San-Antonio
L’archipel des Malotrus
À Louis PAUWELS
cette histoire qui se déroule sur une
autre planète, avec mon amitié admirative.
S.-A
AVERTISSEMENT [1] Sans frais, ceux-ci étant à la charge de l’éditeur.
Ce roman, dont l’originalité n’échappera qu’aux imbéciles ou à ceux qui ne lisent pas le français, est divisé en deux parties. La première est d’inspiration policière classique ; la seconde, au contraire, est extrêmement délirante. Nous avons cru bon, par conséquent, de résumer l’une et l’autre afin que le lecteur pressé puisse, le cas échéant, ne lire que celle qui convient à son genre de beauté.
Par conséquent, grâce à cette adroite initiative, les connards pourront s’arrêter à la fin de la première partie et trouveront à la toute dernière page le résumé de la seconde partie ; tandis qu’en lisant le résumé placé à la page 121 Résumé de la première partie Après les péripéties que vous venez de ne pas lire, San-A. et Bérurier s’envolent pour l’archipel des Malotrus en se faisant passer pour des plénipotentiaires britanniques. Leur but ? Mettre tout en œuvre pour que la reine Kelbobaba cède à la France, plutôt qu’à la Grande-Bretagne, l’île de Tanfédonpa où notre gouvernement souhaiterait poursuivre ces fameux essais atomiques qui forcent l’admiration de certaines peuplades primitives et des députés de la majorité.
, les beaux esprits auront la possibilité d’attaquer le livre par la deuxième partie.
En agissant de la sorte, nous avons le sentiment de satisfaire une fois de plus tous les publics et d’avoir fait économiser à chacun du temps, sinon de l’argent ( Ne me remerciez pas, de toute manière je perçois intégralement mes droits sur les deux parties. )
S.-A.
Une infirmière pénètre dans la chambre.
Elle a tout ce qu’il faut pour rendre un homme profondément heureux… de quitter le domicile conjugal : un corps aux lignes aussi harmonieuses que celles du Bottin, une tête de cheval, une voix qui donne envie de décrocher son masque à gaz et de foncer à l’abri le plus proche, et des manières à côté desquelles celles d’Attila n’étaient que marivaudage de salon.
D’ailleurs, nous avons précisément surnommé cette délicieuse personne Attila, sans songer que le fougueux barbare, si apprécié par les Huns et si redouté par les autres, est mort à vingt et un ans, ce qui ne saurait arriver à l’infirmière que je vous cause, vu que, du haut de son extrait de naissance, plus d’un demi-siècle la contemple.
Elle s’approche du lit où somnole Bérurier et file une claque fracassante sur le postère pachydermique de Sa Majesté. Le Gravos barrit, rugit, mugit, éructe, étrusque, brusque et se séante en braquant sur Attila un œil plus cloaqueux qu’une côte bretonne en période de marée noire.
— Dites, poupée, il lui grommelle, vous avez appris votre job avec les lavandières du Portugal, ou quoi ?
— Température ! annonce Attila en prenant sur un plateau un thermomètre qu’elle tend au Gravos.
— Oh ! à quoi bon t’est-ce me déranger le fignedé puisque j’ai plus de fièvre !
— Pas d’histoires, hein ! gronde le dragon.
— Alors dans le clapoir, consent le Gros en se filant le thermomètre au coin de la bouche, façon mégot.
Mais l’infirmière ne l’entend pas ainsi. Elle arrache le drap de Béru d’un geste impitoyable, dévoilant le dargeot le plus énorme, le plus rond, le plus noir, le plus velu, le plus redoutable, le plus ravaudé, le plus masculin, le plus organique qui ait jamais été hébergé dans cet hôpital.
— Prenez votre température comme on doit la prendre, sinon je vous place moi-même le thermomètre, menace dame Terreur.
— Très peu pour moi, une fois m’a suffi, abdique le Dodu eu extrayant le tube de verre d’un orifice pour se l’introduire dans un autre.
