C’est sa voix d’autrefois, d’avant la putardise, le chant aigrelet d’une époque uniquement réservée à l’aurore.
Elle fait, comme ça, en considérant la pointe de ses souliers de vénérable putain au pot défoncé :
— « Adieu l’hiver morose « Vive la rose « Allons, faucille en main « Au travail dès demain. »
Puis elle a un rire bafouillé, plein de gêne, un rire d’avaleuse de pipes et de bites dans le cul.
Elle regarde alentour, m’aperçoit, me sourit peureusement.
Ah ! la sainte femme, au dur parcours plein de boue et d’ornières.
Je lui rends son sourire ; pas à elle exactement, mais à la petite fille qu’elle fut et qui continue de veiller en elle, telle une lumière de tabernacle, malgré les coups de verges, les pompelards crapuleux, les complaisances honteuses.
Soudain, elle revient à l’abjecte réalité, regarde les morts, éclate en sanglots et s’allonge sur la moquette, l’avant-bras en guise d’oreiller.
Beau !
Et triste.
Ainsi va la vie, mon ami.
Quand nous revenons à la « maison mère » du bordel, moi soutenant la pauvre M meMina si durement éprouvée par ces assassinats. César Pinaud a terminé son cunnilingus et fume une Boyard pour se passer le goût du pain (un sexe de femme constituant sa nourriture de base).
Un sourire de miraculé lourdais ennoblit son visage en parchemin mâché. Il fredonne La Petite Tonkinoise, chanson rétro pour laquelle il a toujours eu un faible à cause, pensé-je, de sa connotation exotique.
— Tu tombes bien, me dit-il. Je méditais et j’aimerais t’entretenir du résultat de mes réflexions.
— C’est cela, déclaré-je en déposant dans un fauteuil cette partie de notre individu sans laquelle il n’existerait pas de jockey.
Et j’ajoute dans un long soupir, en comparaison duquel l’exhalaison d’un soufflet de forge n’est qu’une soufflade de bougie :
— Ça va me faire le plus grand bien d’entendre la voix de la raison.
— Une chose me hante, commence le patriarche, auquel ses pellicules composent un mantelet d’hermine, c’est l’évacuation des cadavres.
Tiens, tiens ! Toujours cette bonne vieille jugeote, La Pine.
Il poursuit :
— La rue est très animée, il y a une boîte de nuit presque en bas, des bars, une charcuterie italienne qui ne ferme jamais. Pas commode de sortir avec des morts de cet immeuble ; pas commode du tout, quand bien même on les mettrait dans des malles ou des caisses.
— C’est vrai, conviens-je, d’autant plus facilement que les événements renforcent ses arguments.
— Tu sais mon instinct policier, Antoine ?
— Par cœur.
A cet instant mémorable, un grand cri de femme comblée fait trembler les porcelaines. Il est suivi d’une clameur mieux articulée :
Oh ! le salaud ! Y m’tue ! Mais tu me fais mourir, petite vermine ! On s’en douterait pas à te voir ! Qu’est-ce qu’y m’fait encore ! Vouiiiii ! Oh ! que c’est bon, t’arrête pas, t’arrête pas, surtout !
Oh ! la ! Oh ! la la ! Mais c’est un surdoué, ce con ! Où va-t-il chercher des trucs pareils ? J’en peuve plus, je craque ! Je lâche tout ! Depuis Arthur, j’ai pas pris un pied pareil ! Et encore, je me demande. Si : y a eu le docteur Flosailles avec sa bite râpeuse ! Oh ! le démon. Y pousse encore ! Y me transperce. Des ressources comme ça, où il va les chercher ? Tiens, sagouin, que je te talonne les meules. Fonce à mort, bolchevik ! Oui ! Ah ! Ooooh ! Yes ! Again ! More ! Pousse, mon sagouin ! Pousse ! que je te dis. N’aie pas peur, c’est pas toi qui m’éclateras le pot ! Voilà ! Superbe ! Maman ! Encore ! Again ! Je veux tout, que je te dis ! Bouhahahâââ ! Agrrrr ! Vouai ai ais !
Pinuche écoute ces cris, comme un mélomane du Mozart :
— A cet âge, être pareillement doué ! J’augure bien de la suite, assure le docte personnage, attendri.
— « A cet âge » ? reprends-je. Tu connais donc le tireur ?
— Évidemment. C’est Toinet ! Ah ! tu peux être fier de lui. Cependant, t’en es-tu fait du souci lorsqu’il était gosse. Tu le grevais de tous les vilains instincts. Dès qu’il écopait d’une retenue à l’école, tu le réputais graine d’assassin !
— J’avais de bonnes raisons, compte tenu de son hérédité, non ?
— Personne ne naît mauvais, Antoine. On le devient à cause des rencontres de la vie. L’enfant est influençable, malléable. Ce petit, grâce au Seigneur, a eu la chance d’être élevé par des gens d’exception comme ta mère et toi. C’est déjà un être d’élite, à tous les niveaux. Il a jeté sa gourme et il ne subsiste plus en lui que de la graine de San-Antonio.
Bien entendu, il se fait chialer. L’une de ses larmes tombe sur sa cigarette qui grésille. Une aimable morve argentée accompagne son émotion, longue stalactite arachnéenne qui scintille dans la lumière du claque.
Un concert d’eau courante réalisé par les indispensables Jacob Delafon, auxquels on ne rendra jamais suffisamment hommage, me parvient, tout proche, ainsi qu’une voix de femme brisée :
— Qu’est-ce que tu m’as mis, petit salaud ! Ça fait des mois qu’on ne m’a pas tirée de cette façon. Le dernier avant toi était un prof d’histoire-géo que son épouse battait et qui devenait un fauve lorsqu’il tirait une autre femme.
Si ma mémoire auditive est toujours perfo, la dame qui exprime est M llePervenche. Le gamin fait son apparition. Tranquille comme ce fameux Baptiste dont on parle toujours mais qu’on ne rencontre jamais. Fringant, il est. Détendu, modeste. Sa queutée tant appréciée ne l’induit pas à l’esbrouffe. Il a tiré sa crampe et paraît absolument maître de soi, frais, prêt à réitérer.
Il m’aperçoit sans émotion, me pose une bise en piqué entre les sourcils.
Ne semble pas ressentir la moindre gêne. Murmure simplement :
— Gentille fille, cette Pervenche, mais bruyante, comme vous avez dû le constater. Son comportement n’est pas celui d’une pute, plutôt celui d’une quelconque épouse d’employé de banque. Elle est restée naïve et presque prude, malgré ses vingt mille pafs.
« Bon, à l’Intérieur, j’ai rencontré Hilaire Dunquon, le secrétaire du ministre, qui m’a parlé des deux flics qui se sont relayés ici au cours de la nuit : Zirgon et Lanprendeux. Des perdreaux surchoix, délégués à l’Intérieur pour leurs qualités professionnelles et, probablement aussi, leur appartenance politique.
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