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Frédéric Dard: La fin des haricots

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Frédéric Dard La fin des haricots

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A peine ai-je franchi le seuil que je m'arrête, pétrifié par la surprise. La môme Danièle git au bas de l'escalier, la tête sur le carrelage du vestibule. Elle a la coquille fêlée et une mare de sang achève de se figer. Je m'agenouille auprès de la pauvrette et je glisse la main entre ses roberts. Partie sans laisser d'adresse.

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San-Antonio

La fin des haricots

Vous le savez que les personnages de ce récit sont fictifs et que toute ressemblance, etc., etc.

Hmm ?

Alors !

S.-A

À Janine et André de CARO.

En souvenir de la Grande Table des Grandes Alpes.

Bien affectueusement

S.-A.

CHAPITRE PREMIER

Le sadique

L’inspecteur Pâquerette tourna vers moi son visage fripé de vieil adolescent hépatique. C’était un type sans âge, blanc comme le blanc d’une endive et maigre comme une radiographie de Philippe Clay, avec un long nez triste qu’il pouvait attraper du bout de sa langue chargée et des yeux minuscules, noirs et prompts, qui ressemblaient à deux grosses mouches enlisées dans de la crème Chantilly.

Donc Pâquerette se tourna vers moi et offrit à mon regard avide sa misérable géographie. Il avait passé douze ans à la Mondaine et connaissait toutes les tapineuses de Paris, depuis les emballeuses des berges qui exercent leur vaillante industrie à l’abri d’un parapluie, jusqu’aux nanas en vison qui épongent les grossiums de la Madeleine contre une effigie de Bonaparte, en passant (si j’ose ainsi m’exprimer) par les bucoliques qui font, dans les bruyères du bois de Boulogne, ce que d’autres dames font (pour un salaire plus modique) avec les racines de la même bruyère, mais dans la ville de Saint-Claude (Jura).

C’était précisément à cause de ses antécédents que le Vieux m’avait adjoint Pâquerette au début de l’enquête.

— Il pourra vous être très utile, avait assuré le Tondu en caressant sa coquille, histoire de s’assurer qu’elle n’était point fêlée.

S’étant tourné vers moi, l’inspecteur Pâquerette se permit quelque chose de très inhabituel. Il cligna de l’œil. Venant de lui, la chose avait je ne sais quoi de choquant, voire d’indécent. Je me dis, in petto (pour ne pas être compris de mon compagnon), que s’il adressait de telles œillades aux bergères, il devait se faire reluire avec du cirage plus qu’avec les dames de la bonne société.

— Qu’en dites-vous ? demanda-t-il d’un ton fluet.

Je n’ai jamais entendu parler un rat, mais j’imagine que ça doit donner à peu près ça. Il a les mâles inflexions d’un eunuque enrhumé, Pâquerette.

— Faut voir…

Nous nous tûmes. L’instant était grave.

Nous étions assis dans la chambre à coucher d’une concierge de la rue Godot-de-Mauroy, sur deux chaises cannées, entre une cheminée où trônait une œuvre d’art en plâtre de Paris authentique qui représentait un petit chat dans un sabot, et une console en faux marbre véritable où des fleurs en celluloïd, tellement bien imitées qu’elles avaient l’air artificielles, agonisaient sous trois centimètres de poussière.

La rue assez mal éclairée baignait dans un brouillard doré. Depuis deux jours, Paris était enveloppé dans du coton, comme les trompes d’Eustache d’un frileux sensible des étagères.

La tapineuse que nous avions choisie comme objectif allait et venait en tortillant son fonds de commerce. Elle accomplissait toujours le même périple, s’étant donné pour limites un magasin de machines à écrire et une épicerie fine. Elle s’arrêtait parfois pour mater la vitrine de l’épicier, puis elle se retournait afin de montrer la sienne aux passants. C’était une blonde, bien fournie. Le sadique ne tuait que des blondes. Elle avait le genre flamand. Elle était un peu massive, mais jeune et pas mal roulée. De temps à autre un pékin s’arrêtait, consultait le catalogue, se faisait expliquer les délices envisageables, s’informait de leur prix toutes taxes comprises et disait qu’il allait réfléchir.

