Frédéric Dard - Au bal des rombières

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Il s'en passe de sévères à l'institut de thalassothérapie de Riquebon-sur-Mer. On est obligé de planquer les cadavres dans les tiroirs car les croque-morts arriveraient pas à tous les croquer ! Ça tombe à qui mieux mieux : les vieillards en premier, ce qui est justice, mais aussi les femmes, y compris les très jolies, ce qui est dégueulasse ! Dans ce très gros book, l'Antonio se surpasse, tu verras. Jamais il s'est montré si farfadingue ni si tringleur ! On lime à toutes les pages, à toute heure et en tous lieux !
Pour couronner le chef-d'œuvre, t'as droit au premier chapitre des mémoires du Gros, écrits de sa main et intitulés : Pas triste ! J'aime autant te parler franchement : si tu rates ce livre, tu rates ta vie !
Bérurier. Son vit, son œuvre.

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San-Antonio

AU BAL

DES ROMBIÈRES

Livre de chevet

Au bal des rombières

c’est leur pognon qui valse.

(Proverbe du seizième arrondissement.)

Il faut toujours raconter ce qu’on fera quand on sera grand .

Même quand on a soixante-quinze ans !

EAU — GAZ — ÉLECTRICITÉ

Elle dit :

— A présent, vous changez de côté et vous pédalez avec la jambe droite.

Alors, bon, ils changent de jambe et pédalent comme des cons.

C’en sont.

Et Dalida !

Quatre vieillards fossilisés.

Le tableau !

En maillot et bonnet de bain. Ça fait quatre décharnances blafardes déguisées en têtes de nœuds. Plus maigre qu’eux, y aurait qu’un squelette à jeun. Les os saillent, les ultimes muscles tressaillent, la peau chairdepoulise et bleuit, à macérer dans l’eau.

Ils sont queue leu leu (et queues pendantes) dans une petite piscine cernée d’une main courante à laquelle les quatre ganaches se cramponnent afin de maintenir leur équilibre. Ces gueules ! Des momies ! Le regard creux et désert, la bouche effeuillée et ouverte en grand ; le menton pendant. Quelques tifs blancs s’échappent des bonnets de bain. La flotte et les efforts qu’ils y produisent leur allument de longues morves. Ils sont vermoulus à bloc, essorés complet ; trop vieux pour exister.

Qu’espèrent-ils de ces séances de thalassothérapie, ces mousquetaires du caveau de famille ? Une jouvencerie qui leur assurerait un peu de rab de rab ? Ils s’imaginent en grande fringance au sortir du bain ? Requinqués ? Capables de minoucher une épongeuse de vieux crabes ?

Toujours est-il qu’ils suivent avec docilité les indications de la « physio », une grosse femme qui déblonde de la racine et dont on distingue le slip noir à travers sa blouse blanche. Elle fait un peu de couperose, Mme Vaugirard. Son regard indifférent suit sans passion les ébats des quatre gâtochards. Elle virgule ses directives avec la voix des guides d’autocars :

— Plus droit, le buste, m’sieur Vigouret ! L’interpellé secoue la tête en produisant une onomatopée exprimant l’impuissance.

— Et vous, m’sieur Dubois-Douillet, on lève plus haut le genou !

— J’ai de l’arthrite ! bavoche l’apprenti centenaire.

— C’est pour la combattre que vous devez produire des efforts, m’sieur Dubois-Douillet ! Allons, allons ! On me lève ce genou. Je veux que ma rotule monte au niveau de ma hanche, m’sieur Dubois-Douillet !

La ganache, vexée d’être apostrophée devant ses petits camarades, tire son pif en bec de mainate et lâche des vents de noroît qui viennent éclater à la surface de l’eau. Ces gaz font rigoler les autres. Quatre petits garçons qui tous ont vu bâtir la tour Eiffel !

Et puis voilà qu’une nana du genre fouine à lunettes avec des traces de crayon-bille aux mains entrouvre la porte.

— Solange ! Téléphone !

Mme Vaugirard est pas joyce car, à l’institut, on « déconseille » aux employés les communications téléphoniques personnelles ; surtout pendant les heures de prestations.

La grosse qui déblondit dit à ses podagres :

— Continuez ! Je reviens tout de suite.

Elle sort précipitamment. Tu parles que les ancêtres en profitent pour s’offrir un petit coup de relâche. Les gens sont pas logiques. Ils casquent des fortunes pour se payer des séances de ceci-cela et ne perdent pas une occase de tirer au flanc.