Il ajoute, la voix vinaigreuse :
— Quand vous prenez la température d’un malade, on dirait que vous voudriez planter des banderilles !
Attila émet un long rire, lugubre comme la grille rouillée d’un cimetière, et passe vers le lit numéro 2, lequel est occupé par un monsieur qu’on vient d’opérer du bide. Il est relativement mal en point, le client. Je voudrais pas qu’il m’entende, mais tout à fait entre nous et la plus proche succursale de la maison Borniol, je mettrais plus volontiers cent balles sur Tire-Bouchon II, dans la cinquième, que sur ses chances de survie. C’est un gus café-au-lait de teint, auquel sa récente laparotomie n’a pas donné des couleurs. Il a les lèvres blanches, les yeux enfoncés et l’air de se demander anxieusement ce qu’il fait là. Comme il est trop groggy pour se téléphoner soi-même le thermomètre, Attila s’en charge, mais dans les cas désespérés, elle abandonne le style Cordobés pour user de gestes plus charitables. J’occupe le troisième plumard de la pièce et suis, en l’occurrence, le dernier servi. J’ai droit à un sourire relativement cordial d’Attila.
— Vous paraissez en pleine forme ? me gazouille-t-elle.
— En effet, ma sœur, je me sens beaucoup mieux, admets-je.
Je pose le thermomètre sur sa rampe de lancement et laisse s’écouler soixante secondes sur le chrono de la sœur (dite de charité). Nous ne sommes que trois dans la piaule. Pour un hosto, la chambre est assez coquette : couleur crème, avec des meubles peints en blanc et une plante verte, pareille à un gros poireau, qui semble se complaire dans les senteurs d’éther.
Tout en suivant la ronde de son aiguille sur le chrono pendu à la chaîne de son crucifix portatif, elle sifflote sous sa moustache « O Jésus, doux et humble de cœur » , un vieux tube catholique qu’Attila rafraîchit en le syncopant un peu.
— Dites, poupée, hèle l’Horrible qui s’impatiente, si dans un an et un jour vous êtes pas venue récupérer votre matériel, je vous préviens, il est à moi, hein ?
Attila déteste les plaisanteries du Gros ainsi que sa familiarité déplacée.
— Ça vous écorcherait la gueule de m’appeler sœur Marie des Anges, comme tout le monde ? apostrophe-t-elle.
Le Magistral éclate de rire.
— Oh ! dites donc, les anges, ils doivent s’en voler à tire-d’aile quand ils vous entendent rouscailler de la sorte ! J’en vois passer des escadrilles depuis mon pageot !
— Espèce de parpaillot ! lance Attila en stoppant son chrono.
L’invective blesse le Gros.
— Dites donc, Marie de mes deux anges, faudrait voir à mesurer vos paroles. Confondez pas humour et religion. Je suis catholique de père en fils dans ma famille. On est baptisé, premier communié, et tout ! Et quand un Bérurier se laisse glisser, le cureton du village vient y filer un petit coup d’estrême-onction pour lui nettoyer le plus gros avant qu’il aille passer son permis de paradis-tourisme. C’est pas parce que je néglige mes Pâques et qu’il m’arrive de tortorer une entrecôte Bercy le vendredi saint que je suis tricard à l’église. Le Bon Dieu, si vous voudriez tout savoir, il m’a plutôt à la chouette ; dans mon métier, du reste, faut être bien dans ses papiers au barbu, autrement sinon ça cacate rapidement.
— Quel est votre métier ? coupe Attila, vaguement amusée par la diatribe.
Je me paie une sérieuse quinte de toux, histoire de rafraîchir la mémoire du Fougueux. Le danger avec Béru, c’est qu’il est tout de suite en ébullition. Or, rien ne cache plus difficilement son jeu qu’une casserole d’eau bouillante.
La violence de ma toux et ma violence de matou ont ramené le Gros aux réalités de l’heure.
Читать дальше