Pâquerette m’avait expliqué que la demoiselle affurait mal because on était à la fin janvier et que c’est une période critique dans l’industrie de luxe.

Les budgets ont été secoués par les étrennes, le premier tiers provisionnel dresse à l’horizon sa perspective menaçante et les grippes annuelles ont quelque peu diminué la vitalité des messieurs.

Pâquerette murmura :

— Quelque chose me dit que…

Je n’osais y croire. Cela faisait quinze jours que nous bivouaquions, mon collègue et moi, dans les hauts lieux de la prostitution, espérant toujours démasquer le fou qui, régulièrement, deux fois par mois, abattait une pierreuse. Jusque-là nous avions fait chou blanc.

Ça devenait un cauchemar. Bien sûr, nous n’étions pas les seuls poulets sur l’affaire, mais nos collègues n’avaient pas plus de bol que nous. Le processus du meurtrier, pourtant, ne variait pas. Il abordait les filles, les décidait à le suivre en voiture, même lorsqu’il s’adressait à des sédentaires ; il les conduisait alors dans un endroit désert, les étranglait et les abandonnait dans l’auto qui était chaque fois une voiture volée. Le plus étrange, c’est que les filles, prévenues par la presse des méthodes du tueur, continuaient de le suivre.

On avait eu à plusieurs reprises le signalement du maniaque, mais il ne correspondait jamais au précédent.

On eût dit que l’homme possédait plusieurs aspects ou bien qu’il y avait plusieurs meurtriers à pratiquer le même crime selon un cérémonial immuable.

Nous retenions notre souffle. Une auto noire venait de stopper depuis un instant à quelques mètres de la fille blonde, mais son conducteur était resté au volant.

Immobile dans l’ombre de la voiture, il observait la prostituée avec une fixité affolante.

— Je vous dis que c’est lui ! murmura Pâquerette.

— O.K., allons voir ça d’un peu plus près.

Nous sommes sortis de la modeste chambre où flottaient des remugles de concierge trop honnête pour être au lit.

La cerbère préparait une soupe de poireaux odoriférante.

— Vous v’z’allez, messieurs ?

— Provisoirement.

Il faisait froid. Les gens semblaient pressés de rentrer chez eux. La péripatéticienne continuait d’emmagasiner des kilomètres, Elle n’avait pas remarqué l’automobiliste qui la surveillait avec tant d’acuité.

En marchant, Pâquerette produisait un bruit de troïka sur la piste blanche, à cause des nombreuses pilules qui grelottaient en ses poches truffées de pharmacie.

— On prend la voiture, commissaire ?

— Of course !

Nous sommes montés à bord de mon MG. Il y faisait moins chaud que dans la chambre froide du boucher voisin. Pâquerette ne manqua pas d’éternuer, ce qui eut pour effet de rendre mon pare-brise absolument opaque. En maugréant, l’inspecteur releva le col de son pardessus prince-de-galles-fauché couleur feuilles mortes balayées.

L’auto dans laquelle se tenait l’individu était une vieille Mercédès trapue. Un long moment s’écoula. Pâquerette prit un flacon inhalateur, le décapuchonna, se fourra le bec dans le naze et pompa énergiquement en respirant avec ardeur.

— Vous m’en mettrez dix litres ! blaguai-je.

Il se renfrogna, remisa son fly-tox à microbes et se mit à sucer une pastille. Ce mec-là dégageait une odeur insoutenable. Il puait le thermogène, la menthe médicale et un tas d’autres trucs dont l’eucalyptus.

— Je crois qu’on a eu une fausse joie, remarquai-je. Ce zigoto attend quelqu’un ; et s’il visionne les charmes de la pute c’est uniquement pour passer le temps.

— Je crois aussi, lamenta Pâquerette.

Nous étions stoppés devant un marchand de meubles. L’inspecteur louchait sur un bahut en merisier à qui il ne manquait que deux cents ans d’existence pour avoir l’air ancien.

— J’aime le bois, déclara-t-il solennellement, comme si cette affirmation était susceptible de modifier la Constitution en cours.

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