Mais voilà une arrivée intempestive. Un homme en bleu de travail, avec une veste de cuir, malgré la chaleur suffocante qui règne dans l’établissement, et un bonnet de laine. Bronzé, grosse moustache, lunettes. Il tient un câble qu’il déroule en marchant et dont une extrémité est restée à l’extérieur. Il va jusqu’au bassin où barbotent les quatre vieux canards déplumés, et lance dans la flotte ce qui reste du rouleau. Qu’à peine il a exécuté ce geste, le voilà reparti. Dans la piscaille, les quatre anciens héros de la quatorze-dix-huit contorsionnent comme des perdus, foudroyés par la décharge de 240 volts. Ils sont nazés complet lorsque Mme Vaugirard radine, moins de cinq minutes plus tard.

— Oh ! mon Dieu ! elle égosille.

Terre-neuvate dans l’âme, elle se lance en blouse dans la sauce pour tenter de sauver ce qui est sauvable, et déguste sa part de frissons.

Elle était mère de deux enfants, mariée à l’adjoint au maire du pays, et la maîtresse de M. Bourladon, le chef de la comptabilité de l’établissement.

Une perte !

A BOUE DE SOUFFLE

Il a changé, Alexis, depuis l’époque héroïque où il était le plus grand des talonneurs français dans l’équipe de rugby de Mont-Tanlair. Vingt-huit sélections en « formation tricolore ! » Deux grands schelems dans le Tournoi des Saintes Nations ! L’idole ! Trapu, râblé, peu de cou, le crin taillé brosse, une arcade souricière à impériale, le regard lavande, une intelligence peu démonstrative mais réelle. Il préparait sa médecine, mais l’entraînement intensif qu’il suivait avait carbonisé ses études. Il s’était plus modestement reconverti dans la physiothérapie et avait ouvert un cabinet dans les Landes.

Et puis un jour, juste à la fin de sa carrière de rugbyman, il avait rencontré une fille à papa bourrée d’osier et l’avait épousée d’urgence. Le beau-dabe qui nourrissait des ambitions pour le couple avait financé un institut de thalassothérapie à Riquebon-sur-Mer, dans le Finistère. Bien géré, l’établissement avait rapidement connu le succès et s’était développé au point de devenir le plus important de France.

Oui, il a changé, Alexis. Quinze piges que je ne l’ai vu, le malmeneur de ballon ovale. Il s’est affiné. C’est plus la grosse brute sympa de naguère, mais un quadragénaire élégant. Il a fait réparer son arcade pétée. Il porte des lunettes cerclées d’or, sent bon « New York » de Patricia de Nicolaï, et son costar prince-de-galles sort de chez Cerruti. Il occupe un vaste bureau ultramoderne aux murs agrémentés de quelques bonnes toiles.

— Tu es formidable d’avoir si vite répondu à mon appel, Antoine !

— Je m’offrais quelques jours de vacances après une rude équipée à Singapour, réponds-je [1] Si tu ne veux pas avoir l’air d’un con toute ta vie, lis d’urgence Princesse Patte-en-l’air , mon petit précédent. Bouquin délimité de qualité supérieure par les viticulteurs de Juliénas. San-A. .

— Et je te casse la cabane ?

— Penses-tu : j’avais justement envie de langoustes. Je suppose que tu fais appel à moi rapport à tes électrocutés ?

— Evidemment. Tu es au courant ?

— Au courant est le mot, ricané-je. J’ai appris ce gag par les médias.

— Drôle de gag !

Il pousse une frite désastreuse, Alexis. Pour lui, c’est Calamitas au programme ! Une grosse partie de la clientèle a pris le large, et les réservations se déréservent à tout-va ! Il court à la ruine. L’ancien talonneur est talonné à son tour par la scoumoune !

— Tes confrères d’ici sont des zéros-en-chiffre, soupire-t-il. M’ont foutu la merde par leurs déclarations, la panique. Ils clament tout azimut qu’un détraqué rôde dans l’institut, un maniaque, et sont incapables de mettre la main dessus ! Ma saison est foutue et je ne réponds pas des prochaines. J’ai eu beau engager des vigiles en uniforme, la clientèle a les foies, mets-toi à leur place.

— C’est ce que je vais faire, décidé-je.

Il débonde ses vasistas.

— Tu vas te faire passer pour un client ?

— C’est la meilleure façon de tout observer sans attirer l’attention. File-moi une bonne chambre et organise-moi un service de soins traditionnels.

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